Author: | Amédée Achard | ISBN: | 1230002239019 |
Publisher: | Revue des Deux Mondes, Paris, 1860 | Publication: | March 27, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Amédée Achard |
ISBN: | 1230002239019 |
Publisher: | Revue des Deux Mondes, Paris, 1860 |
Publication: | March 27, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
Extrait: Il n’est pas de chasseur du pays de Bade qui ne connaisse la Herrenwiese. Les cerfs et les chevreuils errent en liberté sous l’ombre épaisse des sapins qui l’entourent ; le coq de bruyère y chante au printemps, la gelinotte y bat de l’aile. La plume ne saurait rendre l’aspect de ce plateau, situé au cœur même de la Forêt-Noire, et séparé par d’interminables futaies de la plaine que la charrue féconde et que l’industrie anime ; le pinceau le plus habile serait maladroit à reproduire sur la toile les couleurs changeantes et la désolation de ce paysage, fermé par une ceinture d’arbres sombres et serrés. Qu’on se figure une prairie ovale cachée dans un pli de la montagne ; les profondes colonnades des sapins montent en amphithéâtre tout alentour sans que le regard en puisse percer l’étendue mystérieuse. On dirait qu’un géant a fauché un pan de la forêt pour y faire pénétrer l’air et la lumière ; mais le soleil ni le vent n’en ont pu chasser la tristesse. Les eaux claires d’un ruisseau traversent la prairie ; quelques maisons se groupent autour d’une humble chapelle, qui n’élève pas bien haut son petit clocher. Une auberge est bâtie au bord de la route ; des troupeaux de vaches paissent l’herbe çà et là. On n’entend pas d’autres bruits que le son de la cloche ou le beuglement des animaux qui ruminent ; mais quand la bise souffle, des rumeurs plaintives remplissent le plateau, la forêt désolée gémit, et des murmures s’en élèvent qui prêtent une voix à la solitude pour pleurer. Selon que le ciel est bleu ou que les nuées se déchirent au milieu du feuillage noir, le caractère de ce plateau peut être moins sauvage sans cesser d’être mélancolique. Aux heures où le vent d’hiver agite la forêt d’un premier frisson, où le brouillard qui rampe sur les taillis des jeunes sapins estompe la montagne, la tristesse suinte du sol, descend des profondeurs du bois, monte de la vallée, passe avec le son, et la Herrenwiese tout entière, cachée dans les nuages, glacée par un froid sinistre, communique à l’âme l’impression morne d’un tombeau. Et cependant, si on l’a visitée, soit au printemps, quand mille fleurs pressées de s’épanouir étoilent l’herbe des prés, soit en automne, quand la feuille tombe et court parmi les sentiers, on ne peut s’empêcher de l’aimer, d’y penser souvent, et de revoir en esprit les lignes sévères de la montagne qui l’enserre et les croupes sombres de la forêt qui profile sur le ciel gris les flèches dentelées du mélèze et du sapin.
Extrait: Il n’est pas de chasseur du pays de Bade qui ne connaisse la Herrenwiese. Les cerfs et les chevreuils errent en liberté sous l’ombre épaisse des sapins qui l’entourent ; le coq de bruyère y chante au printemps, la gelinotte y bat de l’aile. La plume ne saurait rendre l’aspect de ce plateau, situé au cœur même de la Forêt-Noire, et séparé par d’interminables futaies de la plaine que la charrue féconde et que l’industrie anime ; le pinceau le plus habile serait maladroit à reproduire sur la toile les couleurs changeantes et la désolation de ce paysage, fermé par une ceinture d’arbres sombres et serrés. Qu’on se figure une prairie ovale cachée dans un pli de la montagne ; les profondes colonnades des sapins montent en amphithéâtre tout alentour sans que le regard en puisse percer l’étendue mystérieuse. On dirait qu’un géant a fauché un pan de la forêt pour y faire pénétrer l’air et la lumière ; mais le soleil ni le vent n’en ont pu chasser la tristesse. Les eaux claires d’un ruisseau traversent la prairie ; quelques maisons se groupent autour d’une humble chapelle, qui n’élève pas bien haut son petit clocher. Une auberge est bâtie au bord de la route ; des troupeaux de vaches paissent l’herbe çà et là. On n’entend pas d’autres bruits que le son de la cloche ou le beuglement des animaux qui ruminent ; mais quand la bise souffle, des rumeurs plaintives remplissent le plateau, la forêt désolée gémit, et des murmures s’en élèvent qui prêtent une voix à la solitude pour pleurer. Selon que le ciel est bleu ou que les nuées se déchirent au milieu du feuillage noir, le caractère de ce plateau peut être moins sauvage sans cesser d’être mélancolique. Aux heures où le vent d’hiver agite la forêt d’un premier frisson, où le brouillard qui rampe sur les taillis des jeunes sapins estompe la montagne, la tristesse suinte du sol, descend des profondeurs du bois, monte de la vallée, passe avec le son, et la Herrenwiese tout entière, cachée dans les nuages, glacée par un froid sinistre, communique à l’âme l’impression morne d’un tombeau. Et cependant, si on l’a visitée, soit au printemps, quand mille fleurs pressées de s’épanouir étoilent l’herbe des prés, soit en automne, quand la feuille tombe et court parmi les sentiers, on ne peut s’empêcher de l’aimer, d’y penser souvent, et de revoir en esprit les lignes sévères de la montagne qui l’enserre et les croupes sombres de la forêt qui profile sur le ciel gris les flèches dentelées du mélèze et du sapin.