L'île à hélice

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Cover of the book L'île à hélice by Jules Verne, Consumer Oriented Ebooks Publisher
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Author: Jules Verne ISBN: 1230000835350
Publisher: Consumer Oriented Ebooks Publisher Publication: December 9, 2015
Imprint: Language: French
Author: Jules Verne
ISBN: 1230000835350
Publisher: Consumer Oriented Ebooks Publisher
Publication: December 9, 2015
Imprint:
Language: French

Lorsqu'un voyage commence mal, il est rare qu'il finisse bien.
Tout au moins, est-ce une opinion qu'auraient le droit de soutenir
quatre instrumentistes, dont les instruments gisent sur le sol. En
effet, le coach, dans lequel ils avaient dû prendre place à la
dernière station du rail-road, vient de verser brusquement contre
le talus de la route.

«Personne de blessé?... demande le premier, qui s'est lestement
redressé sur ses jambes.

-- J'en suis quitte pour une égratignure! répond le second, en
essuyant sa joue zébrée par un éclat de verre.

-- Moi pour une écorchure!» réplique le troisième, dont le mollet
perd quelques gouttes de sang. Tout cela peu grave, en somme. «Et
mon violoncelle?... s'écrie le quatrième. Pourvu qu'il ne soit
rien arrivé à mon violoncelle!»

Par bonheur, les étuis sont intacts. Ni le violoncelle, ni les
deux violons, ni l'alto, n'ont souffert du choc, et c'est à peine
s'il sera nécessaire de les remettre au diapason. Des instruments
de bonne marque, n'est-il pas vrai?

«Maudit chemin de fer qui nous a laissés en détresse à moitié
route!... reprend l'un.

-- Maudite voiture qui nous a chavirés en pleine campagne
déserte!... riposte l'autre.

-- Juste au moment où la nuit commence à se faire!... ajoute le
troisième.

-- Heureusement, notre concert n'est annoncé que pour après-
demain!» observe le quatrième.

Puis, diverses réparties cocasses de s'échanger entre ces
artistes, qui ont pris gaiement leur mésaventure. Et l'un d'eux,
suivant une habitude invétérée, empruntant ses calembredaines aux
locutions de la musique, de dire:

«En attendant, voilà notre coach _mi_ sur le _do_!

-- Pinchinat! crie l'un de ses compagnons.

-- Et mon opinion, continue Pinchinat, c'est qu'il y a un peu trop
_d'accidents à la clef_!

-- Te tairas-tu?...

-- Et que nous ferons bien de _transposer nos morceaux_ dans un
autre coach!» ose ajouter Pinchinat. Oui! un peu trop d'accidents,
en effet, ainsi que le lecteur ne va pas tarder à l'apprendre.

Tous ces propos ont été tenus en français. Mais ils auraient pu
l'être en anglais, car ce quatuor parle la langue de Walter Scott
et de Cooper comme sa propre langue, grâce à de nombreuses
pérégrinations au milieu des pays d'origine anglo-saxonne. Aussi
est-ce en cette langue qu'ils viennent interpeller le conducteur
du coach.

Le brave homme a le plus souffert, ayant été précipité de son
siège à l'instant où s'est brisé l'essieu de l'avant-train.
Toutefois, cela se réduit à diverses contusions moins graves que
douloureuses. Il ne peut marcher cependant par suite d'une
foulure. De là, nécessité de lui trouver quelque mode de transport
jusqu'au prochain village.

C'est miracle, en vérité, que l'accident n'ait provoqué mort
d'homme. La route sinue à travers une contrée montagneuse, rasant
des précipices profonds, bordée en maints endroits de torrents
tumultueux, coupée de gués malaisément praticables Si l'avant-
train se fût rompu quelques pas en aval, nul doute que le véhicule
eût roulé sur les roches de ces abîmes, et peut-être personne
n'aurait-il survécu à la catastrophe.

Quoi qu'il en soit, le coach est hors d'usage. Un des deux
chevaux, dont la tête a heurté une pierre aiguë, râle sur le sol.
L'autre est assez grièvement blessé à la hanche. Donc, plus de
voiture et plus d'attelage.

En somme, la mauvaise chance ne les aura guère épargnés, ces
quatre artistes, sur les territoires de la Basse-Californie. Deux
accidents en vingt-quatre heures... et, à moins qu'on ne soit
philosophe...

