La Petite Dorrit, Annoté Tome II

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book La Petite Dorrit, Annoté Tome II by CHARLES DICKENS, GILBERT TEROL
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Author: CHARLES DICKENS ISBN: 1230000213653
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 28, 2014
Imprint: Language: French
Author: CHARLES DICKENS
ISBN: 1230000213653
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 28, 2014
Imprint:
Language: French

Par une soirée d’automne, les ténèbres et la nuit montaient lentement le long des pics les plus élevés des Alpes.

C’était l’époque des vendanges dans les vallées du passage du grand Saint Bernard, du côté de la Suisse, et sur les bords du lac de Genève. L’atmosphère était chargée de l’odeur du raisin cueilli. Des paniers, des auges et des baquets pleins de raisin traînaient devant les portes du village obscurci, encombrant les rues étroites et montueuses. Toute la journée on n’avait fait qu’apporter du raisin le long de chaque route et de chaque sentier. Partout on voyait à terre du raisin renversé et écrasé sous les pieds du passant. L’enfant, suspendu sur l’épaule de la paysanne rentrant chez elle d’un pas fatigué, était calmé au moyen d’un raisin ramassé sur la route. L’idiot, assis sous l’auvent d’un chalet, réchauffant au soleil son énorme goitre, mordait à même la grappe ; l’haleine des vaches et des chèvres sentait les feuilles et les bourgeons de vigne ; les gens attablés dans tous les petits cabarets mangeaient, buvaient, parlaient raisin. Quel dommage que cette généreuse abondance ne suffise pas pour rendre le vin du pays moins maigre, moins âpre, moins rocailleux, car, après tout, c’est de ce raisin pourtant qu’il est fait.

Pendant cette belle journée, le ciel était resté pur et transparent. Des clochers de métal et des toits d’église trop éloignés pour qu’on les aperçût souvent, avaient brillé au loin ce jour-là ; les sommets neigeux des montagnes s’étaient dessinés si clairement à l’horizon que des yeux peu habitués à de pareils spectacles, supprimant le paysage intermédiaire et faisant tort à ces montagnes d’une hauteur incroyable, se figuraient qu’elles ne se trouvaient qu’à quelques heures de marche. Des pics qui jouissaient d’une grande réputation dans la vallée, d’où on ne pouvait les voir pendant des mois entiers, s’étaient montrés à nu, comme à deux pas, dans le ciel bleu. Et maintenant qu’il faisait déjà nuit à leur base, bien qu’ils parussent s’éloigner solennellement comme des spectres qui vont disparaître, à mesure que la lueur rougeâtre du soleil couchant les abandonnait en les teignant d’un blanc mat, on les apercevait encore distinctement dans leur isolement bien tranché au-dessus du brouillard et des ombres.

Vue du milieu de ces solitudes dont le passage du grand Saint Bernard faisait partie, la nuit semblait s’élever comme une mer qui monte. Lorsque l’obscurité gagna enfin les murs du couvent du grand Saint Bernard, on eût dit que ce vieil édifice était une seconde arche voguant sur des flots ténébreux.

L’obscurité, montant plus vite que certains touristes voyageant à dos de mulet, avait donc déjà atteint les murs raboteux du couvent, tandis que ces voyageurs suivaient encore les sentiers de la montagne. De même que la chaleur de ce beau jour, durant lequel ils s’étaient plus d’une fois arrêtés pour boire des ruisseaux de glace et de neige fondues, avait fait place au froid pénétrant de l’air raréfié des montagnes, de même la beauté verdoyante de la plaine avait fait place à un paysage aride et désolé. Les voyageurs suivaient maintenant un sentier rocheux entouré de précipices, le long duquel les mulets grimpaient à la file, d’un bloc à l’autre, comme s’ils montaient les marches dégradées de quelque escalier gigantesque. On n’aperçoit plus un seul arbre, pas la moindre végétation, sauf quelques misérables brins de mousse bruns grelottant dans les crevasses des rochers. Çà et là des poteaux noircis, pareils à des bras de squelettes qui s’élèvent pour indiquer la direction du couvent, comme si les spectres de voyageurs ensevelis sous la neige hantaient encore le théâtre de leur mort. Des caves tapissées de glaçons, creusées pour servir de refuges contre un soudain orage, sortaient autant de murmures qui semblent vous avertir des périls de la route ; des spirales et des nuages de brouillard, sans cesse en mouvement, errent de tous côtés, chargés par le vent qui gémit ; la neige, le plus redoutable péril des montagnes, tombe en rapides flocons.

La file des mulets, fatigués par leur longue et pénible ascension poursuit lentement sa route tortueuse le long de l’abrupt sentier ; à la tête marche un guide en chapeau à larges bords et en veste ronde, portant sur l’épaule un ou deux bâtons ferrés, tenant la bride de la première mule et causant avec un de ses camarades. Les voyageurs eux-mêmes gardent le silence. Le froid glacial, les fatigues de la route et même une sensation toute nouvelle de difficultés dans la respiration, comme s’ils sortaient d’un bain d’eau glacé, ou qu’ils vinssent de sangloter de froid, leur ôtent l’envie de parler.

