Author: | Stella Blandy | ISBN: | 1230002367705 |
Publisher: | Paris : Firmin-Didot, 1882 | Publication: | June 9, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Stella Blandy |
ISBN: | 1230002367705 |
Publisher: | Paris : Firmin-Didot, 1882 |
Publication: | June 9, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
Extrait: Je venais de remporter ce soir-là un de ces petits triomphes qui sont si doux aux jeunes filles, et plus doux encore, s’il se peut, à leurs parents. J’avais joué passablement, à première vue, un morceau de musique arrivé pour moi par le dernier courrier. C’était cette Marche funèbre d’une Marionnette que Gounod a empreinte d’une si fine ironie et dont les notes piquées sautillantes portent un deuil pour rire et se lamentent en gambadant.
Après le dernier accord, j’imprimai un mouvement de rotation à mon tabouret de piano pour juger de l’effet produit sur mon auditoire qui se composait de mon grand-père et de ma tante Paule, et je leur vis échanger un sourire qui me paya de mes efforts pour les contenter.
Ils n’étaient, ni l’un ni l’autre, prodigues de louanges à mon égard, ce qui donnait un grand prix à leurs plus légers encouragements. J’étais donc radieuse de leur approbation, lorsque tante Paule tira un long soupir du fond de sa poitrine et dit, en me regardant avec des yeux humides :
« Chère Anna ! Pauvre. pauvre petite ! »
C’était là une exclamation familière à tante Paule ; mais elle ne s’en servait jamais qu’à mon sujet, et du ton le plus navré, surtout quand elle me voyait en gaieté ou en succès. J’avais longtemps accepté, avec l’insouciance du jeune âge, la commisération que ces deux mots faisaient tomber sur moi ; puis je m’en étais étonnée et j’avais demandé à tante Paule en quoi elle me trouvait à plaindre. Je n’avais obtenu d’elle que la répétition de ces mêmes mots qui décidément étaient son refrain à mon égard.
Peut-être les aurais-je laissé passer ce soir-là, comme d’habitude, sans soupçonner qu’ils déploraient une injustice du sort à mon égard ; mais mon grand-père quitta brusquement son fauteuil et se pencha sur le métier à broder de tante Paule pour lui parler tout bas. Quoique je n’entendisse pas ce qu’il lui disait, son ton, ses gestes exprimaient du mécontentement. Il la grondait au sujet de son exclamation, et elle lui répondit, sans prendre la peine de baisser la voix :
« Mais, mon père, elle a seize ans, et vous n’espérez point la garder sa vie entière ignorante de tout ce qui l’intéresse ? »
Qu’y avait-il donc ? Quel était ce mystère de malheur que grand-père tenait à me cacher, et que la pitié de tante Paule aurait dû me faire pressentir depuis longtemps ? Déjà un peu émue par la musique, je fus prise d’un accès de sensibilité d’autant plus vif qu’il était sans cause appréciable pour moi, et j’allai me jeter en pleurant dans les bras de tante Paule.
Extrait: Je venais de remporter ce soir-là un de ces petits triomphes qui sont si doux aux jeunes filles, et plus doux encore, s’il se peut, à leurs parents. J’avais joué passablement, à première vue, un morceau de musique arrivé pour moi par le dernier courrier. C’était cette Marche funèbre d’une Marionnette que Gounod a empreinte d’une si fine ironie et dont les notes piquées sautillantes portent un deuil pour rire et se lamentent en gambadant.
Après le dernier accord, j’imprimai un mouvement de rotation à mon tabouret de piano pour juger de l’effet produit sur mon auditoire qui se composait de mon grand-père et de ma tante Paule, et je leur vis échanger un sourire qui me paya de mes efforts pour les contenter.
Ils n’étaient, ni l’un ni l’autre, prodigues de louanges à mon égard, ce qui donnait un grand prix à leurs plus légers encouragements. J’étais donc radieuse de leur approbation, lorsque tante Paule tira un long soupir du fond de sa poitrine et dit, en me regardant avec des yeux humides :
« Chère Anna ! Pauvre. pauvre petite ! »
C’était là une exclamation familière à tante Paule ; mais elle ne s’en servait jamais qu’à mon sujet, et du ton le plus navré, surtout quand elle me voyait en gaieté ou en succès. J’avais longtemps accepté, avec l’insouciance du jeune âge, la commisération que ces deux mots faisaient tomber sur moi ; puis je m’en étais étonnée et j’avais demandé à tante Paule en quoi elle me trouvait à plaindre. Je n’avais obtenu d’elle que la répétition de ces mêmes mots qui décidément étaient son refrain à mon égard.
Peut-être les aurais-je laissé passer ce soir-là, comme d’habitude, sans soupçonner qu’ils déploraient une injustice du sort à mon égard ; mais mon grand-père quitta brusquement son fauteuil et se pencha sur le métier à broder de tante Paule pour lui parler tout bas. Quoique je n’entendisse pas ce qu’il lui disait, son ton, ses gestes exprimaient du mécontentement. Il la grondait au sujet de son exclamation, et elle lui répondit, sans prendre la peine de baisser la voix :
« Mais, mon père, elle a seize ans, et vous n’espérez point la garder sa vie entière ignorante de tout ce qui l’intéresse ? »
Qu’y avait-il donc ? Quel était ce mystère de malheur que grand-père tenait à me cacher, et que la pitié de tante Paule aurait dû me faire pressentir depuis longtemps ? Déjà un peu émue par la musique, je fus prise d’un accès de sensibilité d’autant plus vif qu’il était sans cause appréciable pour moi, et j’allai me jeter en pleurant dans les bras de tante Paule.