Lourdes

Fiction & Literature, Religious, Classics, Romance
Cover of the book Lourdes by Émile Zola, Consumer Oriented Ebooks Publisher
View on Amazon View on AbeBooks View on Kobo View on B.Depository View on eBay View on Walmart
Author: Émile Zola ISBN: 1230000735087
Publisher: Consumer Oriented Ebooks Publisher Publication: October 22, 2015
Imprint: Language: French
Author: Émile Zola
ISBN: 1230000735087
Publisher: Consumer Oriented Ebooks Publisher
Publication: October 22, 2015
Imprint:
Language: French

Dans le train en marche, comme les pèlerins et les malades, entassés sur
les dures banquettes du wagon de troisième classe, achevaient l'_Ave
maris stella_, qu'ils venaient d'entonner au sortir de la gare
d'Orléans, Marie, à demi soulevée de sa couche de misère, agitée d'une
fièvre d'impatience, aperçut les fortifications.

--Ah! les fortifications! cria-t-elle d'un ton joyeux, malgré sa
souffrance. Nous voici hors de Paris, nous sommes partis enfin!

Devant elle, son père, M. de Guersaint, sourit de sa joie; tandis que
l'abbé Pierre Froment, qui la regardait avec une tendresse fraternelle,
s'oublia à dire tout haut, dans sa pitié inquiète:

--En voilà pour jusqu'à demain matin, nous ne serons à Lourdes qu'à
trois heures quarante. Plus de vingt-deux heures de voyage!

Il était cinq heures et demie, le soleil venait de se lever, radieux,
dans la pureté d'une admirable matinée. C'était un vendredi, le 19 août.
Mais déjà, à l'horizon, de petits nuages lourds annonçaient une terrible
journée de chaleur orageuse. Et les rayons obliques enfilaient les
compartiments du wagon, qu'ils emplissaient d'une poussière d'or
dansante.

Marie, retombée à son angoisse, murmura:

--Oui, vingt-deux heures. Mon Dieu! que c'est long encore!

Et son père l'aida à se recoucher dans l'étroite caisse, la sorte de
gouttière, où elle vivait depuis sept ans. On avait consenti à prendre
exceptionnellement, aux bagages, les deux paires de roues qui se
démontaient et s'y adaptaient, pour la promener. Serrée entre les
planches de ce cercueil roulant, elle occupait trois places de la
banquette; et elle demeura un instant les paupières closes, la face
amaigrie et terreuse, restée d'une délicate enfance pour ses vingt-trois
ans, charmante quand même au milieu de ses merveilleux cheveux blonds,
des cheveux de reine que la maladie respectait. Vêtue très simplement
d'une robe de petite laine noire, elle avait, pendue au cou, la carte
qui l'hospitalisait, portant son nom et son numéro d'ordre. Elle-même
avait exigé cette humilité, ne voulant d'ailleurs rien coûter aux siens,
peu à peu tombés à une grande gêne. Et c'était ainsi qu'elle se trouvait
là, en troisième classe, dans le train blanc, le train des grands
malades, le plus douloureux des quatorze trains qui se rendaient à
Lourdes, ce jour-là, celui où s'entassaient, outre les cinq cents
pèlerins valides, près de trois cents misérables, épuisés de faiblesse,
tordus de souffrance, charriés à toute vapeur d'un bout de la France à
l'autre.

Mécontent de l'avoir attristée, Pierre continuait à la regarder, de son
air de grand frère attendri. Il venait d'avoir trente ans, pâle, mince,
avec un large front. Après s'être occupé des moindres détails du voyage,
il avait tenu à l'accompagner, il s'était fait recevoir membre
auxiliaire de l'Hospitalité de Notre-Dame de Salut; et il portait, sur
sa soutane, la croix rouge, lisérée d'orange, des brancardiers. M. de
Guersaint, lui, n'avait, épinglée à son veston de drap gris, que la
petite croix écarlate du pèlerinage. Il paraissait ravi de voyager, les
yeux au dehors, ne pouvant tenir en place sa tête d'oiseau aimable et
distrait, d'aspect très jeune, bien qu'il eût dépassé la cinquantaine.

