Author: | Alexandre Dumas | ISBN: | 1230000673662 |
Publisher: | Consumer Oriented Ebooks Publisher | Publication: | September 20, 2015 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Alexandre Dumas |
ISBN: | 1230000673662 |
Publisher: | Consumer Oriented Ebooks Publisher |
Publication: | September 20, 2015 |
Imprint: | |
Language: | French |
Mon cher ami, vous m'avez dit souvent,--au milieu de ces soirées,
devenues trop rares, où chacun bavarde à loisir, ou disant le rêve de
son coeur, ou suivant le caprice de son esprit, ou gaspillant le trésor
de ses souvenirs,--vous m'avez dit souvent que depuis Scheherazade et
après Nodier, j'étais un des plus amusants conteurs que vous eussiez
entendus. Voilà aujourd'hui que vous m'écrivez qu'en attendant un long
roman de moi,--vous savez, un de ces romans interminables comme j'en
écris, et dans lesquels je fais entrer tout un siècle,--vous voudriez
bien quelques contes,--deux, quatre ou six volumes tout au plus,
pauvres fleurs de mon jardin, que vous comptez jeter au milieu des
préoccupations politiques du moment, entre le procès de Bourges, par
exemple, et les élections du mois de mai.
Hélas! mon ami, l'époque est triste, et mes contes, je vous en préviens,
ne seront pas gais. Seulement, vous permettrez que, lassé de ce que je
vois se passer tous les jours dans le monde réel, j'aille chercher mes
récits dans le monde imaginaire. Hélas! j'ai bien peur que tous les
esprits un peu élevés, un peu poétiques, un peu rêveurs, n'en soient à
cette heure où en est le mien, c'est-à-dire à la recherche de l'idéal,
le seul, refuge que Dieu nous laisse contre la réalité.
Tenez, je suis là au milieu de cinquante volumes ouverts à propos d'une
histoire de la Régence que je viens d'achever, et que je vous prie, si
vous en rendez compte, d'inviter les mères à ne pas laisser lire à leurs
filles. Eh bien! je suis là, vous disais-je, et, tout en vous écrivant,
mes yeux s'arrêtent sur une page des Mémoires du marquis d'Argenson, où,
au-dessous de ces mots: _De la Conversation d'autrefois et de celle d'à
présent_, je lis ceux-ci:
«Je suis persuadé que, du temps où l'hôtel Rambouillet donnait le ton
à la bonne compagnie, on écoutait bien et l'on raisonnait mieux. On
cultivait son goût et son esprit. J'ai encore vu des modèles de ce genre
de conversation parmi les vieillards de la cour que j'ai fréquentés.
Ils avaient le mot propre, de l'énergie et de la finesse, quelques
antithèses, mais des épithètes qui augmentaient le sens; de la
profondeur sans pédanterie, de l'enjouement sans malignité.»
Il y a juste cent ans que le marquis d'Argenson écrivit ces lignes, que
je copie dans son livre,--Il avait, à l'époque où il les écrivait, à peu
près l'âge que nous avons,--et, comme lui, mon cher ami, nous pouvons
dire:--Nous avons connu des vieillards qui étaient, hélas! ce que nous
ne sommes plus, c'est-à-dire des hommes de bonne compagnie.
Nous les avons vus, mais nos fils ne les verront pas. Voilà ce qui fait,
quoique nous ne valions pas grand'chose, que nous vaudrons mieux que ne
vaudront nos fils.
Mon cher ami, vous m'avez dit souvent,--au milieu de ces soirées,
devenues trop rares, où chacun bavarde à loisir, ou disant le rêve de
son coeur, ou suivant le caprice de son esprit, ou gaspillant le trésor
de ses souvenirs,--vous m'avez dit souvent que depuis Scheherazade et
après Nodier, j'étais un des plus amusants conteurs que vous eussiez
entendus. Voilà aujourd'hui que vous m'écrivez qu'en attendant un long
roman de moi,--vous savez, un de ces romans interminables comme j'en
écris, et dans lesquels je fais entrer tout un siècle,--vous voudriez
bien quelques contes,--deux, quatre ou six volumes tout au plus,
pauvres fleurs de mon jardin, que vous comptez jeter au milieu des
préoccupations politiques du moment, entre le procès de Bourges, par
exemple, et les élections du mois de mai.
Hélas! mon ami, l'époque est triste, et mes contes, je vous en préviens,
ne seront pas gais. Seulement, vous permettrez que, lassé de ce que je
vois se passer tous les jours dans le monde réel, j'aille chercher mes
récits dans le monde imaginaire. Hélas! j'ai bien peur que tous les
esprits un peu élevés, un peu poétiques, un peu rêveurs, n'en soient à
cette heure où en est le mien, c'est-à-dire à la recherche de l'idéal,
le seul, refuge que Dieu nous laisse contre la réalité.
Tenez, je suis là au milieu de cinquante volumes ouverts à propos d'une
histoire de la Régence que je viens d'achever, et que je vous prie, si
vous en rendez compte, d'inviter les mères à ne pas laisser lire à leurs
filles. Eh bien! je suis là, vous disais-je, et, tout en vous écrivant,
mes yeux s'arrêtent sur une page des Mémoires du marquis d'Argenson, où,
au-dessous de ces mots: _De la Conversation d'autrefois et de celle d'à
présent_, je lis ceux-ci:
«Je suis persuadé que, du temps où l'hôtel Rambouillet donnait le ton
à la bonne compagnie, on écoutait bien et l'on raisonnait mieux. On
cultivait son goût et son esprit. J'ai encore vu des modèles de ce genre
de conversation parmi les vieillards de la cour que j'ai fréquentés.
Ils avaient le mot propre, de l'énergie et de la finesse, quelques
antithèses, mais des épithètes qui augmentaient le sens; de la
profondeur sans pédanterie, de l'enjouement sans malignité.»
Il y a juste cent ans que le marquis d'Argenson écrivit ces lignes, que
je copie dans son livre,--Il avait, à l'époque où il les écrivait, à peu
près l'âge que nous avons,--et, comme lui, mon cher ami, nous pouvons
dire:--Nous avons connu des vieillards qui étaient, hélas! ce que nous
ne sommes plus, c'est-à-dire des hommes de bonne compagnie.
Nous les avons vus, mais nos fils ne les verront pas. Voilà ce qui fait,
quoique nous ne valions pas grand'chose, que nous vaudrons mieux que ne
vaudront nos fils.