À cette époque, San-Francisco, la capitale de l'État, est en
communication directe par voie ferrée avec San-Diégo, située
presque à la frontière de la vieille province californienne. C'est
vers cette importante ville, où ils doivent donner le surlendemain
un concert très annoncé et très attendu, que se dirigeaient les
quatre voyageurs. Parti la veille de San-Francisco, le train
n'était guère qu'à une cinquantaine de milles de San-Diégo,
lorsqu'un premier contretemps s'est produit.

Oui, _contretemps!_ comme le dit le plus jovial de la troupe, et
l'on voudra bien tolérer cette expression de la part d'un ancien
lauréat de solfège.

Et s'il y a eu une halte forcée à la station de Paschal, c'est que
la voie avait été emportée par une crue soudaine sur une longueur
de trois à quatre milles. Impossible d'aller reprendre le rail-
road à deux milles au delà, le transbordement n'ayant pas encore
été organisé, car l'accident ne datait que de quelques heures.

Il a fallu choisir: ou attendre que la voie fût redevenue
praticable, ou prendre, à la prochaine bourgade, une voiture
quelconque pour San-Diégo.

C'est à cette dernière solution que s'est arrêté le quatuor. Dans
un village voisin, on a découvert une sorte de vieux landau
sonnant la ferraille, mangé des mites, pas du tout confortable. On
a fait prix avec le louager, on a amorcé le conducteur par la
promesse d'un bon pourboire, on est parti avec les instruments
sans les bagages. Il était environ deux heures de l'après-midi,
et, jusqu'à sept heures du soir, le voyage s'est accompli sans
trop de difficultés ni trop de fatigues. Mais voici qu'un deuxième
_contretemps_ vient de se produire: versement du coach, et si
malencontreux qu'il est impossible de se servir dudit coach pour
continuer la route.

Et le quatuor se trouve à une bonne vingtaine de milles de San-
Diégo!

Aussi, pourquoi quatre musiciens, Français de nationalité, et, qui
plus est, Parisiens de naissance, se sont-ils aventurés à travers
ces régions invraisemblables de la Basse-Californie?

Pourquoi?... Nous allons le dire sommairement, et peindre de
quelques traits les quatre virtuoses que le hasard, ce fantaisiste
distributeur de rôles, allait introduire parmi les personnages de
cette extraordinaire histoire.

Dans le cours de cette année-là, -- nous ne saurions la préciser à
trente ans près, -- les États-Unis d'Amérique ont doublé le nombre
des étoiles du pavillon fédératif. Ils sont dans l'entier
épanouissement de leur puissance industrielle et commerciale,
après s'être annexé le Dominion of Canada jusqu'aux dernières
limites de la mer polaire, les provinces mexicaines,
guatémaliennes, hondurassiennes, nicaraguiennes et costariciennes
jusqu'au canal de Panama. En même temps, le sentiment de l'art
s'est développé chez ces Yankees envahisseurs, et si leurs
productions se limitent à un chiffre restreint dans le domaine du
beau, si leur génie national se montre encore un peu rebelle en
matière de peinture, de sculpture et de musique, du moins le goût
des belles oeuvres s'est-il universellement répandu chez eux. À
force d'acheter au poids de l'or les tableaux des maîtres anciens
et modernes pour composer des galeries privées ou publiques, à
force d'engager à des prix formidables les artistes lyriques ou
dramatiques de renom, les instrumentistes du plus haut talent, ils
se sont infusé le sens des belles et nobles choses qui leur avait
manqué si longtemps.

En ce qui concerne la musique, c'est à l'audition des Meyerbeer,
des Halévy, des Gounod, des Berlioz, des Wagner, des Verdi, des
Massé, des Saint-Saëns, des Reyer, des Massenet, des Delibes, les
célèbres compositeurs de la seconde moitié du XIXe siècle, que se
sont d'abord passionnés les dilettanti du nouveau continent. Puis,
peu à peu, ils sont venus à la compréhension de l'oeuvre plus
pénétrante des Mozart, des Haydn, des Beethoven, remontant vers
les sources de cet art sublime, qui s'épanchait à pleins bords au
cours de XVIIIe siècle. Après les opéras, les drames lyriques,
après les drames lyriques, les symphonies, les sonates, les suites
d'orchestre. Et, précisément, à l'heure où nous parlons, la sonate
fait fureur chez les divers États de l'Union. On la paierait
volontiers à tant la note, vingt dollars la blanche, dix dollars
la noire, cinq dollars la croche.

