Author: | Montesquieu | ISBN: | 1230001372434 |
Publisher: | HF | Publication: | October 3, 2016 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Montesquieu |
ISBN: | 1230001372434 |
Publisher: | HF |
Publication: | October 3, 2016 |
Imprint: | |
Language: | French |
Extrait : Mon maître, accablé de vieillesse, se brûla, et, comme il me regardoit comme un saint, il me laissa, par son testament, un ordre auquel je ne m’attendois pas. Ce fut de le suivre par la route qu’il avoit prise. Il me faisoit trop d’honneur, et je parus d’abord bien embarrassé. Mais, pendant qu’on me faisoit de grands compliments, je me remis de mon désordre, et prenant un air assuré : « Qu’on me dresse, dis-je, un bûcher tout à l’heure, et surtout qu’on ne me fasse pas attendre ! » Je sçavois bien qu’il n’y avoit point de bois dans la maison, car il est très rare aux Indes, et qu’il falloit que la cérémonie fût remise au lendemain.
La nuit venue, je m’enfuis à cinquante lieues de là. J’eus bientôt dissipé tout ce que j’avois, et il ne me resta pour toute ressource que l’habit de mon maître, avec lequel je me mis à jouer le saint ; mais mon visage me ruinoit.
Ayant entrepris de grands jeûnes, je n’eus pas le courage de les finir. Je me fis fouëtter par les rues, mais je me comportay si mal que je ne gagnois pas un sol. J’avois plus la mine d’un criminel que d’un pénitent ; je fuyois, malgré moi, sous les verges ; je n’excitois pas la compassion, mais la risée publique.
Cependant j’enrageois bien le soir d’avoir été tout le jour étrillé pour rien, et, pestant tantôt contre le métier, tantôt contre moy-même, je me désespérois d’avoir été si lâche, et je m’encourageois pour le lendemain.
Un jour, j’allay me poster près d’un vieux bonze qui tenoit, depuis quinze ans, les bras en l’air ; à peine eus-je été deux heures dans cette posture que j’y renonçay.
Extrait : Mon maître, accablé de vieillesse, se brûla, et, comme il me regardoit comme un saint, il me laissa, par son testament, un ordre auquel je ne m’attendois pas. Ce fut de le suivre par la route qu’il avoit prise. Il me faisoit trop d’honneur, et je parus d’abord bien embarrassé. Mais, pendant qu’on me faisoit de grands compliments, je me remis de mon désordre, et prenant un air assuré : « Qu’on me dresse, dis-je, un bûcher tout à l’heure, et surtout qu’on ne me fasse pas attendre ! » Je sçavois bien qu’il n’y avoit point de bois dans la maison, car il est très rare aux Indes, et qu’il falloit que la cérémonie fût remise au lendemain.
La nuit venue, je m’enfuis à cinquante lieues de là. J’eus bientôt dissipé tout ce que j’avois, et il ne me resta pour toute ressource que l’habit de mon maître, avec lequel je me mis à jouer le saint ; mais mon visage me ruinoit.
Ayant entrepris de grands jeûnes, je n’eus pas le courage de les finir. Je me fis fouëtter par les rues, mais je me comportay si mal que je ne gagnois pas un sol. J’avois plus la mine d’un criminel que d’un pénitent ; je fuyois, malgré moi, sous les verges ; je n’excitois pas la compassion, mais la risée publique.
Cependant j’enrageois bien le soir d’avoir été tout le jour étrillé pour rien, et, pestant tantôt contre le métier, tantôt contre moy-même, je me désespérois d’avoir été si lâche, et je m’encourageois pour le lendemain.
Un jour, j’allay me poster près d’un vieux bonze qui tenoit, depuis quinze ans, les bras en l’air ; à peine eus-je été deux heures dans cette posture que j’y renonçay.