LE ROSIER DE MADAME HUSSON

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book LE ROSIER DE MADAME HUSSON by GUY DE MAUPASSANT, GILBERT TEROL
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Author: GUY DE MAUPASSANT ISBN: 1230000211067
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 20, 2014
Imprint: Language: French
Author: GUY DE MAUPASSANT
ISBN: 1230000211067
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 20, 2014
Imprint:
Language: French

Ce livre comporte une table des matières dynamique, a été relue et corrigé.

Il est parfaitement mis en page pour une lecture sur liseuse électronique.

Extrait :

Le coupable était défendu par un tout jeune avocat, un débutant qui parla ainsi :

« Les faits sont indéniables, messieurs les jurés. Mon client, un honnête homme, un employé irréprochable, doux et timide, a assassiné son patron dans un mouvement de colère qui paraît incompréhensible. Voulez-vous me permettre de faire la psychologie de ce crime, si je puis ainsi parler, sans rien atténuer, sans rien excuser ? Vous jugerez ensuite.

« Jean-Nicolas Lougère est fils de gens très honorables qui ont fait de lui un homme simple et respectueux.

« Là est son crime : le respect ! C’est un sentiment, messieurs, que nous ne connaissons plus guère aujourd’hui, dont le nom seul semble exister encore et dont toute la puissance a disparu. Il faut entrer dans certaines familles arriérées et modestes, pour y retrouver cette tradition sévère, cette religion de la chose ou de l’homme, du sentiment ou de la croyance revêtus d’un caractère sacré, cette foi qui ne supporte ni le doute ni le sourire, ni l’effleurement d’un soupçon.

« On ne peut être un honnête homme, vraiment un honnête homme, dans toute la force de ce terme, que si on est un respectueux. L’homme qui respecte a les yeux fermés. Il croit. Nous autres, dont les yeux sont grands ouverts sur le monde, qui vivons ici, dans ce palais de la justice qui est l’égout de la société, où viennent échouer toutes les infamies, nous autres qui sommes les confidents de toutes les hontes, les défenseurs dévoués de toutes les gredineries humaines, les soutiens, pour ne pas dire souteneurs, de tous les drôles et de toutes les drôlesses, depuis les princes jusqu’aux rôdeurs de barrière, nous qui accueillons avec indulgence, avec complaisance, avec une bienveillance souriante tous les coupables pour les défendre devant vous, nous qui, si nous aimons vraiment notre métier, mesurons notre sympathie d’avocat à la grandeur du forfait, nous ne pouvons plus avoir l’âme respectueuse. Nous voyons trop ce fleuve de corruption qui va des chefs du Pouvoir aux derniers des gueux, nous savons trop comment tout se passe, comment tout se donne, comment tout se vend. Places, fonctions, honneurs, brutalement en échange d’un peu d’or, adroitement en échange de titres et de parts dans les entreprises industrielles, ou plus simplement contre un baiser de femme. Notre devoir et notre profession nous forcent à ne rien ignorer, à soupçonner tout le monde, car tout le monde est suspect ; et nous demeurons surpris quand nous nous trouvons en face d’un homme qui a, comme l’assassin assis devant vous, la religion du respect assez puissante pour en devenir un martyr.

« Nous autres, messieurs, nous avons de l’honneur comme on a des soins de propreté, par dégoût de la bassesse, par un sentiment de dignité personnelle et d’orgueil ; mais nous n’en portons pas au fond du cœur la foi aveugle, innée, brutale, comme cet homme.

« Laissez-moi vous raconter sa vie.

« Il fut élevé, comme on élevait autrefois les enfants, en faisant deux parts de tous les actes humains : ce qui est bien et ce qui est mal. On lui montra le bien avec une autorité irrésistible qui le lui fit distinguer du mal, comme on distingue le jour de la nuit. Son père n’appartenait pas à la race des esprits supérieurs qui, regardant de très haut, voient les sources des croyances et reconnaissent les nécessités sociales d’où sont nées ces distinctions.

« Il grandit donc, religieux et confiant, enthousiaste et borné.

« À vingt-deux ans il se maria. On lui fit épouser une cousine, élevée comme lui, simple comme lui, pure comme lui. Il eut cette chance inestimable d’avoir pour compagne une honnête femme au cœur droit, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus rare et de plus respectable au monde. Il avait pour sa mère la vénération qui entoure les mères dans les familles patriarcales, ce culte profond qu’on réserve aux divinités. Il reporta sur sa femme un peu de cette religion, à peine atténuée par les familiarités conjugales. Et il vécut dans une ignorance absolue de la fourberie, dans un état de droiture obstinée et de bonheur tranquille qui fit de lui un être à part. Ne trompant personne, il ne soupçonnait pas qu’on pût le tromper, lui.

