Author: | Henry James | ISBN: | 1230000229191 |
Publisher: | GO | Publication: | March 29, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Henry James |
ISBN: | 1230000229191 |
Publisher: | GO |
Publication: | March 29, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
C’était à Hambourg il y a quelques années. Je venais d’entrer dans le Kursaal, et je rôdai d’abord en curieux autour de la table où l’on jouait à la roulette. Peu à peu je parvins à me glisser à travers le cercle extérieur. À peine l’eus-je franchi que j’aperçus un jeune homme dont le visage me frappa. Où donc avais-je vu ce front large, ces yeux bleus, ce long cou, cette chevelure bouclée ? Évidemment je connaissais un visage frère de celui-là ; mais ma mémoire ne me rappelait aucun souvenir plus précis. L’inconnu, dont les traits respiraient la franchise et la bonté, suivait les péripéties du jeu avec un intérêt qu’il ne cherchait pas à cacher, et son étonnement naïf formait un agréable contraste avec le masque dur et impassible des gens qui l’entouraient. On devinait qu’il subissait pour la première fois une tentation à laquelle la timidité l’empêchait de céder. Tout en se laissant fasciner par le feu croisé des gains et des pertes, il remuait des pièces d’or dans une de ses poches, puis retirait sa main pour la passer sur son front avec un geste nerveux.
La plupart des spectateurs s’occupaient trop du jeu pour prêter beaucoup d’attention à leurs voisins. Je remarquai néanmoins, assise entre mon inconnu et moi, une dame qui paraissait moins absorbée. Bien qu’à Hombourg, au dire des habitués, il ne faille jamais se fier aux apparences, je demeurai persuadé que cette dame n’était pas du nombre de celles qui ont pour vocation spéciale d’attirer les regards des favoris de la fortune. On lui aurait donné une trentaine d’années ; mais il lui était encore permis de ne pas avouer le nombre exact de ses printemps. Elle avait de beaux yeux gris, une profusion de cheveux blonds et un sourire fort séduisant. Quoique son teint n’eût plus la fraîcheur de la première jeunesse, elle charmait par une certaine grâce sentimentale. Sa robe de mousseline blanche, garnie d’une multitude de bouillons et relevée par des rubans bleus, lui seyait à merveille. Je me flatte de deviner de prime abord la nationalité des gens, et il est rare que je me trompe. Cette beauté un peu fanée, un peu chiffonnée, un peu vaporeuse, était une Allemande, — une Allemande telle qu’on en rencontre dans le monde lettré. N’avais-je pas devant moi l’amie des poètes, la conseillère des philosophes, une muse, une prêtresse de l’esthétique, quelque chose comme une Bettina ou une Rahel ?.. Je coupai court à mes hypothèses.
C’était à Hambourg il y a quelques années. Je venais d’entrer dans le Kursaal, et je rôdai d’abord en curieux autour de la table où l’on jouait à la roulette. Peu à peu je parvins à me glisser à travers le cercle extérieur. À peine l’eus-je franchi que j’aperçus un jeune homme dont le visage me frappa. Où donc avais-je vu ce front large, ces yeux bleus, ce long cou, cette chevelure bouclée ? Évidemment je connaissais un visage frère de celui-là ; mais ma mémoire ne me rappelait aucun souvenir plus précis. L’inconnu, dont les traits respiraient la franchise et la bonté, suivait les péripéties du jeu avec un intérêt qu’il ne cherchait pas à cacher, et son étonnement naïf formait un agréable contraste avec le masque dur et impassible des gens qui l’entouraient. On devinait qu’il subissait pour la première fois une tentation à laquelle la timidité l’empêchait de céder. Tout en se laissant fasciner par le feu croisé des gains et des pertes, il remuait des pièces d’or dans une de ses poches, puis retirait sa main pour la passer sur son front avec un geste nerveux.
La plupart des spectateurs s’occupaient trop du jeu pour prêter beaucoup d’attention à leurs voisins. Je remarquai néanmoins, assise entre mon inconnu et moi, une dame qui paraissait moins absorbée. Bien qu’à Hombourg, au dire des habitués, il ne faille jamais se fier aux apparences, je demeurai persuadé que cette dame n’était pas du nombre de celles qui ont pour vocation spéciale d’attirer les regards des favoris de la fortune. On lui aurait donné une trentaine d’années ; mais il lui était encore permis de ne pas avouer le nombre exact de ses printemps. Elle avait de beaux yeux gris, une profusion de cheveux blonds et un sourire fort séduisant. Quoique son teint n’eût plus la fraîcheur de la première jeunesse, elle charmait par une certaine grâce sentimentale. Sa robe de mousseline blanche, garnie d’une multitude de bouillons et relevée par des rubans bleus, lui seyait à merveille. Je me flatte de deviner de prime abord la nationalité des gens, et il est rare que je me trompe. Cette beauté un peu fanée, un peu chiffonnée, un peu vaporeuse, était une Allemande, — une Allemande telle qu’on en rencontre dans le monde lettré. N’avais-je pas devant moi l’amie des poètes, la conseillère des philosophes, une muse, une prêtresse de l’esthétique, quelque chose comme une Bettina ou une Rahel ?.. Je coupai court à mes hypothèses.