Author: | Pierre Loti | ISBN: | 1230000309295 |
Publisher: | Ad Majorem | Publication: | March 5, 2015 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Pierre Loti |
ISBN: | 1230000309295 |
Publisher: | Ad Majorem |
Publication: | March 5, 2015 |
Imprint: | |
Language: | French |
« Les deux chattes dont je vais conter l'histoire s'associent dans mon souvenir à quelques années relativement heureuses de ma vie. — Oh ! des années toutes récentes, mon Dieu, si on les considère dates en main, mais des années qui semblent déjà lointaines, emportées avec la vitesse toujours de plus en plus effroyable du temps, et qui, vues ainsi dans le passé, se colorent presque de derniers reflets d'aube, de dernières lueurs roses de matin et de commencement, en comparaison de l'heure grise présente, — tant nos jours se hâtent de s'assombrir, tant notre chute est rapide dans la nuit... » Pierre Loti.
« Ce fut à la fin de la guerre là-bas, un de ces soirs de bagarre qui étaient fréquents alors. Je ne sais comment cette petite bête affolée, sortie de quelque jonque en désarroi, sautée à bord de notre bateau par terreur, vint chercher asile dans ma chambre, sous ma couchette. Elle était jeune, pas encore de taille adulte, minable, efflanquée, plaintive, ayant sans doute, comme ses parents et ses maîtres, vécu chichement de quelques têtes de poisson avec un peu de riz cuit à l'eau. Et j'en eus tant de pitié que je commandai à mon ordonnance de lui préparer une pâtée et de lui offrir à boire. D'un air humble et reconnaissant, elle accepta ma prévenance, — et je la vois encore s'approchant avec lenteur de ce repas inespéré, avançant une patte, puis l'autre, ses yeux clairs tout le temps fixés sur les miens pour s'assurer si elle ne se trompait pas, si bien réellement c'était pour elle... Le lendemain matin, par exemple, je voulus la mettre à la porte. Après lui avoir fait servir un déjeuner d'adieu, je frappai dans mes mains très fort, en trépignant des deux pieds à la fois, comme il est d'usage en pareil cas, et en disant d'un ton rude : « Allez-vous-en, petite Moumoutte ! » Mais non, elle ne s'en allait pas, la chinoise. Évidemment, elle n'avait aucune frayeur de moi, comprenant par intuition que c'était très exagéré, tout ce bruit. Avec un air de me dire : « Je sais bien, va, que tu ne me feras pas de mal », elle restait tapie dans son coin, écrasée sur le plancher, dans la pose d'une suppliante, fixant sur moi deux yeux dilatés, un regard humain que je n'ai jamais vu qu'à elle seule. Comment faire ? Je ne pouvais pourtant pas établir une chatte à demeure dans ma chambre de bord. Et surtout une bête si vilaine et si maladive, quel encombrement pour l'avenir !... Alors je la pris à mon cou, avec mille égards toutefois et en lui disant même : « Je suis bien fâché, ma petite Moumoutte, » — mais je l'emportai résolument dehors, à l'autre bout de la batterie, au milieu des matelots qui, en général, sont hospitaliers et accueillants pour les chats quels qu'ils soient. Tout aplatie contre les planches du pont, et la tête retournée vers moi pour m'implorer toujours avec son regard de prière, elle se mit à filer, d'une petite allure humble et drôle, dans la direction de ma chambre, où elle fut rentrée la première de nous deux ; quand j'y revins après elle, je la trouvai tapie obstinément dans son même petit coin, et ses yeux étaient si expressifs que le courage me manqua pour la chasser de nouveau.— Voilà comment cette chinoise me prit pour maître. » Vies de deux chattes, extrait.
Table des matières : Vies de deux chattes, Noyade de chat, Chiens et chats, Une bête galeuse, extraits du Journal de Pierre Loti.
Édition illustrée avec biographie de l'auteur.
« Les deux chattes dont je vais conter l'histoire s'associent dans mon souvenir à quelques années relativement heureuses de ma vie. — Oh ! des années toutes récentes, mon Dieu, si on les considère dates en main, mais des années qui semblent déjà lointaines, emportées avec la vitesse toujours de plus en plus effroyable du temps, et qui, vues ainsi dans le passé, se colorent presque de derniers reflets d'aube, de dernières lueurs roses de matin et de commencement, en comparaison de l'heure grise présente, — tant nos jours se hâtent de s'assombrir, tant notre chute est rapide dans la nuit... » Pierre Loti.
« Ce fut à la fin de la guerre là-bas, un de ces soirs de bagarre qui étaient fréquents alors. Je ne sais comment cette petite bête affolée, sortie de quelque jonque en désarroi, sautée à bord de notre bateau par terreur, vint chercher asile dans ma chambre, sous ma couchette. Elle était jeune, pas encore de taille adulte, minable, efflanquée, plaintive, ayant sans doute, comme ses parents et ses maîtres, vécu chichement de quelques têtes de poisson avec un peu de riz cuit à l'eau. Et j'en eus tant de pitié que je commandai à mon ordonnance de lui préparer une pâtée et de lui offrir à boire. D'un air humble et reconnaissant, elle accepta ma prévenance, — et je la vois encore s'approchant avec lenteur de ce repas inespéré, avançant une patte, puis l'autre, ses yeux clairs tout le temps fixés sur les miens pour s'assurer si elle ne se trompait pas, si bien réellement c'était pour elle... Le lendemain matin, par exemple, je voulus la mettre à la porte. Après lui avoir fait servir un déjeuner d'adieu, je frappai dans mes mains très fort, en trépignant des deux pieds à la fois, comme il est d'usage en pareil cas, et en disant d'un ton rude : « Allez-vous-en, petite Moumoutte ! » Mais non, elle ne s'en allait pas, la chinoise. Évidemment, elle n'avait aucune frayeur de moi, comprenant par intuition que c'était très exagéré, tout ce bruit. Avec un air de me dire : « Je sais bien, va, que tu ne me feras pas de mal », elle restait tapie dans son coin, écrasée sur le plancher, dans la pose d'une suppliante, fixant sur moi deux yeux dilatés, un regard humain que je n'ai jamais vu qu'à elle seule. Comment faire ? Je ne pouvais pourtant pas établir une chatte à demeure dans ma chambre de bord. Et surtout une bête si vilaine et si maladive, quel encombrement pour l'avenir !... Alors je la pris à mon cou, avec mille égards toutefois et en lui disant même : « Je suis bien fâché, ma petite Moumoutte, » — mais je l'emportai résolument dehors, à l'autre bout de la batterie, au milieu des matelots qui, en général, sont hospitaliers et accueillants pour les chats quels qu'ils soient. Tout aplatie contre les planches du pont, et la tête retournée vers moi pour m'implorer toujours avec son regard de prière, elle se mit à filer, d'une petite allure humble et drôle, dans la direction de ma chambre, où elle fut rentrée la première de nous deux ; quand j'y revins après elle, je la trouvai tapie obstinément dans son même petit coin, et ses yeux étaient si expressifs que le courage me manqua pour la chasser de nouveau.— Voilà comment cette chinoise me prit pour maître. » Vies de deux chattes, extrait.
Table des matières : Vies de deux chattes, Noyade de chat, Chiens et chats, Une bête galeuse, extraits du Journal de Pierre Loti.
Édition illustrée avec biographie de l'auteur.