Author: | Benjamin Constant | ISBN: | 1230002617220 |
Publisher: | Paris : M. Lévy frères, 1867 | Publication: | October 4, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Benjamin Constant |
ISBN: | 1230002617220 |
Publisher: | Paris : M. Lévy frères, 1867 |
Publication: | October 4, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
Adolphe est un des petits chefs-d’œuvre de la littérature et de l’esprit modernes. Avec des nuances bien moins vives que René, c’est un petit livre qui en est l’égal et comme le frère. Adolphe est un René plus terne et sans rayons, mais non moins rare. Il n’a pu être écrit qu’à la date d’une civilisation très-avancée, à l’arrière-saison d’une société factice qui avait tout analysé, qui avait raffiné sur les passions et qui, même en les poursuivant, s’en lassait vite et s’en ennuyait. L’homme qui a écrit Adolphe, Benjamin Constant, ce produit le plus distingué de la Suisse française, cet élégant musqué du Directoire, ce tribun parisien croisé d’Allemand, était une des natures les plus compliquées et les plus subtiles qui se pussent voir. Il a lui-même retracé un coin de son caractère au début d’Adolphe, mais il n’a pas tout dit. Il avait, comme publiciste, des lumières, des doctrines ou des théories libérales et généreuses, des accès et comme des poussées d’enthousiasme : tout cela ne tenait pas dans le particulier ; esprit aiguisé, blasé, singulièrement flétri de bonne heure par je ne sais quel souffle aride, il se raillait lui même, il se persiflait, lui et les autres, par une sorte d’ironie fine, continuelle, insaisissable, qui allait à dessécher les sentiments et les affections en lui et autour de lui. Intelligence supérieure, il se rendait compte de tout ; peintre incomplet, il n’eût su tout rendre, mais plume habile, déliée et pénétrante, il trouvait moyen d’atteindre et de fixer les impressions intérieures les plus fugitives et les plus contradictoires. Il a voulu exprimer dans Adolphe tout ce qu’il y a de faux, de pénible, de douloureux dans certaines liai sons engagées à la légère, où la société trouve à redire, où le cœur, toujours en désaccord et en peine, ne se satisfait pas, et qui font le tourment de deux êtres enchaînés sans raison et s’acharnant, pour ainsi dire, l’un à l’autre. La femme du roman, Ellénore, est certainement la plus noble des déclassées, mais elle n’en est que d’autant plus déclassée, et elle le sent, elle en souffre. Son jeune ami en souffre pour elle, pour lui-même. Après le premier charme passager de l’amour ou de la possession, toutes les inégalités se prononcent. Celle de l’âge n’est pas la moindre : Ellénore a dix ans de plus qu’Adolphe ; elle l’aime trop, elle l’aime de ce dernier amour de femme qui n’est pas le moins tyrannique, elle, l’en excède et l’en importune. Il a provoqué de sa part des sacrifices et un absolu dévouement dont presque aussitôt il ne sait que faire. En vain, il voudrait se dissimuler et lui cacher, à elle, son ennui, sa lassitude ; elle n’est pas de celles qu’on abuse : nous assistons, dans une suite d’analyses merveilleuses de justesse et de vérité, à toutes les impuissances et à toutes les agonies convulsives de l’amour, à des reprises et à des déchirements réitérés et de plus en plus misérables. Cette Étude faite évidemment sur nature, et dont chaque trait a dû être observé, produit dans l’âme du lecteur un profond malaise moral, au sortir duquel toute fraîcheur et toute vie est pour longtempsfanée ; on se sent comme vieilli avant l’âge. Lord Byron, jugeant Adolphe au moment où il parut, en 1816, écrivait dans une lettre à un ami :
« J’ai lu l’Adolphe de Benjamin Constant, et sa préface niant les gens positifs. C’est un ouvrage qui laisse une impression pénible, mais très en harmonie avec l’état où l’on est quand on n’aime plus, état peut-être le plus désagréable qu’il y ait au monde, excepté celui d’être amoureux. Je doute cependant que tous liens de la sorte (comme il les appelle) finissent aussi misérablement que la liaison de son héros et de son héroïne. »..............