Mais, dans le compartiment voisin, malgré la trépidation violente qui
arrachait des soupirs à Marie, sœur Hyacinthe s'était levée. Elle
remarqua que la jeune fille était en plein soleil.

--Monsieur l'abbé, tirez donc le store... Voyons, voyons! il faut nous
installer et faire notre petit ménage.

Dans sa robe noire de sœur de l'Assomption, égayée par la coiffe
blanche, la guimpe blanche, le grand tablier blanc, sœur Hyacinthe
souriait, d'une activité vaillante. Sa jeunesse éclatait sur sa bouche
petite et fraîche, au fond de ses beaux yeux bleus, toujours tendres.
Elle n'était peut-être pas jolie, mais adorable, fine, élancée, avec une
poitrine de garçon sous la bavette du tablier, de bon garçon au teint de
neige, débordant de santé, de gaieté et d'innocence.

--Mais il nous dévore déjà, ce soleil! Je vous en prie, madame, tirez
aussi votre store.

Occupant le coin, près de la sœur, madame de Jonquière avait gardé son
petit sac sur les genoux. Elle tira lentement le store. Brune et forte,
elle était encore agréable, quoiqu'elle eût une fille de vingt-quatre
ans, Raymonde, qu'elle avait fait monter, par convenance, avec deux
dames hospitalières, madame Désagneaux et madame Volmar, dans un wagon
de première classe. Elle, directrice d'une salle de l'Hôpital de
Notre-Dame des Douleurs, à Lourdes, ne quittait pas ses malades; et, à
la porte du compartiment, en dehors, se balançait la pancarte
réglementaire, où étaient inscrits, au-dessous de son nom, ceux des
deux sœurs de l'Assomption qui l'accompagnaient. Restée veuve d'un mari
ruiné, vivant médiocrement, avec sa fille, de quatre à cinq mille francs
de rentes, au fond d'une cour de la rue Vaneau, elle était d'une charité
inépuisable, elle donnait tout son temps à l'œuvre de l'Hospitalité de
Notre-Dame de Salut, dont elle portait, elle aussi, la croix rouge sur
sa robe de popeline carmélite, et dont elle était une des zélatrices les
plus actives. De tempérament un peu fier, aimant à être flattée et
aimée, elle se montrait heureuse de ce voyage annuel, où elle contentait
sa passion et son cœur.

--Vous avez raison, ma sœur, nous allons nous organiser. Je ne sais pas
pourquoi je m'embarrasse de ce sac.

Et elle le mit près d'elle, sous la banquette.

--Attendez, reprit sœur Hyacinthe, vous avez le broc d'eau dans les
jambes. Il vous gêne.

--Mais non, je vous assure. Laissez-le donc. Il faut bien qu'il soit
quelque part.

Alors, toutes deux firent, comme elles disaient, leur ménage, pour vivre
là le plus commodément possible, un jour et une nuit, avec leurs
malades. L'ennui était qu'elles n'avaient pu prendre Marie dans leur
compartiment, celle-ci ayant voulu garder près d'elle Pierre et son
père; mais, par-dessus la cloison basse, on communiquait, on voisinait à
l'aise. Et, d'ailleurs, tout le wagon, les cinq compartiments de dix
places ne formaient qu'une même chambrée, comme une salle mouvante et
commune, qu'on enfilait d'un regard. C'était, entre les boiseries nues
et jaunes des parois, sous le lambrissage peint en blanc du plafond, une
véritable salle d'hôpital, dans un désordre, dans un pêle-mêle
d'ambulance improvisée. À demi cachés sous la banquette, traînaient des
vases, des bassins, des balais, des éponges. Puis, le train ne prenant
pas de bagages, les colis s'entassaient un peu partout, des valises,
des boîtes en bois blanc, des cartons à chapeaux, des sacs, un amas
lamentable de pauvres choses usées, raccommodées avec des ficelles; et
l'encombrement recommençait en l'air, des vêtements, des paquets, des
paniers, pendus à des patères de cuivre, et qui se balançaient sans
repos. Au milieu de cette friperie, les grands malades, sur leurs
étroits matelas, occupant plusieurs places, oscillaient, emportés par
les secousses grondantes des roues; tandis que ceux qui pouvaient rester
assis, s'adossaient aux cloisons, s'appuyaient à des oreillers, la face
blême. Réglementairement, il devait y avoir par compartiment une dame
hospitalière. À l'autre bout, se trouvait une deuxième sœur de
l'Assomption, sœur Claire des Anges. Des pèlerins valides se levaient,
buvaient et mangeaient déjà. Même, au fond, il y avait un compartiment
entier de femmes, dix pèlerines serrées les unes contre les autres, des
jeunes, des vieilles, toutes de la même laideur pitoyable et triste. Et,
comme on n'osait baisser les glaces, à cause des phtisiques qui étaient
là, la chaleur commençait, une odeur insupportable que peu à peu
semblaient dégager les cahots de la marche, à toute vitesse.