C'est alors que, connaissant cet extrême engouement, quatre
instrumentistes de grande valeur eurent l'idée d'aller demander le
succès et la fortune aux États-Unis d'Amérique. Quatre bons
camarades, anciens élèves du Conservatoire, très connus à Paris,
très appréciés aux auditions de ce qu'on appelle «la musique de
chambre», jusqu'alors peu répandue dans le Nord-Amérique. Avec
quelle rare perfection, quel merveilleux ensemble, quel sentiment
profond, ils interprétaient les oeuvres de Mozart, de Beethoven,
de Mendelsohn, d'Haydn, de Chopin, écrites pour quatre instruments
à cordes, un premier et un second violon, un alto, un violoncelle!
Rien de bruyant, n'est-il pas vrai, rien qui dénotât le métier,
mais quelle exécution irréprochable, quelle incomparable
virtuosité! Le succès de ce quatuor est d'autant plus explicable
qu'à cette époque on commençait à se fatiguer des formidables
orchestres harmoniques et symphoniques. Que la musique ne soit
qu'un ébranlement artistement combiné des ondes sonores, soit.
Encore ne faut-il pas déchaîner ces ondes en tempêtes
assourdissantes.

Bref, nos quatre instrumentistes résolurent d'initier les
Américains aux douces et ineffables jouissances de la musique de
chambre. Ils partirent de conserve pour le nouveau monde, et,
pendant ces deux dernières années, les dilettanti yankees ne leur
ménagèrent ni les hurrahs ni les dollars. Leurs matinées ou
soirées musicales furent extrêmement suivies. Le Quatuor
Concertant -- ainsi les désignait-on, -- pouvait à peine suffire
aux invitations des riches particuliers. Sans lui, pas de fête,
pas de réunion, pas de raout, pas de five o'clock, pas de garden-
partys même qui eussent mérité d'être signalés à l'attention
publique. À cet engouement, ledit quatuor avait empoché de fortes
sommes, lesquelles, si elles se fussent accumulées dans les
coffres de la Banque de New-York, auraient constitué déjà un joli
capital. Mais pourquoi ne point l'avouer? Ils dépensent largement,
nos Parisiens américanisés! Ils ne songent guère à thésauriser,
ces princes de l'archet, ces rois des quatre cordes! Ils ont pris
goût à cette existence d'aventures, assurés de rencontrer partout
et toujours bon accueil et bon profit, courant de New-York à San-
Francisco, de Québec à la Nouvelle-Orléans, de la Nouvelle-Écosse
au Texas, enfin quelque peu bohèmes, -- de cette Bohême de la
jeunesse, qui est bien la plus ancienne, la plus charmante, la
plus enviable, la plus aimée province de notre vieille France!

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Lorsqu'un voyage commence mal, il est rare qu'il finisse bien.
Tout au moins, est-ce une opinion qu'auraient le droit de soutenir
quatre instrumentistes, dont les instruments gisent sur le sol. En
effet, le coach, dans lequel ils avaient dû prendre place à la
dernière station du rail-road, vient de verser brusquement contre
le talus de la route.

«Personne de blessé?... demande le premier, qui s'est lestement
redressé sur ses jambes.

-- J'en suis quitte pour une égratignure! répond le second, en
essuyant sa joue zébrée par un éclat de verre.

-- Moi pour une écorchure!» réplique le troisième, dont le mollet
perd quelques gouttes de sang. Tout cela peu grave, en somme. «Et
mon violoncelle?... s'écrie le quatrième. Pourvu qu'il ne soit
rien arrivé à mon violoncelle!»

Par bonheur, les étuis sont intacts. Ni le violoncelle, ni les
deux violons, ni l'alto, n'ont souffert du choc, et c'est à peine
s'il sera nécessaire de les remettre au diapason. Des instruments
de bonne marque, n'est-il pas vrai?

«Maudit chemin de fer qui nous a laissés en détresse à moitié
route!... reprend l'un.

-- Maudite voiture qui nous a chavirés en pleine campagne
déserte!... riposte l'autre.

-- Juste au moment où la nuit commence à se faire!... ajoute le
troisième.

-- Heureusement, notre concert n'est annoncé que pour après-
demain!» observe le quatrième.

Puis, diverses réparties cocasses de s'échanger entre ces
artistes, qui ont pris gaiement leur mésaventure. Et l'un d'eux,
suivant une habitude invétérée, empruntant ses calembredaines aux
locutions de la musique, de dire:

«En attendant, voilà notre coach _mi_ sur le _do_!

-- Pinchinat! crie l'un de ses compagnons.