Adolphe est un des petits chefs-d’œuvre de la littérature et de l’esprit modernes. Avec des nuances bien moins vives que René, c’est un petit livre qui en est l’égal et comme le frère. Adolphe est un René plus terne et sans rayons, mais non moins rare. Il n’a pu être écrit qu’à la date d’une civilisation très-avancée, à l’arrière-saison d’une société factice qui avait tout analysé, qui avait raffiné sur les passions et qui, même en les poursuivant, s’en lassait vite et s’en ennuyait. L’homme qui a écrit Adolphe, Benjamin Constant, ce produit le plus distingué de la Suisse française, cet élégant musqué du Directoire, ce tribun parisien croisé d’Allemand, était une des natures les plus compliquées et les plus subtiles qui se pussent voir. Il a lui-même retracé un coin de son caractère au début d’Adolphe, mais il n’a pas tout dit. Il avait, comme publiciste, des lumières, des doctrines ou des théories libérales et généreuses, des accès et comme des poussées d’enthousiasme : tout cela ne tenait pas dans le particulier ; esprit aiguisé, blasé, singulièrement flétri de bonne heure par je ne sais quel souffle aride, il se raillait lui même, il se persiflait, lui et les autres, par une sorte d’ironie fine, continuelle, insaisissable, qui allait à dessécher les sentiments et les affections en lui et autour de lui. Intelligence supérieure, il se rendait compte de tout ; peintre incomplet, il n’eût su tout rendre, mais plume habile, déliée et pénétrante, il trouvait moyen d’atteindre et de fixer les impressions intérieures les plus fugitives et les plus contradictoires. Il a voulu exprimer dans Adolphe tout ce qu’il y a de faux, de pénible, de douloureux dans certaines liai sons engagées à la légère, où la société trouve à redire, où le cœur, toujours en désaccord et en peine, ne se satisfait pas, et qui font le tourment de deux êtres enchaînés sans raison et s’acharnant, pour ainsi dire, l’un à l’autre. La femme du roman, Ellénore, est certainement la plus noble des déclassées, mais elle n’en est que d’autant plus déclassée, et elle le sent, elle en souffre. Son jeune ami en souffre pour elle, pour lui-même. Après le premier charme passager de l’amour ou de la possession, toutes les inégalités se prononcent. Celle de l’âge n’est pas la moindre : Ellénore a dix ans de plus qu’Adolphe ; elle l’aime trop, elle l’aime de ce dernier amour de femme qui n’est pas le moins tyrannique, elle, l’en excède et l’en importune. Il a provoqué de sa part des sacrifices et un absolu dévouement dont presque aussitôt il ne sait que faire. En vain, il voudrait se dissimuler et lui cacher, à elle, son ennui, sa lassitude ; elle n’est pas de celles qu’on abuse : nous assistons, dans une suite d’analyses merveilleuses de justesse et de vérité, à toutes les impuissances et à toutes les agonies convulsives de l’amour, à des reprises et à des déchirements réitérés et de plus en plus misérables. Cette Étude faite évidemment sur nature, et dont chaque trait a dû être observé, produit dans l’âme du lecteur un profond malaise moral, au sortir duquel toute fraîcheur et toute vie est pour longtempsfanée ; on se sent comme vieilli avant l’âge. Lord Byron, jugeant Adolphe au moment où il parut, en 1816, écrivait dans une lettre à un ami :
« J’ai lu l’Adolphe de Benjamin Constant, et sa préface niant les gens positifs. C’est un ouvrage qui laisse une impression pénible, mais très en harmonie avec l’état où l’on est quand on n’aime plus, état peut-être le plus désagréable qu’il y ait au monde, excepté celui d’être amoureux. Je doute cependant que tous liens de la sorte (comme il les appelle) finissent aussi misérablement que la liaison de son héros et de son héroïne. »..............