À Juvisy, on avait dit le chapelet. Et six heures sonnaient, on passait
devant la gare de Brétigny, en tempête, lorsque sœur Hyacinthe se leva.
C'était elle qui dirigeait les exercices de piété, dont la plupart des
pèlerins suivaient le programme, dans un petit livre à couverture bleue.

--L'Angélus, mes enfants, dit-elle avec son sourire, de son air de
maternité, que sa grande jeunesse rendait si charmant et si doux.

De nouveau, les _Ave_ se succédèrent. Et, comme ils finissaient, Pierre
et Marie s'intéressèrent à deux femmes qui occupaient les deux autres
coins de leur compartiment. L'une, celle qui se trouvait aux pieds de
Marie, était une blonde mince, d'apparence bourgeoise, âgée de trente
et quelques années, fanée avant l'âge. Elle s'effaçait, ne tenait pas de
place, avec sa robe sombre, ses cheveux décolorés, sa figure longue et
douloureuse, qui respirait un abandon sans bornes, une infinie
tristesse. En face d'elle, l'autre, celle qui était sur la banquette de
Pierre, une ouvrière du même âge, en bonnet noir, le visage ravagé de
misère et d'inquiétude, tenait sur ses genoux une fillette de sept ans,
si pâle, si diminuée, qu'elle en paraissait à peine quatre. Le nez
pincé, les paupières bleuies, fermées dans sa face de cire, l'enfant ne
pouvait parler; et elle n'avait qu'une petite plainte, un gémissement
doux, qui chaque fois déchirait le cœur de la mère, penchée sur elle.

--Mangerait-elle un peu de raisin? offrit timidement la dame, muette
jusque-là. J'en ai, dans mon panier.

--Merci, madame, répondit l'ouvrière. Elle ne prend que du lait, et
encore... J'ai eu soin d'en emporter une bouteille.

Et, cédant au besoin de confidence des misérables, elle dit son
histoire. Elle s'appelait madame Vincent, elle avait perdu son mari,
doreur de son état, emporté par la phtisie. Restée seule avec sa petite
Rose, qui était sa passion, elle avait travaillé jour et nuit de son
métier de couturière, pour l'élever. Mais la maladie était venue. Depuis
quatorze mois, elle la gardait ainsi sur les bras, de plus en plus
douloureuse et réduite, tombée à rien. Un jour, elle qui n'allait jamais
à la messe, était entrée dans une église, poussée par le désespoir,
implorant la guérison de sa fille; et, là, elle avait entendu une voix
qui lui disait de l'emmener à Lourdes, où la sainte Vierge la prendrait
en pitié. Ne connaissant personne, ne sachant même pas comment
s'organisaient les pèlerinages, elle n'avait eu qu'une idée: travailler,
économiser l'argent du voyage, prendre un billet, et partir avec les
trente sous qui lui restaient, et n'emporter qu'une bouteille de lait
pour l'enfant, sans même songer à s'acheter pour elle un morceau de
pain.

View on Amazon View on AbeBooks View on Kobo View on B.Depository View on eBay View on Walmart

Dans le train en marche, comme les pèlerins et les malades, entassés sur
les dures banquettes du wagon de troisième classe, achevaient l'_Ave
maris stella_, qu'ils venaient d'entonner au sortir de la gare
d'Orléans, Marie, à demi soulevée de sa couche de misère, agitée d'une
fièvre d'impatience, aperçut les fortifications.