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Par une soirée d’automne, les ténèbres et la nuit montaient lentement le long des pics les plus élevés des Alpes.

C’était l’époque des vendanges dans les vallées du passage du grand Saint Bernard, du côté de la Suisse, et sur les bords du lac de Genève. L’atmosphère était chargée de l’odeur du raisin cueilli. Des paniers, des auges et des baquets pleins de raisin traînaient devant les portes du village obscurci, encombrant les rues étroites et montueuses. Toute la journée on n’avait fait qu’apporter du raisin le long de chaque route et de chaque sentier. Partout on voyait à terre du raisin renversé et écrasé sous les pieds du passant. L’enfant, suspendu sur l’épaule de la paysanne rentrant chez elle d’un pas fatigué, était calmé au moyen d’un raisin ramassé sur la route. L’idiot, assis sous l’auvent d’un chalet, réchauffant au soleil son énorme goitre, mordait à même la grappe ; l’haleine des vaches et des chèvres sentait les feuilles et les bourgeons de vigne ; les gens attablés dans tous les petits cabarets mangeaient, buvaient, parlaient raisin. Quel dommage que cette généreuse abondance ne suffise pas pour rendre le vin du pays moins maigre, moins âpre, moins rocailleux, car, après tout, c’est de ce raisin pourtant qu’il est fait.

Pendant cette belle journée, le ciel était resté pur et transparent. Des clochers de métal et des toits d’église trop éloignés pour qu’on les aperçût souvent, avaient brillé au loin ce jour-là ; les sommets neigeux des montagnes s’étaient dessinés si clairement à l’horizon que des yeux peu habitués à de pareils spectacles, supprimant le paysage intermédiaire et faisant tort à ces montagnes d’une hauteur incroyable, se figuraient qu’elles ne se trouvaient qu’à quelques heures de marche. Des pics qui jouissaient d’une grande réputation dans la vallée, d’où on ne pouvait les voir pendant des mois entiers, s’étaient montrés à nu, comme à deux pas, dans le ciel bleu. Et maintenant qu’il faisait déjà nuit à leur base, bien qu’ils parussent s’éloigner solennellement comme des spectres qui vont disparaître, à mesure que la lueur rougeâtre du soleil couchant les abandonnait en les teignant d’un blanc mat, on les apercevait encore distinctement dans leur isolement bien tranché au-dessus du brouillard et des ombres.

Vue du milieu de ces solitudes dont le passage du grand Saint Bernard faisait partie, la nuit semblait s’élever comme une mer qui monte. Lorsque l’obscurité gagna enfin les murs du couvent du grand Saint Bernard, on eût dit que ce vieil édifice était une seconde arche voguant sur des flots ténébreux.

L’obscurité, montant plus vite que certains touristes voyageant à dos de mulet, avait donc déjà atteint les murs raboteux du couvent, tandis que ces voyageurs suivaient encore les sentiers de la montagne. De même que la chaleur de ce beau jour, durant lequel ils s’étaient plus d’une fois arrêtés pour boire des ruisseaux de glace et de neige fondues, avait fait place au froid pénétrant de l’air raréfié des montagnes, de même la beauté verdoyante de la plaine avait fait place à un paysage aride et désolé. Les voyageurs suivaient maintenant un sentier rocheux entouré de précipices, le long duquel les mulets grimpaient à la file, d’un bloc à l’autre, comme s’ils montaient les marches dégradées de quelque escalier gigantesque. On n’aperçoit plus un seul arbre, pas la moindre végétation, sauf quelques misérables brins de mousse bruns grelottant dans les crevasses des rochers. Çà et là des poteaux noircis, pareils à des bras de squelettes qui s’élèvent pour indiquer la direction du couvent, comme si les spectres de voyageurs ensevelis sous la neige hantaient encore le théâtre de leur mort. Des caves tapissées de glaçons, creusées pour servir de refuges contre un soudain orage, sortaient autant de murmures qui semblent vous avertir des périls de la route ; des spirales et des nuages de brouillard, sans cesse en mouvement, errent de tous côtés, chargés par le vent qui gémit ; la neige, le plus redoutable péril des montagnes, tombe en rapides flocons.

La file des mulets, fatigués par leur longue et pénible ascension poursuit lentement sa route tortueuse le long de l’abrupt sentier ; à la tête marche un guide en chapeau à larges bords et en veste ronde, portant sur l’épaule un ou deux bâtons ferrés, tenant la bride de la première mule et causant avec un de ses camarades. Les voyageurs eux-mêmes gardent le silence. Le froid glacial, les fatigues de la route et même une sensation toute nouvelle de difficultés dans la respiration, comme s’ils sortaient d’un bain d’eau glacé, ou qu’ils vinssent de sangloter de froid, leur ôtent l’envie de parler.

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