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Ce livre comporte une table des matières dynamique, a été relue et corrigé.

Il est parfaitement mis en page pour une lecture sur liseuse électronique.

Extrait :

Le coupable était défendu par un tout jeune avocat, un débutant qui parla ainsi :

« Les faits sont indéniables, messieurs les jurés. Mon client, un honnête homme, un employé irréprochable, doux et timide, a assassiné son patron dans un mouvement de colère qui paraît incompréhensible. Voulez-vous me permettre de faire la psychologie de ce crime, si je puis ainsi parler, sans rien atténuer, sans rien excuser ? Vous jugerez ensuite.

« Jean-Nicolas Lougère est fils de gens très honorables qui ont fait de lui un homme simple et respectueux.

« Là est son crime : le respect ! C’est un sentiment, messieurs, que nous ne connaissons plus guère aujourd’hui, dont le nom seul semble exister encore et dont toute la puissance a disparu. Il faut entrer dans certaines familles arriérées et modestes, pour y retrouver cette tradition sévère, cette religion de la chose ou de l’homme, du sentiment ou de la croyance revêtus d’un caractère sacré, cette foi qui ne supporte ni le doute ni le sourire, ni l’effleurement d’un soupçon.

« On ne peut être un honnête homme, vraiment un honnête homme, dans toute la force de ce terme, que si on est un respectueux. L’homme qui respecte a les yeux fermés. Il croit. Nous autres, dont les yeux sont grands ouverts sur le monde, qui vivons ici, dans ce palais de la justice qui est l’égout de la société, où viennent échouer toutes les infamies, nous autres qui sommes les confidents de toutes les hontes, les défenseurs dévoués de toutes les gredineries humaines, les soutiens, pour ne pas dire souteneurs, de tous les drôles et de toutes les drôlesses, depuis les princes jusqu’aux rôdeurs de barrière, nous qui accueillons avec indulgence, avec complaisance, avec une bienveillance souriante tous les coupables pour les défendre devant vous, nous qui, si nous aimons vraiment notre métier, mesurons notre sympathie d’avocat à la grandeur du forfait, nous ne pouvons plus avoir l’âme respectueuse. Nous voyons trop ce fleuve de corruption qui va des chefs du Pouvoir aux derniers des gueux, nous savons trop comment tout se passe, comment tout se donne, comment tout se vend. Places, fonctions, honneurs, brutalement en échange d’un peu d’or, adroitement en échange de titres et de parts dans les entreprises industrielles, ou plus simplement contre un baiser de femme. Notre devoir et notre profession nous forcent à ne rien ignorer, à soupçonner tout le monde, car tout le monde est suspect ; et nous demeurons surpris quand nous nous trouvons en face d’un homme qui a, comme l’assassin assis devant vous, la religion du respect assez puissante pour en devenir un martyr.

« Nous autres, messieurs, nous avons de l’honneur comme on a des soins de propreté, par dégoût de la bassesse, par un sentiment de dignité personnelle et d’orgueil ; mais nous n’en portons pas au fond du cœur la foi aveugle, innée, brutale, comme cet homme.

« Laissez-moi vous raconter sa vie.

« Il fut élevé, comme on élevait autrefois les enfants, en faisant deux parts de tous les actes humains : ce qui est bien et ce qui est mal. On lui montra le bien avec une autorité irrésistible qui le lui fit distinguer du mal, comme on distingue le jour de la nuit. Son père n’appartenait pas à la race des esprits supérieurs qui, regardant de très haut, voient les sources des croyances et reconnaissent les nécessités sociales d’où sont nées ces distinctions.

« Il grandit donc, religieux et confiant, enthousiaste et borné.

« À vingt-deux ans il se maria. On lui fit épouser une cousine, élevée comme lui, simple comme lui, pure comme lui. Il eut cette chance inestimable d’avoir pour compagne une honnête femme au cœur droit, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus rare et de plus respectable au monde. Il avait pour sa mère la vénération qui entoure les mères dans les familles patriarcales, ce culte profond qu’on réserve aux divinités. Il reporta sur sa femme un peu de cette religion, à peine atténuée par les familiarités conjugales. Et il vécut dans une ignorance absolue de la fourberie, dans un état de droiture obstinée et de bonheur tranquille qui fit de lui un être à part. Ne trompant personne, il ne soupçonnait pas qu’on pût le tromper, lui.

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