--Ah! les fortifications! cria-t-elle d'un ton joyeux, malgré sa
souffrance. Nous voici hors de Paris, nous sommes partis enfin!

Devant elle, son père, M. de Guersaint, sourit de sa joie; tandis que
l'abbé Pierre Froment, qui la regardait avec une tendresse fraternelle,
s'oublia à dire tout haut, dans sa pitié inquiète:

--En voilà pour jusqu'à demain matin, nous ne serons à Lourdes qu'à
trois heures quarante. Plus de vingt-deux heures de voyage!

Il était cinq heures et demie, le soleil venait de se lever, radieux,
dans la pureté d'une admirable matinée. C'était un vendredi, le 19 août.
Mais déjà, à l'horizon, de petits nuages lourds annonçaient une terrible
journée de chaleur orageuse. Et les rayons obliques enfilaient les
compartiments du wagon, qu'ils emplissaient d'une poussière d'or
dansante.

Marie, retombée à son angoisse, murmura:

--Oui, vingt-deux heures. Mon Dieu! que c'est long encore!

Et son père l'aida à se recoucher dans l'étroite caisse, la sorte de
gouttière, où elle vivait depuis sept ans. On avait consenti à prendre
exceptionnellement, aux bagages, les deux paires de roues qui se
démontaient et s'y adaptaient, pour la promener. Serrée entre les
planches de ce cercueil roulant, elle occupait trois places de la
banquette; et elle demeura un instant les paupières closes, la face
amaigrie et terreuse, restée d'une délicate enfance pour ses vingt-trois
ans, charmante quand même au milieu de ses merveilleux cheveux blonds,
des cheveux de reine que la maladie respectait. Vêtue très simplement
d'une robe de petite laine noire, elle avait, pendue au cou, la carte
qui l'hospitalisait, portant son nom et son numéro d'ordre. Elle-même
avait exigé cette humilité, ne voulant d'ailleurs rien coûter aux siens,
peu à peu tombés à une grande gêne. Et c'était ainsi qu'elle se trouvait
là, en troisième classe, dans le train blanc, le train des grands
malades, le plus douloureux des quatorze trains qui se rendaient à
Lourdes, ce jour-là, celui où s'entassaient, outre les cinq cents
pèlerins valides, près de trois cents misérables, épuisés de faiblesse,
tordus de souffrance, charriés à toute vapeur d'un bout de la France à
l'autre.

Mécontent de l'avoir attristée, Pierre continuait à la regarder, de son
air de grand frère attendri. Il venait d'avoir trente ans, pâle, mince,
avec un large front. Après s'être occupé des moindres détails du voyage,
il avait tenu à l'accompagner, il s'était fait recevoir membre
auxiliaire de l'Hospitalité de Notre-Dame de Salut; et il portait, sur
sa soutane, la croix rouge, lisérée d'orange, des brancardiers. M. de
Guersaint, lui, n'avait, épinglée à son veston de drap gris, que la
petite croix écarlate du pèlerinage. Il paraissait ravi de voyager, les
yeux au dehors, ne pouvant tenir en place sa tête d'oiseau aimable et
distrait, d'aspect très jeune, bien qu'il eût dépassé la cinquantaine.

Mais, dans le compartiment voisin, malgré la trépidation violente qui
arrachait des soupirs à Marie, sœur Hyacinthe s'était levée. Elle
remarqua que la jeune fille était en plein soleil.

--Monsieur l'abbé, tirez donc le store... Voyons, voyons! il faut nous
installer et faire notre petit ménage.

Dans sa robe noire de sœur de l'Assomption, égayée par la coiffe
blanche, la guimpe blanche, le grand tablier blanc, sœur Hyacinthe
souriait, d'une activité vaillante. Sa jeunesse éclatait sur sa bouche
petite et fraîche, au fond de ses beaux yeux bleus, toujours tendres.
Elle n'était peut-être pas jolie, mais adorable, fine, élancée, avec une
poitrine de garçon sous la bavette du tablier, de bon garçon au teint de
neige, débordant de santé, de gaieté et d'innocence.

