Rose et Ninette

Fiction & Literature, Classics
Cover of the book Rose et Ninette by Alphonse Daudet, Largau
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Author: Alphonse Daudet ISBN: 1230000258196
Publisher: Largau Publication: August 6, 2014
Imprint: Language: French
Author: Alphonse Daudet
ISBN: 1230000258196
Publisher: Largau
Publication: August 6, 2014
Imprint:
Language: French

Extrait du livre :

« François, c’est M. Veillon ! »

À cet appel vivement envoyé par la svelte jeune femme entre les bacs fleuris du perron, François du Bréau se dressa sur la pelouse où il jouait avec sa petite fille et vint au-devant du visiteur, une main tendue, l’autre calant sur son épaule l’enfant qui riait et jetait ses petits pieds chaussés de rose dans le soleil.

« Ah ! c’est M. Veillon... Eh bien, il sera reçu, M. Veillon... Si ce n’est pas honteux ! trois mois sans venir à Château-Frayé, sans donner une fois de ses... »

Il s’arrêta au bas des marches, saisi par l’expression, gênée, angoissée, quelque chose de confus et de fuyard que la nécessité de mentir donnait à la ronde figure, bonasse et moustachue, du meilleur et plus ancien compagnon de sa jeunesse.

« Tu veux me parler ?

- Oui... pas devant ta femme. »

Ce fut dit, glissé dans l’échange nerveux d’une poignée de mains ; mais jusqu’au déjeuner, les deux amis ne purent se trouver seuls une minute. Quand la nourrice eut emporté « Mademoiselle », toutes ses grâces faites au monsieur, il fallut explorer la propriété très changée, très embellie depuis ces derniers mois. Ce Château-Frayé, dont la famille de Mme du Bréau portait le nom, était un très ancien domaine, moitié donjon, moitié raffinerie, flanqué d’une tour massive et d’un parc aux verdures féodales où fumait une cheminée géante sur des plaines infinies de blé, d’orge et de betteraves ; sans le halo rougeâtre que Paris allumait chaque soir à l’horizon, on aurait pu se croire au fond de l’Artois ou de la Sologne.

Là, depuis deux ans, depuis leur mariage, le marquis du Bréau et sa jeune femme, « son petit Château-Frayé », comme il l’appelait, vivaient dans une solitude aussi exclusive que leur amour.

Au moment de se mettre à table, nouvelle apparition de la nourrice, qui venait chercher Madame pour l’enfant.

« Un type, cette nounou, dit la jeune mère sans plus s’émouvoir. C’est la paysanne à scrupules... Avec elle on n’a jamais fini... Déjeunez, messieurs, je vous en prie, ne m’attendez pas. »

Et elle avait, en quittant la table, un joli sourire de sécurité dans le bonheur. Derrière elle, tout de suite, le mari demanda :

« Qu’y a-t-il ?

- Louise est morte », dit l’ami gravement.

L’autre ne comprit pas d’abord.

« Eh ! oui... Loulou... La Fédor, voyons. »

Nerveusement, par-dessus la table, François saisit la main de son ami.

« Morte ! tu es sûr ?... »

Et l’ami affirmant de nouveau d’un implacable signe de tête, du Bréau eut non pas un soupir, mais un cri, une bramée de soulagement :

« Enfin ! »

C’était si férocement égoïste, cet élan de joie devant la mort... surtout une femme comme la Fédor... l’actrice célèbre, admirée, désirée de tous, et qu’il avait gardée six ans contre son coeur ; il se sentit honteux et gêné, s’expliqua :

« C’est horrible, n’est-ce pas ? mais si tu savais comme elle m’a rendu malheureux, au moment de la séparation, avec ses lettres folles, ses menaces, ses stations sans fin devant ma porte... Six mois avant mon mariage, dix mois, quinze mois après, j’ai vécu dans l’épouvante et l’horreur, ne rêvant qu’assassinat, suicide, vitriol et revolver... Elle avait juré de mourir, mais de tout tuer auparavant... l’homme, la femme, même l’enfant, si j’en avais un. Et pour qui la connaissait bien, ces menaces n’avaient rien d’invraisemblable. Je n’osais conduire ma pauvre femme nulle part, ni sortir à pied avec elle, sans craindre quelque scène ridicule ou tragique... Et pourquoi cela ? Quel droit prétendait-elle sur ma vie ? Je ne lui devais rien, du moins pas plus que les autres, que tant d’autres... J’avais eu trop d’égards, voilà tout. Et puis j’étais jeune, et pas de son monde d’auteurs et de cabotins. On attendait plus de moi... peut-être le mariage et mon nom... ça s’est vu. Ah ! pauvre Loulou, je ne lui en veux plus, mais ce qu’elle m’a embêté !... Mes amis s’étonnaient de ce voyage de noces interminable ; ils peuvent se l’expliquer maintenant, et pourquoi, au lieu de rentrer dans Paris, je suis venu m’enfermer ici, pris d’une passion subite pour la grande culture. 

