Author: | HENRI DE REGNIER | ISBN: | 1230000212448 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | January 23, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | HENRI DE REGNIER |
ISBN: | 1230000212448 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | January 23, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
Je m’embarque, ce soir, pour la plus belle des croisières, celle que l’on accomplit sur les mers de la mémoire, en compagnie du souvenir, celle où l’on retrouve un peu de soi-même dans la figure des nuages, la couleur des flots, la courbe des horizons, dans le goût de l’air que l’on respire, dans la lumière, dans le vent, dans le silence. Je m’embarque, ce soir, pour la croisière du souvenir.
Depuis longtemps, je rêvais ce voyage et je ne sais vraiment ce qui m’empêchait de l’entreprendre puisque il ne dépend pas des conditions matérielles qui, d’ordinaire, selon leur bienveillance ou leur malice, mettent obstacle à nos projets ou les favorisent. Je n’avais donc pas à compter avec les circonstances variables qui tantôt nous retiennent où nous sommes, tantôt nous permettent d’être où nous voudrions, mais la liberté n’a-t-elle pas ses contraintes et est-il si facile qu’on le croit de disposer de soi-même et d’amener à l’entente son désir et sa volonté ? Il faut, pour que cet accord se produise, l’intervention d’une puissance mystérieuse qui nous convainque que l’heure est venue de ne pas tarder davantage à nous résoudre à ce que rien ne nous oblige de différer, sinon l’obscure appréhension que l’accomplissement d’un dessein longtemps remis à demain nous prive du plaisir de le tenir en réserve pour une occasion indéterminée, car on redoute malgré soi de raviver des réalités dont on a fait des songes et n’est-ce pas aux résurrections du souvenir qu’il me faudra confier les images que je vais demander au passé ?
Nous sommes ainsi faits. Cependant, nous disons-nous, est-il si prudent de tergiverser ainsi et ne risquons-nous pas, à force d’atermoiements, de n’être plus, un jour, en état de donner au souvenir le solide et vivant appui des réalités dont il est le dépositaire et dont il doit être l’interprète ? N’est-il pas un moment où nous serons incapables de lui fournir la matière qu’il lui appartient de mettre en jeu ? N’en est-il pas un autre, au contraire, qui sera spécialement propice à ce qu’il saisisse et fixe le spectacle que lui propose notre mémoire ? N’est-il pas un instant où s’y mélangent en parties égales ce que nos yeux ont retenu du réel et ce que notre esprit y a ajouté en se le représentant ? Mais cet instant favorable, qui nous l’indiquera ? Qui nous fera le signe du départ et ce signe sera-t-il un geste du hasard ou quelque imperceptible mouvement venu du plus secret de nous-même, remous mystérieux de l’eau du port, montée sournoise de la marée, léger souffle du vent dans la mâture ?
Je m’embarque, ce soir, pour la plus belle des croisières, celle que l’on accomplit sur les mers de la mémoire, en compagnie du souvenir, celle où l’on retrouve un peu de soi-même dans la figure des nuages, la couleur des flots, la courbe des horizons, dans le goût de l’air que l’on respire, dans la lumière, dans le vent, dans le silence. Je m’embarque, ce soir, pour la croisière du souvenir.
Depuis longtemps, je rêvais ce voyage et je ne sais vraiment ce qui m’empêchait de l’entreprendre puisque il ne dépend pas des conditions matérielles qui, d’ordinaire, selon leur bienveillance ou leur malice, mettent obstacle à nos projets ou les favorisent. Je n’avais donc pas à compter avec les circonstances variables qui tantôt nous retiennent où nous sommes, tantôt nous permettent d’être où nous voudrions, mais la liberté n’a-t-elle pas ses contraintes et est-il si facile qu’on le croit de disposer de soi-même et d’amener à l’entente son désir et sa volonté ? Il faut, pour que cet accord se produise, l’intervention d’une puissance mystérieuse qui nous convainque que l’heure est venue de ne pas tarder davantage à nous résoudre à ce que rien ne nous oblige de différer, sinon l’obscure appréhension que l’accomplissement d’un dessein longtemps remis à demain nous prive du plaisir de le tenir en réserve pour une occasion indéterminée, car on redoute malgré soi de raviver des réalités dont on a fait des songes et n’est-ce pas aux résurrections du souvenir qu’il me faudra confier les images que je vais demander au passé ?
Nous sommes ainsi faits. Cependant, nous disons-nous, est-il si prudent de tergiverser ainsi et ne risquons-nous pas, à force d’atermoiements, de n’être plus, un jour, en état de donner au souvenir le solide et vivant appui des réalités dont il est le dépositaire et dont il doit être l’interprète ? N’est-il pas un moment où nous serons incapables de lui fournir la matière qu’il lui appartient de mettre en jeu ? N’en est-il pas un autre, au contraire, qui sera spécialement propice à ce qu’il saisisse et fixe le spectacle que lui propose notre mémoire ? N’est-il pas un instant où s’y mélangent en parties égales ce que nos yeux ont retenu du réel et ce que notre esprit y a ajouté en se le représentant ? Mais cet instant favorable, qui nous l’indiquera ? Qui nous fera le signe du départ et ce signe sera-t-il un geste du hasard ou quelque imperceptible mouvement venu du plus secret de nous-même, remous mystérieux de l’eau du port, montée sournoise de la marée, léger souffle du vent dans la mâture ?