Author: | Judith Gautier | ISBN: | 1230001680560 |
Publisher: | Judith Gautier | Publication: | May 16, 2017 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Judith Gautier |
ISBN: | 1230001680560 |
Publisher: | Judith Gautier |
Publication: | May 16, 2017 |
Imprint: | |
Language: | French |
EXTRAIT:
I
Le train roule d’une allure paisible, comme il convient à un brave train suisse qui traverse de beaux paysages, et n’entend pas escamoter les points de vue en brûlant la route. À chaque station, il s’arrête longuement, et repart comme en flânant.
Dans le compartiment, nous sommes quelques Français très impatientés par cette lenteur. D’ordinaire pourtant, dans nos excursions, elle ne nous déplaît pas du tout, mais aujourd’hui !…
Une fébrilité extrême nous agite tous : impossible de rester en place ; nous passons la tête hors des portières, à tous moments, et nos regards devancent le train.
Villiers de l’Isle-Adam est parmi nous, et le plus exalté. Sa joie intérieure déborde continuellement en un rire saccadé où s’emmêlent d’incompréhensibles phrases.
Nous allons à Lucerne voir, pour la première fois, Richard Wagner !…
L’express le plus vertigineux nous semblerait lent, et cependant nous avons aussi l’appréhension d’arriver, de voir le Maître, de l’entendre, de lui parler.
Ce qu’était pour nous ce prodigieux génie, comment le faire comprendre à ceux qui n’ont pas connu cette époque ? Un petit groupe d’apôtres et de disciples était alors seul à soutenir le Maître contre la foule outrageante qui le méconnaissait. Aujourd’hui, où le triomphe de la cause que nous défendions a surpassé nos espoirs, il n’est pas facile de s’expliquer notre exaltation. Nous avions le fanatisme de sectaires, prêts au martyre, et, plus encore, à l’égorgement des adversaires. Il eût certes été impossible de nous convaincre que l’anéantissement des aveugles à cette beauté nouvelle n’était pas parfaitement légitime.
Chaque dimanche, quand Pasdeloup jouait « du Wagner », il y avait, dans l’enceinte du Cirque, des défis homériques entre les deux camps adverses, et le municipal devait, bien souvent, s’interposer pour arrêter les combats.
Jamais nous n’aurions imaginé qu’un jour nous pourrions contempler la face du Maître, qui était pour nous aussi inconnaissable que Jupiter au fond de l’Olympe, ou Jéhovah derrière le flamboyant triangle. Et nous allions vers lui…
— C’est pourtant à vous, ma chère Judith, que nous devons cette incroyable fortune ! — s’écrie Villiers, qui vient tomber sur la banquette où je suis et serre ma main dans les deux siennes.
C’est à moi, en effet, et mon orgueil n’est pas mince.
N’ai-je pas eu l’audace, il y a quelques mois, de publier, avec une étourderie bien française, n’ayant entendu, à l’orchestre, de l’œuvre gigantesque, que quelques fragments médiocrement exécutés, me fiant à mon seul instinct et emportée par mon enthousiasme, une série d’articles sur Richard Wagner ? J’avais même attaqué une étude sur Glück et Wagner que publiait Ernest Reyer, — un ami qui m’avait vue naître, et qui fut stupéfait par cette agression imprévue : — la jeunesse ne doute de rien. Il m’avait d’ailleurs courtoisement répondu et cette passe d’armes avait fait un beau bruit.
EXTRAIT:
I
Le train roule d’une allure paisible, comme il convient à un brave train suisse qui traverse de beaux paysages, et n’entend pas escamoter les points de vue en brûlant la route. À chaque station, il s’arrête longuement, et repart comme en flânant.
Dans le compartiment, nous sommes quelques Français très impatientés par cette lenteur. D’ordinaire pourtant, dans nos excursions, elle ne nous déplaît pas du tout, mais aujourd’hui !…
Une fébrilité extrême nous agite tous : impossible de rester en place ; nous passons la tête hors des portières, à tous moments, et nos regards devancent le train.
Villiers de l’Isle-Adam est parmi nous, et le plus exalté. Sa joie intérieure déborde continuellement en un rire saccadé où s’emmêlent d’incompréhensibles phrases.
Nous allons à Lucerne voir, pour la première fois, Richard Wagner !…
L’express le plus vertigineux nous semblerait lent, et cependant nous avons aussi l’appréhension d’arriver, de voir le Maître, de l’entendre, de lui parler.
Ce qu’était pour nous ce prodigieux génie, comment le faire comprendre à ceux qui n’ont pas connu cette époque ? Un petit groupe d’apôtres et de disciples était alors seul à soutenir le Maître contre la foule outrageante qui le méconnaissait. Aujourd’hui, où le triomphe de la cause que nous défendions a surpassé nos espoirs, il n’est pas facile de s’expliquer notre exaltation. Nous avions le fanatisme de sectaires, prêts au martyre, et, plus encore, à l’égorgement des adversaires. Il eût certes été impossible de nous convaincre que l’anéantissement des aveugles à cette beauté nouvelle n’était pas parfaitement légitime.
Chaque dimanche, quand Pasdeloup jouait « du Wagner », il y avait, dans l’enceinte du Cirque, des défis homériques entre les deux camps adverses, et le municipal devait, bien souvent, s’interposer pour arrêter les combats.
Jamais nous n’aurions imaginé qu’un jour nous pourrions contempler la face du Maître, qui était pour nous aussi inconnaissable que Jupiter au fond de l’Olympe, ou Jéhovah derrière le flamboyant triangle. Et nous allions vers lui…
— C’est pourtant à vous, ma chère Judith, que nous devons cette incroyable fortune ! — s’écrie Villiers, qui vient tomber sur la banquette où je suis et serre ma main dans les deux siennes.
C’est à moi, en effet, et mon orgueil n’est pas mince.
N’ai-je pas eu l’audace, il y a quelques mois, de publier, avec une étourderie bien française, n’ayant entendu, à l’orchestre, de l’œuvre gigantesque, que quelques fragments médiocrement exécutés, me fiant à mon seul instinct et emportée par mon enthousiasme, une série d’articles sur Richard Wagner ? J’avais même attaqué une étude sur Glück et Wagner que publiait Ernest Reyer, — un ami qui m’avait vue naître, et qui fut stupéfait par cette agression imprévue : — la jeunesse ne doute de rien. Il m’avait d’ailleurs courtoisement répondu et cette passe d’armes avait fait un beau bruit.