Aimé de son concierge

( Edition intégrale )

Fiction & Literature, Classics, Literary, Romance
Cover of the book Aimé de son concierge by Eugène Chavette (1827-1902), Paris : E. Dentu, 1877
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Author: Eugène Chavette (1827-1902) ISBN: 1230002401942
Publisher: Paris : E. Dentu, 1877 Publication: June 30, 2018
Imprint: Language: French
Author: Eugène Chavette (1827-1902)
ISBN: 1230002401942
Publisher: Paris : E. Dentu, 1877
Publication: June 30, 2018
Imprint:
Language: French

Extrait: Il était deux heures du matin quand le portier du No 21 de la rue du Helder fut réveillé par la sonnette de sa loge qui, pour la troisième fois, se livrait à un carillon désordonné.
Un homme qu’on arrache brusquement aux douceurs de ce qu’on appelle le premier sommeil est bien excusable de ne pas retrouver subitement toute l’aménité de son caractère. On comprendra donc facilement avec quelle humeur rageuse ledit concierge tira le cordon en maugréant entre ses dents :
– Le diable l’emporte ! Est-ce que cette existence de polichinelle va durer longtemps ?
Le claquement de la porte qui se refermait annonça que la personne qu’on envoyait ainsi au diable venait d’entrer dans la maison, puis un pas fort léger se fit entendre sous la voûte, et enfin une voix douce et jeune prononça ces mots par le carreau de la loge :
– C’est moi, mon bon Gringoire.
– Tout à votre service, madame Durieux, répondit le portier, d’un ton des plus radoucis, à la locataire qui venait de se faire reconnaître.
L’accent obséquieux avec lequel il avait ponctué sa phrase était de fort mauvais aloi ; car, à peine Mme Durieux se fut-elle engagée sur l’escalier que Gringoire, se refourant le nez sous la couverture, gronda tout hargneux :
– Oui, j’en ai assez de sa vie de polichinelle. Est-ce que la nuit n’est pas faite pour dormir ? La peste soit des jeunes veuves, qui s’amusent... sans se soucier de réveiller le pauvre monde.
Puis, avec un bâillement provoqué par le sommeil qui revenait s’emparer de lui, le concierge marmotta encore :
– Ah ! l’heureux temps que celui où vivait M. Durieux. Alors tout le monde était rentré à dix heures. et je ne faisais qu’un seul et bon somme.
Le ronflement qui succéda presque aussitôt à ces dernières paroles prouva que le grincheux Gringoire s’était rendormi.
Pendant que le digne homme est retourné au pays des rêves, nous apprendrons au lecteur ce qu’était Mme Durieux, dont le son de voix avait suffi pour calmer, en apparence du moins, la colère du pipelet.
Brune des plus gentilles, un peu grassouillette, fort appétissante, veuve de vingt-quatre ans, Mme Durieux était propriétaire de la maison dont Gringoire occupait la loge.
Durant les quelques années qu’elle avait été mariée, Mme Durieux n’avait pas eu précisément à se louer de la vie conj ugale. Avant qu’il allât s’étendre sous le beau marbre blanc qui, en lettres dorées, prônait ses nombreuses vertus, M. Durieux, qui comptait cinquante années de plus que sa femme, n’avait été, en réalité, qu’un vieillard grognon, bourru, égoïste et perclus de rhumatismes.
Jusqu’au jour où la Providence compatissante avait enfin bien voulu la faire veuve, la jeune femme, que nous appellerons aussi de son petit nom de Célestine, avait mené l’existence d’une garde malade. Cataplasmes à poser, tisanes à surveiller, frictions à exécuter, telles avaient été les principales distractions des cinq ans qu’elle avait passés auprès de son époux avant qu’il consentît à déguerpir pour un monde meilleur.
Nous ne dirons pas que Clémentine avait poussé un joyeux « ouf ! » quand M. Durieux avait quitté cette vallée de misère qu’on nomme la vie, mais nous affirmerons que l’isolement du veuvage ne lui avait pas inspiré un de ces désespoirs qui incitent une femme à se couper les cheveux jusqu’à la racine, en façon de brosse à reluire, pour les enfermer dans la bière du trépassé, ou à ne plus s’endormir qu’en pressant sur son sein le parapluie du défunt. Sa douleur avait été modeste, pas bruyante, juste ce qu’il fallait pour que les gens qui avaient connu Durieux pour un parfait butor ne crussent pas qu’il possédait des qualités cachées.

