Author: | Henri Grégoire | ISBN: | 1230001282757 |
Publisher: | Eric HELAN | Publication: | March 12, 2016 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Henri Grégoire |
ISBN: | 1230001282757 |
Publisher: | Eric HELAN |
Publication: | March 12, 2016 |
Imprint: | |
Language: | French |
LA langue française a conquis l’estime de l’Europe, & depuis un siècle elle y est classique : mon but n’est pas d’assigner les causes qui lui ont assuré cette prérogative. Il y a dix ans qu’au fond de l’Allemagne (à Berlin) on discuta savamment cette question, qui, suivant l’expression d’un écrivain, eût flatté l’orgueil de Rome, empressée à la consacrer dans son histoire comme une de ses belles époques. On connoît les tentatives de la politique romaine pour universaliser sa langue : elle défendoit d’en employer d’autre pour haranguer les ambassadeurs étrangers, pour négocier avec eux ; & malgré ses efforts, elle n’obtint qu’imparfaitement ce qu’un assentiment libre accorde à la langue française. On sait qu’en 1774 elle servit à rédiger le traité entre les Turcs et les Russes. Depuis la paix de Nimégue, elle a été prostituée, pour ainsi dire, aux intrigues des cabinets de l’Europe. Dans sa marche claire & méthodique, la pensée se déroule facilement ; c’est ce qui lui donne un caractère de raison, de probité, que les fourbes eux-mêmes trouvent plus propre à les garantir des ruses diplomatiques.
Si notre idiôme a reçu un tel accueil des tyrans & des cours, à qui la France monarchique donnoit des théâtres, des pompons, des modes & des manières, quel accueil ne doit-il pas se promettre de la part des peuples, à qui la France républicaine révèle leurs droits en leur ouvrant la route de la liberté ?
Mais cet idiôme, admis dans les transactions politiques, usité dans plusieurs villes d’Allemagne, d’Italie, des Pays-Bas, dans une partie du pays de Liége, du Luxembourg, de la Suisse, même dans le Canada & sur les bords du Mississipi, par quelle fatalité est-il encore ignoré d’une très-grande partie des Français ?
À travers toutes les révolutions, le celtique qui fut le premier idiôme de l’Europe, s’est maintenu dans une contrée de la France, & dans quelques cantons des îles britanniques. On sait que les Gallois, les Cornoualliens & les Bas-Bretons s’entendent : cette langue indigène éprouva des modifications successives. Les Phocéens fondèrent, il y a vingt-quatre siècles, de brillantes colonies sur les bords de la Méditerranée ; & dans une chanson des environs de Marseille, on a trouvé récemment des fragments grecs d’une ode de Pindare sur les vendanges. Les Carthaginois franchirent les Pyrénées, & Polybe nous dit que beaucoup de Gaulois apprirent le punique pour converser avec les soldats d’Annibal...
LA langue française a conquis l’estime de l’Europe, & depuis un siècle elle y est classique : mon but n’est pas d’assigner les causes qui lui ont assuré cette prérogative. Il y a dix ans qu’au fond de l’Allemagne (à Berlin) on discuta savamment cette question, qui, suivant l’expression d’un écrivain, eût flatté l’orgueil de Rome, empressée à la consacrer dans son histoire comme une de ses belles époques. On connoît les tentatives de la politique romaine pour universaliser sa langue : elle défendoit d’en employer d’autre pour haranguer les ambassadeurs étrangers, pour négocier avec eux ; & malgré ses efforts, elle n’obtint qu’imparfaitement ce qu’un assentiment libre accorde à la langue française. On sait qu’en 1774 elle servit à rédiger le traité entre les Turcs et les Russes. Depuis la paix de Nimégue, elle a été prostituée, pour ainsi dire, aux intrigues des cabinets de l’Europe. Dans sa marche claire & méthodique, la pensée se déroule facilement ; c’est ce qui lui donne un caractère de raison, de probité, que les fourbes eux-mêmes trouvent plus propre à les garantir des ruses diplomatiques.
Si notre idiôme a reçu un tel accueil des tyrans & des cours, à qui la France monarchique donnoit des théâtres, des pompons, des modes & des manières, quel accueil ne doit-il pas se promettre de la part des peuples, à qui la France républicaine révèle leurs droits en leur ouvrant la route de la liberté ?
Mais cet idiôme, admis dans les transactions politiques, usité dans plusieurs villes d’Allemagne, d’Italie, des Pays-Bas, dans une partie du pays de Liége, du Luxembourg, de la Suisse, même dans le Canada & sur les bords du Mississipi, par quelle fatalité est-il encore ignoré d’une très-grande partie des Français ?
À travers toutes les révolutions, le celtique qui fut le premier idiôme de l’Europe, s’est maintenu dans une contrée de la France, & dans quelques cantons des îles britanniques. On sait que les Gallois, les Cornoualliens & les Bas-Bretons s’entendent : cette langue indigène éprouva des modifications successives. Les Phocéens fondèrent, il y a vingt-quatre siècles, de brillantes colonies sur les bords de la Méditerranée ; & dans une chanson des environs de Marseille, on a trouvé récemment des fragments grecs d’une ode de Pindare sur les vendanges. Les Carthaginois franchirent les Pyrénées, & Polybe nous dit que beaucoup de Gaulois apprirent le punique pour converser avec les soldats d’Annibal...