Fumée

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Fumée by Ivan Tourguéniev, NA
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Author: Ivan Tourguéniev ISBN: 1230000246906
Publisher: NA Publication: June 16, 2014
Imprint: Language: French
Author: Ivan Tourguéniev
ISBN: 1230000246906
Publisher: NA
Publication: June 16, 2014
Imprint:
Language: French

Ce livre comporte une table des matières dynamique, a été relu et corrigé.
Extrait: Il y avait là quelques officiers profitant d’un court congé pour accourir en Europe se divertir avec quelques gens d’esprit, quand même ils seraient un peu dangereux, sans pourtant perdre un seul instant le souvenir de leur colonel et de leur avancement, et deux étudiants de Heidelberg ; l’un regardait tout avec dédain, l’autre riait convulsivement, tous deux ne semblaient pas à l’aise ; à leur suite s’était glissé un Français, p’tit jeune homme, assez misérable ; il se vantait parmi ses camarades, commis-voyageurs, d’avoir attiré l’attention de comtesses russes ; quant à lui, ce qu’il recherchait le plus était un souper gratis. Enfin apparut un nommé Titus Bindassof, en apparence bruyant convive, en réalité mauvais coucheur, terroriste en paroles, mouchard par nature, ami des marchandes russes et des lorettes parisiennes, chauve, édenté, ivrogne ; il entra rouge et débraillé, assurant qu’il avait laissé son dernier sou chez cette « canaille de Benazet », tandis qu’il en avait rapporté seize florins. En un mot, il y avait foule. Il était vraiment curieux de voir avec quel respect on entourait Goubaref : on lui soumettait des doutes, on le priait de les résoudre, et lui, il y répondait par une espèce de mugissement, par un tournoiement d’œil, par quelques mots sans suite ni sens, qu’on attrapait au vol comme l’expression de la plus haute sagesse. Il se mêlait rarement à la discussion ; en revanche, les visiteurs ne la laissaient pas tomber. Il arriva plus d’une fois que trois ou quatre d’entre eux criaient ensemble pendant dix minutes, et tous étaient ravis, tous avaient compris. La conversation se prolongea jusqu’à près de minuit et se distingua naturellement par l’abondance et la variété de ses sujets. Madame Soukhantchikof parla de Garibaldi, d’un certain Charles Ivanovitch fouetté par ses gens, de Napoléon III, du travail des femmes, du marchand Pleskachef qui, au su de tout le monde, fit mourir de faim douze ouvrières et fut décoré, à cet effet, d’une médaille portant : « Pour avoir été utile », du prolétariat, du prince géorgien Tchinktchéoulidzef, qui tira un coup de canon sur sa femme, et de l’avenir de la Russie ; Pichtchalkin parla aussi de l’avenir de la Russie, des fermes de l’eau-de-vie, de la signification des nationalités et de son horreur pour la platitude ; tout à coup Vorochilof n’y put plus tenir, et d’une haleine, au risque de s’étrangler, il nomma Draper, Virchow, M. Chelgounof, Bichat, Helmholtz, Star, Stur, Reiminth, Jean Muller le physiologue, Jean Muller l’historien, qu’il confondait évidemment, Taine, Renan, M. Chtchapof, et à leur suite Thomas Nash, Peel, Green... « Qu’est-ce que c’est que ces oiseaux-là ? » murmura Bambaéf ébahi. – « Ce sont les prédécesseurs de Shakespeare ; ils tiennent à lui comme les Alpes au mont Blanc », répondit Vorochilof d’une voix retentissante, et il passa également à l’avenir de la Russie. Bambaéf aussi crut de son devoir d’y toucher, et dépeignit cet avenir avec les couleurs de l’arc-en-ciel ; la musique russe excitait particulièrement son enthousiasme ; il voyait en elle quelque chose de « grandiose », et, pour le prouver, il attaqua une romance de Varlamof, mais il fut immédiatement interrompu par la remarque générale que c’était le Miserere du Trovatore, qu’il chantait abominablement. À la faveur du bruit, un petit officier déblatéra contre la littérature russe, un autre déclama quelques vers de l’Étincelle . Titus Bindasof fut encore plus franc : il déclara qu’il fallait casser les dents à tous les fripons, et basta ! sans déterminer d’ailleurs quels étaient ces fripons. La fumée des cigares devint intense ; tous étaient accablés, égosillés, avaient les yeux appesantis et le visage inondé de sueur. On apporta des bouteilles de bière frappée qui furent vidées en un clin d’œil. « Où en étais-je ? » disait l’un. « Avec qui donc est-ce que je discute ? » demandait l’autre. « Et sur quel