-- Et mon opinion, continue Pinchinat, c'est qu'il y a un peu trop
_d'accidents à la clef_!

-- Te tairas-tu?...

-- Et que nous ferons bien de _transposer nos morceaux_ dans un
autre coach!» ose ajouter Pinchinat. Oui! un peu trop d'accidents,
en effet, ainsi que le lecteur ne va pas tarder à l'apprendre.

Tous ces propos ont été tenus en français. Mais ils auraient pu
l'être en anglais, car ce quatuor parle la langue de Walter Scott
et de Cooper comme sa propre langue, grâce à de nombreuses
pérégrinations au milieu des pays d'origine anglo-saxonne. Aussi
est-ce en cette langue qu'ils viennent interpeller le conducteur
du coach.

Le brave homme a le plus souffert, ayant été précipité de son
siège à l'instant où s'est brisé l'essieu de l'avant-train.
Toutefois, cela se réduit à diverses contusions moins graves que
douloureuses. Il ne peut marcher cependant par suite d'une
foulure. De là, nécessité de lui trouver quelque mode de transport
jusqu'au prochain village.

C'est miracle, en vérité, que l'accident n'ait provoqué mort
d'homme. La route sinue à travers une contrée montagneuse, rasant
des précipices profonds, bordée en maints endroits de torrents
tumultueux, coupée de gués malaisément praticables Si l'avant-
train se fût rompu quelques pas en aval, nul doute que le véhicule
eût roulé sur les roches de ces abîmes, et peut-être personne
n'aurait-il survécu à la catastrophe.

Quoi qu'il en soit, le coach est hors d'usage. Un des deux
chevaux, dont la tête a heurté une pierre aiguë, râle sur le sol.
L'autre est assez grièvement blessé à la hanche. Donc, plus de
voiture et plus d'attelage.

En somme, la mauvaise chance ne les aura guère épargnés, ces
quatre artistes, sur les territoires de la Basse-Californie. Deux
accidents en vingt-quatre heures... et, à moins qu'on ne soit
philosophe...

À cette époque, San-Francisco, la capitale de l'État, est en
communication directe par voie ferrée avec San-Diégo, située
presque à la frontière de la vieille province californienne. C'est
vers cette importante ville, où ils doivent donner le surlendemain
un concert très annoncé et très attendu, que se dirigeaient les
quatre voyageurs. Parti la veille de San-Francisco, le train
n'était guère qu'à une cinquantaine de milles de San-Diégo,
lorsqu'un premier contretemps s'est produit.

Oui, _contretemps!_ comme le dit le plus jovial de la troupe, et
l'on voudra bien tolérer cette expression de la part d'un ancien
lauréat de solfège.

Et s'il y a eu une halte forcée à la station de Paschal, c'est que
la voie avait été emportée par une crue soudaine sur une longueur
de trois à quatre milles. Impossible d'aller reprendre le rail-
road à deux milles au delà, le transbordement n'ayant pas encore
été organisé, car l'accident ne datait que de quelques heures.

Il a fallu choisir: ou attendre que la voie fût redevenue
praticable, ou prendre, à la prochaine bourgade, une voiture
quelconque pour San-Diégo.

C'est à cette dernière solution que s'est arrêté le quatuor. Dans
un village voisin, on a découvert une sorte de vieux landau
sonnant la ferraille, mangé des mites, pas du tout confortable. On
a fait prix avec le louager, on a amorcé le conducteur par la
promesse d'un bon pourboire, on est parti avec les instruments
sans les bagages. Il était environ deux heures de l'après-midi,
et, jusqu'à sept heures du soir, le voyage s'est accompli sans
trop de difficultés ni trop de fatigues. Mais voici qu'un deuxième
_contretemps_ vient de se produire: versement du coach, et si
malencontreux qu'il est impossible de se servir dudit coach pour
continuer la route.

Et le quatuor se trouve à une bonne vingtaine de milles de San-
Diégo!

Aussi, pourquoi quatre musiciens, Français de nationalité, et, qui
plus est, Parisiens de naissance, se sont-ils aventurés à travers
ces régions invraisemblables de la Basse-Californie?

Pourquoi?... Nous allons le dire sommairement, et peindre de
quelques traits les quatre virtuoses que le hasard, ce fantaisiste
distributeur de rôles, allait introduire parmi les personnages de
cette extraordinaire histoire.

