Author: | Pierre Corneille Blessebois, Guillaume Apollinaire | ISBN: | 1230003022832 |
Publisher: | Bibliothèque des Curieux, Paris, 1921 | Publication: | January 7, 2019 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Pierre Corneille Blessebois, Guillaume Apollinaire |
ISBN: | 1230003022832 |
Publisher: | Bibliothèque des Curieux, Paris, 1921 |
Publication: | January 7, 2019 |
Imprint: | |
Language: | French |
Le Rut ou la pudeur éteinte ...
L’Aurore commençait à gratter aux portes de l’Orient quand Céladon, qui était depuis quelques jours prisonnier à Alençon, vit entrer dans sa chambre une jeune demoiselle dont les yeux, quoique petits, jetaient une lumière d’autant plus vive que le lieu était un peu obscur. Son teint effaçait les lis et le jasmin ; les roses n’avaient rien de comparable au vermeil de sa divine bouche ; ses dents étaient blanches, si bien rangées et tellement égales, que cette seule partie avait de quoi produire de l’amour dans une âme moins sensible que la sienne ; ses cheveux d’un blond châtain étaient répandus par boucles sur ses joues, et sa coiffure à la turque était artistement ordonnée et ne laissait rien à souhaiter de plus. Sa gorge était d’albâtre, et son sein négligemment ouvert offrait à la vue des charmes tout à fait puissants ; sa taille était médiocre, non moins engageante que dégagée, et si majestueuse, qu’encore que sa beauté n’eût pas été relevée par la propreté d’une simarre de satin blanc enrichi d’un passement d’or, dont elle avait ce jour-là sacrifié aux Grâces, Céladon n’aurait pu se défendre de la recevoir à bras ouverts. Il se disposait à lui témoigner sa surprise, lorsque cette adorable divinité visible le prévint en ces termes : « Je sais bien, lui dit-elle d’un air tout galant, que ma visite a de quoi vous étonner, et cette liberté que je me donne de vous venir voir sans avoir le bien de vous connaître que par le bruit qui se répand partout de vos rares attributs n’est pas sans doute si petite qu’elle n’ait pu suspendre quelque temps l’intention que j’en avais formée ; mais enfin, cher Céladon, je n’ai pu résister davantage au désir que j’ai de vous voir et de vous aimer ». Un peu de modestie qui n’eut pas long règne l’interrompit en cet endroit, et cependant Céladon prit ainsi la parole : « Je ne me plaindrai plus de ma mauvaise destinée, puisque sa barbarie reçoit une heureuse intermission par le bien imprévu de votre charmante vue, et que votre bonté me vient de donner à connaître que je suis maintenant le plus fortuné de tous les hommes. Oui, miraculeuse beauté, votre présence est un soleil efficace, qui dissipe les nuages qui voilaient mes plaisirs, et je recouvre par votre secours mille fois plus de biens que je n’en perdis sous les ruines de ma liberté. Veuillent les justes dieux que mes chaînes durent éternellement, si la continuation des délices que je goûte ne m’est pas déniée, et s’il m’est permis d’espérer que ce ne sera pas ici la dernière fois que vous apporterez le jour dans ce temple de la plus obscure de toutes les nuits. »
Lupanie, Histoire amoureuse de ce temps
Le Zombi du Grand-Pérou
Le Rut ou la pudeur éteinte ...
L’Aurore commençait à gratter aux portes de l’Orient quand Céladon, qui était depuis quelques jours prisonnier à Alençon, vit entrer dans sa chambre une jeune demoiselle dont les yeux, quoique petits, jetaient une lumière d’autant plus vive que le lieu était un peu obscur. Son teint effaçait les lis et le jasmin ; les roses n’avaient rien de comparable au vermeil de sa divine bouche ; ses dents étaient blanches, si bien rangées et tellement égales, que cette seule partie avait de quoi produire de l’amour dans une âme moins sensible que la sienne ; ses cheveux d’un blond châtain étaient répandus par boucles sur ses joues, et sa coiffure à la turque était artistement ordonnée et ne laissait rien à souhaiter de plus. Sa gorge était d’albâtre, et son sein négligemment ouvert offrait à la vue des charmes tout à fait puissants ; sa taille était médiocre, non moins engageante que dégagée, et si majestueuse, qu’encore que sa beauté n’eût pas été relevée par la propreté d’une simarre de satin blanc enrichi d’un passement d’or, dont elle avait ce jour-là sacrifié aux Grâces, Céladon n’aurait pu se défendre de la recevoir à bras ouverts. Il se disposait à lui témoigner sa surprise, lorsque cette adorable divinité visible le prévint en ces termes : « Je sais bien, lui dit-elle d’un air tout galant, que ma visite a de quoi vous étonner, et cette liberté que je me donne de vous venir voir sans avoir le bien de vous connaître que par le bruit qui se répand partout de vos rares attributs n’est pas sans doute si petite qu’elle n’ait pu suspendre quelque temps l’intention que j’en avais formée ; mais enfin, cher Céladon, je n’ai pu résister davantage au désir que j’ai de vous voir et de vous aimer ». Un peu de modestie qui n’eut pas long règne l’interrompit en cet endroit, et cependant Céladon prit ainsi la parole : « Je ne me plaindrai plus de ma mauvaise destinée, puisque sa barbarie reçoit une heureuse intermission par le bien imprévu de votre charmante vue, et que votre bonté me vient de donner à connaître que je suis maintenant le plus fortuné de tous les hommes. Oui, miraculeuse beauté, votre présence est un soleil efficace, qui dissipe les nuages qui voilaient mes plaisirs, et je recouvre par votre secours mille fois plus de biens que je n’en perdis sous les ruines de ma liberté. Veuillent les justes dieux que mes chaînes durent éternellement, si la continuation des délices que je goûte ne m’est pas déniée, et s’il m’est permis d’espérer que ce ne sera pas ici la dernière fois que vous apporterez le jour dans ce temple de la plus obscure de toutes les nuits. »
Lupanie, Histoire amoureuse de ce temps
Le Zombi du Grand-Pérou