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Ce livre comporte une table des matières dynamique, a été relu et corrigé.
Extrait: Il y avait là quelques officiers profitant d’un court congé pour accourir en Europe se divertir avec quelques gens d’esprit, quand même ils seraient un peu dangereux, sans pourtant perdre un seul instant le souvenir de leur colonel et de leur avancement, et deux étudiants de Heidelberg ; l’un regardait tout avec dédain, l’autre riait convulsivement, tous deux ne semblaient pas à l’aise ; à leur suite s’était glissé un Français, p’tit jeune homme, assez misérable ; il se vantait parmi ses camarades, commis-voyageurs, d’avoir attiré l’attention de comtesses russes ; quant à lui, ce qu’il recherchait le plus était un souper gratis. Enfin apparut un nommé Titus Bindassof, en apparence bruyant convive, en réalité mauvais coucheur, terroriste en paroles, mouchard par nature, ami des marchandes russes et des lorettes parisiennes, chauve, édenté, ivrogne ; il entra rouge et débraillé, assurant qu’il avait laissé son dernier sou chez cette « canaille de Benazet », tandis qu’il en avait rapporté seize florins. En un mot, il y avait foule. Il était vraiment curieux de voir avec quel respect on entourait Goubaref : on lui soumettait des doutes, on le priait de les résoudre, et lui, il y répondait par une espèce de mugissement, par un tournoiement d’œil, par quelques mots sans suite ni sens, qu’on attrapait au vol comme l’expression de la plus haute sagesse. Il se mêlait rarement à la discussion ; en revanche, les visiteurs ne la laissaient pas tomber. Il arriva plus d’une fois que trois ou quatre d’entre eux criaient ensemble pendant dix minutes, et tous étaient ravis, tous avaient compris. La conversation se prolongea jusqu’à près de minuit et se distingua naturellement par l’abondance et la variété de ses sujets. Madame Soukhantchikof parla de Garibaldi, d’un certain Charles Ivanovitch fouetté par ses gens, de Napoléon III, du travail des femmes, du marchand Pleskachef qui, au su de tout le monde, fit mourir de faim douze ouvrières et fut décoré, à cet effet, d’une médaille portant : « Pour avoir été utile », du prolétariat, du prince géorgien Tchinktchéoulidzef, qui tira un coup de canon sur sa femme, et de l’avenir de la Russie ; Pichtchalkin parla aussi de l’avenir de la Russie, des fermes de l’eau-de-vie, de la signification des nationalités et de son horreur pour la platitude ; tout à coup Vorochilof n’y put plus tenir, et d’une haleine, au risque de s’étrangler, il nomma Draper, Virchow, M. Chelgounof, Bichat, Helmholtz, Star, Stur, Reiminth, Jean Muller le physiologue, Jean Muller l’historien, qu’il confondait évidemment, Taine, Renan, M. Chtchapof, et à leur suite Thomas Nash, Peel, Green... « Qu’est-ce que c’est que ces oiseaux-là ? » murmura Bambaéf ébahi. – « Ce sont les prédécesseurs de Shakespeare ; ils tiennent à lui comme les Alpes au mont Blanc », répondit Vorochilof d’une voix retentissante, et il passa également à l’avenir de la Russie. Bambaéf aussi crut de son devoir d’y toucher, et dépeignit cet avenir avec les couleurs de l’arc-en-ciel ; la musique russe excitait particulièrement son enthousiasme ; il voyait en elle quelque chose de « grandiose », et, pour le prouver, il attaqua une romance de Varlamof, mais il fut immédiatement interrompu par la remarque générale que c’était le Miserere du Trovatore, qu’il chantait abominablement. À la faveur du bruit, un petit officier déblatéra contre la littérature russe, un autre déclama quelques vers de l’Étincelle . Titus Bindasof fut encore plus franc : il déclara qu’il fallait casser les dents à tous les fripons, et basta ! sans déterminer d’ailleurs quels étaient ces fripons. La fumée des cigares devint intense ; tous étaient accablés, égosillés, avaient les yeux appesantis et le visage inondé de sueur. On apporta des bouteilles de bière frappée qui furent vidées en un clin d’œil. « Où en étais-je ? » disait l’un. « Avec qui donc est-ce que je discute ? » demandait l’autre. « Et sur quel

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