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Extrait: Il était deux heures du matin quand le portier du No 21 de la rue du Helder fut réveillé par la sonnette de sa loge qui, pour la troisième fois, se livrait à un carillon désordonné.
Un homme qu’on arrache brusquement aux douceurs de ce qu’on appelle le premier sommeil est bien excusable de ne pas retrouver subitement toute l’aménité de son caractère. On comprendra donc facilement avec quelle humeur rageuse ledit concierge tira le cordon en maugréant entre ses dents :
– Le diable l’emporte ! Est-ce que cette existence de polichinelle va durer longtemps ?
Le claquement de la porte qui se refermait annonça que la personne qu’on envoyait ainsi au diable venait d’entrer dans la maison, puis un pas fort léger se fit entendre sous la voûte, et enfin une voix douce et jeune prononça ces mots par le carreau de la loge :
– C’est moi, mon bon Gringoire.
– Tout à votre service, madame Durieux, répondit le portier, d’un ton des plus radoucis, à la locataire qui venait de se faire reconnaître.
L’accent obséquieux avec lequel il avait ponctué sa phrase était de fort mauvais aloi ; car, à peine Mme Durieux se fut-elle engagée sur l’escalier que Gringoire, se refourant le nez sous la couverture, gronda tout hargneux :
– Oui, j’en ai assez de sa vie de polichinelle. Est-ce que la nuit n’est pas faite pour dormir ? La peste soit des jeunes veuves, qui s’amusent... sans se soucier de réveiller le pauvre monde.
Puis, avec un bâillement provoqué par le sommeil qui revenait s’emparer de lui, le concierge marmotta encore :
– Ah ! l’heureux temps que celui où vivait M. Durieux. Alors tout le monde était rentré à dix heures. et je ne faisais qu’un seul et bon somme.
Le ronflement qui succéda presque aussitôt à ces dernières paroles prouva que le grincheux Gringoire s’était rendormi.
Pendant que le digne homme est retourné au pays des rêves, nous apprendrons au lecteur ce qu’était Mme Durieux, dont le son de voix avait suffi pour calmer, en apparence du moins, la colère du pipelet.
Brune des plus gentilles, un peu grassouillette, fort appétissante, veuve de vingt-quatre ans, Mme Durieux était propriétaire de la maison dont Gringoire occupait la loge.
Durant les quelques années qu’elle avait été mariée, Mme Durieux n’avait pas eu précisément à se louer de la vie conj ugale. Avant qu’il allât s’étendre sous le beau marbre blanc qui, en lettres dorées, prônait ses nombreuses vertus, M. Durieux, qui comptait cinquante années de plus que sa femme, n’avait été, en réalité, qu’un vieillard grognon, bourru, égoïste et perclus de rhumatismes.
Jusqu’au jour où la Providence compatissante avait enfin bien voulu la faire veuve, la jeune femme, que nous appellerons aussi de son petit nom de Célestine, avait mené l’existence d’une garde malade. Cataplasmes à poser, tisanes à surveiller, frictions à exécuter, telles avaient été les principales distractions des cinq ans qu’elle avait passés auprès de son époux avant qu’il consentît à déguerpir pour un monde meilleur.
Nous ne dirons pas que Clémentine avait poussé un joyeux « ouf ! » quand M. Durieux avait quitté cette vallée de misère qu’on nomme la vie, mais nous affirmerons que l’isolement du veuvage ne lui avait pas inspiré un de ces désespoirs qui incitent une femme à se couper les cheveux jusqu’à la racine, en façon de brosse à reluire, pour les enfermer dans la bière du trépassé, ou à ne plus s’endormir qu’en pressant sur son sein le parapluie du défunt. Sa douleur avait été modeste, pas bruyante, juste ce qu’il fallait pour que les gens qui avaient connu Durieux pour un parfait butor ne crussent pas qu’il possédait des qualités cachées.

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