Dans le cours de cette année-là, -- nous ne saurions la préciser à
trente ans près, -- les États-Unis d'Amérique ont doublé le nombre
des étoiles du pavillon fédératif. Ils sont dans l'entier
épanouissement de leur puissance industrielle et commerciale,
après s'être annexé le Dominion of Canada jusqu'aux dernières
limites de la mer polaire, les provinces mexicaines,
guatémaliennes, hondurassiennes, nicaraguiennes et costariciennes
jusqu'au canal de Panama. En même temps, le sentiment de l'art
s'est développé chez ces Yankees envahisseurs, et si leurs
productions se limitent à un chiffre restreint dans le domaine du
beau, si leur génie national se montre encore un peu rebelle en
matière de peinture, de sculpture et de musique, du moins le goût
des belles oeuvres s'est-il universellement répandu chez eux. À
force d'acheter au poids de l'or les tableaux des maîtres anciens
et modernes pour composer des galeries privées ou publiques, à
force d'engager à des prix formidables les artistes lyriques ou
dramatiques de renom, les instrumentistes du plus haut talent, ils
se sont infusé le sens des belles et nobles choses qui leur avait
manqué si longtemps.

En ce qui concerne la musique, c'est à l'audition des Meyerbeer,
des Halévy, des Gounod, des Berlioz, des Wagner, des Verdi, des
Massé, des Saint-Saëns, des Reyer, des Massenet, des Delibes, les
célèbres compositeurs de la seconde moitié du XIXe siècle, que se
sont d'abord passionnés les dilettanti du nouveau continent. Puis,
peu à peu, ils sont venus à la compréhension de l'oeuvre plus
pénétrante des Mozart, des Haydn, des Beethoven, remontant vers
les sources de cet art sublime, qui s'épanchait à pleins bords au
cours de XVIIIe siècle. Après les opéras, les drames lyriques,
après les drames lyriques, les symphonies, les sonates, les suites
d'orchestre. Et, précisément, à l'heure où nous parlons, la sonate
fait fureur chez les divers États de l'Union. On la paierait
volontiers à tant la note, vingt dollars la blanche, dix dollars
la noire, cinq dollars la croche.

C'est alors que, connaissant cet extrême engouement, quatre
instrumentistes de grande valeur eurent l'idée d'aller demander le
succès et la fortune aux États-Unis d'Amérique. Quatre bons
camarades, anciens élèves du Conservatoire, très connus à Paris,
très appréciés aux auditions de ce qu'on appelle «la musique de
chambre», jusqu'alors peu répandue dans le Nord-Amérique. Avec
quelle rare perfection, quel merveilleux ensemble, quel sentiment
profond, ils interprétaient les oeuvres de Mozart, de Beethoven,
de Mendelsohn, d'Haydn, de Chopin, écrites pour quatre instruments
à cordes, un premier et un second violon, un alto, un violoncelle!
Rien de bruyant, n'est-il pas vrai, rien qui dénotât le métier,
mais quelle exécution irréprochable, quelle incomparable
virtuosité! Le succès de ce quatuor est d'autant plus explicable
qu'à cette époque on commençait à se fatiguer des formidables
orchestres harmoniques et symphoniques. Que la musique ne soit
qu'un ébranlement artistement combiné des ondes sonores, soit.
Encore ne faut-il pas déchaîner ces ondes en tempêtes
assourdissantes.

Bref, nos quatre instrumentistes résolurent d'initier les
Américains aux douces et ineffables jouissances de la musique de
chambre. Ils partirent de conserve pour le nouveau monde, et,
pendant ces deux dernières années, les dilettanti yankees ne leur
ménagèrent ni les hurrahs ni les dollars. Leurs matinées ou
soirées musicales furent extrêmement suivies. Le Quatuor
Concertant -- ainsi les désignait-on, -- pouvait à peine suffire
aux invitations des riches particuliers. Sans lui, pas de fête,
pas de réunion, pas de raout, pas de five o'clock, pas de garden-
partys même qui eussent mérité d'être signalés à l'attention
publique. À cet engouement, ledit quatuor avait empoché de fortes
sommes, lesquelles, si elles se fussent accumulées dans les
coffres de la Banque de New-York, auraient constitué déjà un joli
capital. Mais pourquoi ne point l'avouer? Ils dépensent largement,
nos Parisiens américanisés! Ils ne songent guère à thésauriser,
ces princes de l'archet, ces rois des quatre cordes! Ils ont pris
goût à cette existence d'aventures, assurés de rencontrer partout
et toujours bon accueil et bon profit, courant de New-York à San-
Francisco, de Québec à la Nouvelle-Orléans, de la Nouvelle-Écosse
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