--Mais il nous dévore déjà, ce soleil! Je vous en prie, madame, tirez
aussi votre store.

Occupant le coin, près de la sœur, madame de Jonquière avait gardé son
petit sac sur les genoux. Elle tira lentement le store. Brune et forte,
elle était encore agréable, quoiqu'elle eût une fille de vingt-quatre
ans, Raymonde, qu'elle avait fait monter, par convenance, avec deux
dames hospitalières, madame Désagneaux et madame Volmar, dans un wagon
de première classe. Elle, directrice d'une salle de l'Hôpital de
Notre-Dame des Douleurs, à Lourdes, ne quittait pas ses malades; et, à
la porte du compartiment, en dehors, se balançait la pancarte
réglementaire, où étaient inscrits, au-dessous de son nom, ceux des
deux sœurs de l'Assomption qui l'accompagnaient. Restée veuve d'un mari
ruiné, vivant médiocrement, avec sa fille, de quatre à cinq mille francs
de rentes, au fond d'une cour de la rue Vaneau, elle était d'une charité
inépuisable, elle donnait tout son temps à l'œuvre de l'Hospitalité de
Notre-Dame de Salut, dont elle portait, elle aussi, la croix rouge sur
sa robe de popeline carmélite, et dont elle était une des zélatrices les
plus actives. De tempérament un peu fier, aimant à être flattée et
aimée, elle se montrait heureuse de ce voyage annuel, où elle contentait
sa passion et son cœur.

--Vous avez raison, ma sœur, nous allons nous organiser. Je ne sais pas
pourquoi je m'embarrasse de ce sac.

Et elle le mit près d'elle, sous la banquette.

--Attendez, reprit sœur Hyacinthe, vous avez le broc d'eau dans les
jambes. Il vous gêne.

--Mais non, je vous assure. Laissez-le donc. Il faut bien qu'il soit
quelque part.

Alors, toutes deux firent, comme elles disaient, leur ménage, pour vivre
là le plus commodément possible, un jour et une nuit, avec leurs
malades. L'ennui était qu'elles n'avaient pu prendre Marie dans leur
compartiment, celle-ci ayant voulu garder près d'elle Pierre et son
père; mais, par-dessus la cloison basse, on communiquait, on voisinait à
l'aise. Et, d'ailleurs, tout le wagon, les cinq compartiments de dix
places ne formaient qu'une même chambrée, comme une salle mouvante et
commune, qu'on enfilait d'un regard. C'était, entre les boiseries nues
et jaunes des parois, sous le lambrissage peint en blanc du plafond, une
véritable salle d'hôpital, dans un désordre, dans un pêle-mêle
d'ambulance improvisée. À demi cachés sous la banquette, traînaient des
vases, des bassins, des balais, des éponges. Puis, le train ne prenant
pas de bagages, les colis s'entassaient un peu partout, des valises,
des boîtes en bois blanc, des cartons à chapeaux, des sacs, un amas
lamentable de pauvres choses usées, raccommodées avec des ficelles; et
l'encombrement recommençait en l'air, des vêtements, des paquets, des
paniers, pendus à des patères de cuivre, et qui se balançaient sans
repos. Au milieu de cette friperie, les grands malades, sur leurs
étroits matelas, occupant plusieurs places, oscillaient, emportés par
les secousses grondantes des roues; tandis que ceux qui pouvaient rester
assis, s'adossaient aux cloisons, s'appuyaient à des oreillers, la face
blême. Réglementairement, il devait y avoir par compartiment une dame
hospitalière. À l'autre bout, se trouvait une deuxième sœur de
l'Assomption, sœur Claire des Anges. Des pèlerins valides se levaient,
buvaient et mangeaient déjà. Même, au fond, il y avait un compartiment
entier de femmes, dix pèlerines serrées les unes contre les autres, des
jeunes, des vieilles, toutes de la même laideur pitoyable et triste. Et,
comme on n'osait baisser les glaces, à cause des phtisiques qui étaient
là, la chaleur commençait, une odeur insupportable que peu à peu
semblaient dégager les cahots de la marche, à toute vitesse.