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Extrait du livre :

« François, c’est M. Veillon ! »

À cet appel vivement envoyé par la svelte jeune femme entre les bacs fleuris du perron, François du Bréau se dressa sur la pelouse où il jouait avec sa petite fille et vint au-devant du visiteur, une main tendue, l’autre calant sur son épaule l’enfant qui riait et jetait ses petits pieds chaussés de rose dans le soleil.

« Ah ! c’est M. Veillon... Eh bien, il sera reçu, M. Veillon... Si ce n’est pas honteux ! trois mois sans venir à Château-Frayé, sans donner une fois de ses... »

Il s’arrêta au bas des marches, saisi par l’expression, gênée, angoissée, quelque chose de confus et de fuyard que la nécessité de mentir donnait à la ronde figure, bonasse et moustachue, du meilleur et plus ancien compagnon de sa jeunesse.

« Tu veux me parler ?

- Oui... pas devant ta femme. »

Ce fut dit, glissé dans l’échange nerveux d’une poignée de mains ; mais jusqu’au déjeuner, les deux amis ne purent se trouver seuls une minute. Quand la nourrice eut emporté « Mademoiselle », toutes ses grâces faites au monsieur, il fallut explorer la propriété très changée, très embellie depuis ces derniers mois. Ce Château-Frayé, dont la famille de Mme du Bréau portait le nom, était un très ancien domaine, moitié donjon, moitié raffinerie, flanqué d’une tour massive et d’un parc aux verdures féodales où fumait une cheminée géante sur des plaines infinies de blé, d’orge et de betteraves ; sans le halo rougeâtre que Paris allumait chaque soir à l’horizon, on aurait pu se croire au fond de l’Artois ou de la Sologne.

Là, depuis deux ans, depuis leur mariage, le marquis du Bréau et sa jeune femme, « son petit Château-Frayé », comme il l’appelait, vivaient dans une solitude aussi exclusive que leur amour.

Au moment de se mettre à table, nouvelle apparition de la nourrice, qui venait chercher Madame pour l’enfant.

« Un type, cette nounou, dit la jeune mère sans plus s’émouvoir. C’est la paysanne à scrupules... Avec elle on n’a jamais fini... Déjeunez, messieurs, je vous en prie, ne m’attendez pas. »

Et elle avait, en quittant la table, un joli sourire de sécurité dans le bonheur. Derrière elle, tout de suite, le mari demanda :

« Qu’y a-t-il ?

- Louise est morte », dit l’ami gravement.

L’autre ne comprit pas d’abord.

« Eh ! oui... Loulou... La Fédor, voyons. »

Nerveusement, par-dessus la table, François saisit la main de son ami.

« Morte ! tu es sûr ?... »

Et l’ami affirmant de nouveau d’un implacable signe de tête, du Bréau eut non pas un soupir, mais un cri, une bramée de soulagement :

« Enfin ! »

C’était si férocement égoïste, cet élan de joie devant la mort... surtout une femme comme la Fédor... l’actrice célèbre, admirée, désirée de tous, et qu’il avait gardée six ans contre son coeur ; il se sentit honteux et gêné, s’expliqua :

« C’est horrible, n’est-ce pas ? mais si tu savais comme elle m’a rendu malheureux, au moment de la séparation, avec ses lettres folles, ses menaces, ses stations sans fin devant ma porte... Six mois avant mon mariage, dix mois, quinze mois après, j’ai vécu dans l’épouvante et l’horreur, ne rêvant qu’assassinat, suicide, vitriol et revolver... Elle avait juré de mourir, mais de tout tuer auparavant... l’homme, la femme, même l’enfant, si j’en avais un. Et pour qui la connaissait bien, ces menaces n’avaient rien d’invraisemblable. Je n’osais conduire ma pauvre femme nulle part, ni sortir à pied avec elle, sans craindre quelque scène ridicule ou tragique... Et pourquoi cela ? Quel droit prétendait-elle sur ma vie ? Je ne lui devais rien, du moins pas plus que les autres, que tant d’autres... J’avais eu trop d’égards, voilà tout. Et puis j’étais jeune, et pas de son monde d’auteurs et de cabotins. On attendait plus de moi... peut-être le mariage et mon nom... ça s’est vu. Ah ! pauvre Loulou, je ne lui en veux plus, mais ce qu’elle m’a embêté !... Mes amis s’étonnaient de ce voyage de noces interminable ; ils peuvent se l’expliquer maintenant, et pourquoi, au lieu de rentrer dans Paris, je suis venu m’enfermer ici, pris d’une passion subite pour la grande culture. 

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