Author: | Marcel Proust | ISBN: | 1230002292175 |
Publisher: | Jwarlal | Publication: | April 24, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Marcel Proust |
ISBN: | 1230002292175 |
Publisher: | Jwarlal |
Publication: | April 24, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
Cependant Mme Bontemps qui avait dit cent fois qu'elle ne voulait pas aller chez les Verdurin, ravie d'être invitée aux mercredis, était en train de calculer comment elle pourrait s'y rendre le plus de fois possible. Elle ignorait que Mme Verdurin souhaitait qu'on n'en manquât aucun; d'autre part, elle était de ces personnes peu recherchées, qui quand elles sont conviées à des «séries» par une maîtresse de maison, ne vont pas chez elle comme ceux qui savent faire toujours plaisir, quand ils ont un moment et le désir de sortir; elles, au contraire, se privent par exemple de la première soirée et de la troisième, s'imaginant que leur absence sera remarquée et se réservent pour la deuxième et la quatrième; à moins que leurs informations ne leur ayant appris que la troisième sera particulièrement brillante, elles ne suivent un ordre inverse, alléguant que «malheureusement la dernière fois elles n'étaient pas libres». Telle Mme Bontemps supputait combien il pouvait y avoir encore de mercredis avant Pâques et de quelle façon elle arriverait à en avoir un de plus, sans pourtant paraître s'imposer. Elle comptait sur Mme Cottard, avec laquelle elle allait revenir, pour lui donner quelques indications. «Oh! Madame Bontemps, je vois que vous vous levez, c'est très mal de donner ainsi le signal de la fuite. Vous me devez une compensation pour n'être pas venue jeudi dernier... Allons rasseyez-vous un moment. Vous ne ferez tout de même plus d'autre visite avant le dîner. Vraiment vous ne vous laissez pas tenter? ajoutait Mme Swann et tout en tendant une assiette de gâteaux: Vous savez que ce n'est pas mauvais du tout ces petites saletés-là. Ça ne paye pas de mine, mais goûtez-en, vous m'en direz des nouvelles.—Au contraire, ça a l'air délicieux, répondait Mme Cottard, chez vous, Odette, on n'est jamais à court de victuailles. Je n'ai pas besoin de vous demander la marque de fabrique, je sais que vous faites tout venir de chez Rebattet. Je dois dire que je suis plus éclectique. Pour les petits fours, pour toutes les friandises, je m'adresse souvent à Bourbonneux. Mais je reconnais qu'ils ne savent pas ce que c'est qu'une glace. Rebattet, pour tout ce qui est glace, bavaroise ou sorbet, c'est le grand art. Comme dirait mon mari, le nec plus ultra.—Mais ceci est tout simplement fait ici. Vraiment non?—Je ne pourrai pas dîner, répondait Mme Bontemps, mais je me rassieds un instant, vous savez, moi j'adore causer avec une femme intelligente comme vous.—Vous allez me trouver indiscrète, Odette, mais j'aimerais savoir comment vous jugez le chapeau qu'avait Mme Trombert. Je sais bien que la mode est aux grands chapeaux. Tout de même n'y a-t-il pas un peu d'exagération. Et à côté de celui avec lequel elle est venue l'autre jour chez moi, celui qu'elle portait tantôt était microscopique.—Mais non je ne suis pas intelligente, disait Odette, pensant que cela faisait bien. Je suis au fond une gobeuse, qui croit tout ce qu'on lui dit, qui se fait du chagrin pour un rien.» Et elle insinuait qu'elle avait, au commencement, beaucoup souffert d'avoir épousé un homme comme Swann qui avait une vie de son côté et qui la trompait. Cependant le Prince d'Agrigente ayant entendu les mots: «Je ne suis pas intelligente», trouvait de son devoir de protester, mais il n'avait pas d'esprit de répartie. «Taratata, s'écriait Mme Bontemps, vous pas intelligente!—
Cependant Mme Bontemps qui avait dit cent fois qu'elle ne voulait pas aller chez les Verdurin, ravie d'être invitée aux mercredis, était en train de calculer comment elle pourrait s'y rendre le plus de fois possible. Elle ignorait que Mme Verdurin souhaitait qu'on n'en manquât aucun; d'autre part, elle était de ces personnes peu recherchées, qui quand elles sont conviées à des «séries» par une maîtresse de maison, ne vont pas chez elle comme ceux qui savent faire toujours plaisir, quand ils ont un moment et le désir de sortir; elles, au contraire, se privent par exemple de la première soirée et de la troisième, s'imaginant que leur absence sera remarquée et se réservent pour la deuxième et la quatrième; à moins que leurs informations ne leur ayant appris que la troisième sera particulièrement brillante, elles ne suivent un ordre inverse, alléguant que «malheureusement la dernière fois elles n'étaient pas libres». Telle Mme Bontemps supputait combien il pouvait y avoir encore de mercredis avant Pâques et de quelle façon elle arriverait à en avoir un de plus, sans pourtant paraître s'imposer. Elle comptait sur Mme Cottard, avec laquelle elle allait revenir, pour lui donner quelques indications. «Oh! Madame Bontemps, je vois que vous vous levez, c'est très mal de donner ainsi le signal de la fuite. Vous me devez une compensation pour n'être pas venue jeudi dernier... Allons rasseyez-vous un moment. Vous ne ferez tout de même plus d'autre visite avant le dîner. Vraiment vous ne vous laissez pas tenter? ajoutait Mme Swann et tout en tendant une assiette de gâteaux: Vous savez que ce n'est pas mauvais du tout ces petites saletés-là. Ça ne paye pas de mine, mais goûtez-en, vous m'en direz des nouvelles.—Au contraire, ça a l'air délicieux, répondait Mme Cottard, chez vous, Odette, on n'est jamais à court de victuailles. Je n'ai pas besoin de vous demander la marque de fabrique, je sais que vous faites tout venir de chez Rebattet. Je dois dire que je suis plus éclectique. Pour les petits fours, pour toutes les friandises, je m'adresse souvent à Bourbonneux. Mais je reconnais qu'ils ne savent pas ce que c'est qu'une glace. Rebattet, pour tout ce qui est glace, bavaroise ou sorbet, c'est le grand art. Comme dirait mon mari, le nec plus ultra.—Mais ceci est tout simplement fait ici. Vraiment non?—Je ne pourrai pas dîner, répondait Mme Bontemps, mais je me rassieds un instant, vous savez, moi j'adore causer avec une femme intelligente comme vous.—Vous allez me trouver indiscrète, Odette, mais j'aimerais savoir comment vous jugez le chapeau qu'avait Mme Trombert. Je sais bien que la mode est aux grands chapeaux. Tout de même n'y a-t-il pas un peu d'exagération. Et à côté de celui avec lequel elle est venue l'autre jour chez moi, celui qu'elle portait tantôt était microscopique.—Mais non je ne suis pas intelligente, disait Odette, pensant que cela faisait bien. Je suis au fond une gobeuse, qui croit tout ce qu'on lui dit, qui se fait du chagrin pour un rien.» Et elle insinuait qu'elle avait, au commencement, beaucoup souffert d'avoir épousé un homme comme Swann qui avait une vie de son côté et qui la trompait. Cependant le Prince d'Agrigente ayant entendu les mots: «Je ne suis pas intelligente», trouvait de son devoir de protester, mais il n'avait pas d'esprit de répartie. «Taratata, s'écriait Mme Bontemps, vous pas intelligente!—