À Juvisy, on avait dit le chapelet. Et six heures sonnaient, on passait
devant la gare de Brétigny, en tempête, lorsque sœur Hyacinthe se leva.
C'était elle qui dirigeait les exercices de piété, dont la plupart des
pèlerins suivaient le programme, dans un petit livre à couverture bleue.

--L'Angélus, mes enfants, dit-elle avec son sourire, de son air de
maternité, que sa grande jeunesse rendait si charmant et si doux.

De nouveau, les _Ave_ se succédèrent. Et, comme ils finissaient, Pierre
et Marie s'intéressèrent à deux femmes qui occupaient les deux autres
coins de leur compartiment. L'une, celle qui se trouvait aux pieds de
Marie, était une blonde mince, d'apparence bourgeoise, âgée de trente
et quelques années, fanée avant l'âge. Elle s'effaçait, ne tenait pas de
place, avec sa robe sombre, ses cheveux décolorés, sa figure longue et
douloureuse, qui respirait un abandon sans bornes, une infinie
tristesse. En face d'elle, l'autre, celle qui était sur la banquette de
Pierre, une ouvrière du même âge, en bonnet noir, le visage ravagé de
misère et d'inquiétude, tenait sur ses genoux une fillette de sept ans,
si pâle, si diminuée, qu'elle en paraissait à peine quatre. Le nez
pincé, les paupières bleuies, fermées dans sa face de cire, l'enfant ne
pouvait parler; et elle n'avait qu'une petite plainte, un gémissement
doux, qui chaque fois déchirait le cœur de la mère, penchée sur elle.

--Mangerait-elle un peu de raisin? offrit timidement la dame, muette
jusque-là. J'en ai, dans mon panier.

--Merci, madame, répondit l'ouvrière. Elle ne prend que du lait, et
encore... J'ai eu soin d'en emporter une bouteille.

Et, cédant au besoin de confidence des misérables, elle dit son
histoire. Elle s'appelait madame Vincent, elle avait perdu son mari,
doreur de son état, emporté par la phtisie. Restée seule avec sa petite
Rose, qui était sa passion, elle avait travaillé jour et nuit de son
métier de couturière, pour l'élever. Mais la maladie était venue. Depuis
quatorze mois, elle la gardait ainsi sur les bras, de plus en plus
douloureuse et réduite, tombée à rien. Un jour, elle qui n'allait jamais
à la messe, était entrée dans une église, poussée par le désespoir,
implorant la guérison de sa fille; et, là, elle avait entendu une voix
qui lui disait de l'emmener à Lourdes, où la sainte Vierge la prendrait
en pitié. Ne connaissant personne, ne sachant même pas comment
s'organisaient les pèlerinages, elle n'avait eu qu'une idée: travailler,
économiser l'argent du voyage, prendre un billet, et partir avec les
trente sous qui lui restaient, et n'emporter qu'une bouteille de lait
pour l'enfant, sans même songer à s'acheter pour elle un morceau de
pain.

More books from Consumer Oriented Ebooks Publisher

Cover of the book Tale of a Tub by Émile Zola
Cover of the book Video Product Perfection by Émile Zola
Cover of the book Andrew Tresholm - Adentures of a Reluctant Gambler by Émile Zola
Cover of the book How To Create An Audio Product To Sell For Clickbank by Émile Zola
Cover of the book Healing Through Positive Affirmations by Émile Zola
Cover of the book The Insider's Guide To Website Protection by Émile Zola
Cover of the book Big Book of Christmas Tales by Émile Zola
Cover of the book Betty's Bright Idea by Émile Zola
Cover of the book Secrets of Becoming a Meditation Expert by Émile Zola
Cover of the book Celebrated Travels and Travellers (Complete 3 Volumes) by Émile Zola
Cover of the book Promoting Your Site Successsfully by Émile Zola
Cover of the book Green Fairy Book (Annotated & Illustrated) by Émile Zola
Cover of the book Last of the Great Scouts: The Life Story of William F. Cody "Buffalo Bill" by Émile Zola
Cover of the book Rebecca and Rowena (Annotated) by Émile Zola
Cover of the book Amy Foster by Émile Zola
We use our own "cookies" and third party cookies to improve services and to see statistical information. By using this website, you agree to our Privacy Policy