Author: | Walter Scott | ISBN: | 1230002801179 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | November 6, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Walter Scott |
ISBN: | 1230002801179 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | November 6, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
C’était le matin d’un beau jour d’été, vers la fin du dix-huitième siècle, qu’un jeune homme d’une tournure distinguée, et qui se rendait au nord-est de l’Écosse, avait arrêté une place dans une des voitures publiques qui parcourent la route d’Édimbourg et de Queensferry, endroit où, comme le nom l’indique, tous mes lecteurs du nord savent qu’on trouve une barque pour traverser le détroit du Forth[7]. La voiture était destinée à contenir régulièrement six voyageurs, outre ceux que le cocher pouvait ramasser en route, et qui venaient empiéter sur les places des légitimes possesseurs. Les billets qui donnaient droit à un siège dans cette voiture peu commode étaient distribués par une vieille femme à l’œil perçant, et dont le nez long et effilé était surmonté d’une paire de lunettes. Elle habitait, dans High-Street, une boutique souterraine, c’est-à-dire une espèce de cave où l’on descendait par un escalier fort roide et fort étroit. Là, elle vendait du ruban, du fil, des aiguilles, des écheveaux de laine, de la grosse toile, et semblables articles de mercerie, à ceux qui avaient le courage et l’adresse de descendre dans les profondeurs de son habitation sans y tomber la tête la première et sans renverser aucun des nombreux articles qui, entassés de chaque côté de l’escalier ; indiquaient le genre de commerce qu’on faisait en bas.
L’affiche écrite à la main et qu’on avait collée sur une planche en saillie pour annoncer que la diligence de Queensferry, ou la Mouche de Hawes[8], partait à midi précis le mardi 15 juin 17…, afin d’assurer aux voyageurs le passage du Forth[9] avec la marée montante, était semblable à un bulletin ; car bien que midi fût sonné à l’horloge de Saint-Gilles et que celle de Tron l’eût répété[10], la voiture ne se montrait pas au lieu indiqué. Il est vrai que deux places seulement ayant été retenues, il était possible que la dame du logis souterrain se fût entendue avec son Automédon[11] pour qu’en cas semblable il laissât s’écouler quelques momens, afin d’avoir la chance de remplir les places vacantes, ou bien ledit Automédon avait pu être employé à la suite d’un enterrement, et se trouver retenu par la nécessité de dépouiller sa voiture de ses draperies lugubres ; ou peut-être s’était-il arrêté pour boire une demi-pinte extra avec son compère l’hôte : le fait est qu’il n’arrivait pas.
Le jeune homme, qui commençait à s’impatienter un peu, fut bientôt abordé par un compagnon d’infortune : c’était la personne qui avait retenu la seconde place. Celui qui va entreprendre un voyage se distingue en général aisément de ses autres concitoyens. Les bottes, la large redingote, le parapluie, le petit paquet qu’il tient à la main, le chapeau enfoncé sur son front, son air résolu, son pas ferme et important, la brièveté de ses réponses aux salutations des oisifs de sa connaissance, sont des marques auxquelles celui qui a l’habitude de voyager par la diligence ou la malle reconnaît de loin son compagnon de route lorsqu’il se hâte d’arriver au lieu du rendez-vous. C’est alors qu’avec une prudence un peu égoïste, le premier venu s’empresse de s’assurer la meilleure place dans la voiture, et d’arranger son bagage de la manière la plus commode avant l’arrivée de ses compétiteurs. Notre jeune homme, qui n’était pas doué de beaucoup de prévoyance, et qui d’ailleurs, par l’absence de la voiture, était dans l’impossibilité de profiter de son droit de priorité, s’amusa, pour se distraire, à faire des conjectures sur les occupations et le caractère de l’individu qui venait d’arriver.
C’était un assez bel homme d’environ soixante ans, peut-être plus ; mais son teint animé et la fermeté de sa démarche indiquaient que les années n’avaient altéré ni sa force ni sa santé. Sa physionomie avait le vrai caractère écossais ; des traits fortement prononcés et peut-être un peu durs, un coup d’œil vif et pénétrant, et une gravité habituelle animée par une teinte d’humeur satirique ; ses habits étaient d’une couleur uniforme et convenable à son âge et à sa gravité ; sa perruque, bien poudrée et surmontée d’un chapeau rabattu, lui donnait l’air d’appartenir à quelque profession sérieuse ; ce pouvait être un ecclésiastique, cependant son aspect avait quelque chose de plus mondain que celui des membres de l’église d’Écosse, et sa première exclamation ne laissa bientôt plus de doute.
Il arriva d’un pas pressé, et jetant un regard alarmé d’abord sur le cadran de l’église, puis sur l’endroit où aurait dû se trouver la voiture, il s’écria : « Le diable s’en mêle, je suis arrivé trop tard ! »
Le jeune homme le tira de son inquiétude en lui apprenant que la voiture n’avait pas encore paru. Le vieux gentilhomme, sentant apparemment qu’il avait lui-même manqué d’exactitude, ne se crut pas d’abord le droit de se plaindre de celle du cocher. Il prit un paquet, qui paraissait contenir un volumineux in-folio, des mains d’un petit garçon qui l’avait suivi, et lui donnant un léger coup sur la joue, il lui commanda de s’en retourner, et de dire à M. B… que s’il avait cru avoir autant de temps à lui, ils n’auraient pas terminé si facilement leur marché ; puis il engagea l’enfant à être laborieux et exact, lui disant qu’il ferait son chemin tout aussi bien qu’aucun autre épousseteur de livres. Le petit garçon semblait attendre, peut-être dans l’espoir qu’il lui donnerait une pièce de deux sous pour acheter des billes ; mais il n’en fut rien. Le vieux monsieur appuya son petit paquet sur un des poteaux qui étaient en tête de l’escalier ; et, se plaçant en face du jeune voyageur, il attendit en silence pendant environ cinq minutes, l’arrivée de la diligence.
À la fin, après avoir jeté une fois ou deux un regard impatient sur la grande aiguille de l’horloge, l’avoir comparée avec une vieille et lourde montre d’or à répétition qu’il avait tirée dans ce but ; après s’être composé le visage pour donner une expression plus énergique à deux ou trois exclamations de colère, il appela la vieille marchande de la boutique souterraine.
« Bonne femme ! diable soit de son nom ! Mistriss Macleuchar ! »
C’était le matin d’un beau jour d’été, vers la fin du dix-huitième siècle, qu’un jeune homme d’une tournure distinguée, et qui se rendait au nord-est de l’Écosse, avait arrêté une place dans une des voitures publiques qui parcourent la route d’Édimbourg et de Queensferry, endroit où, comme le nom l’indique, tous mes lecteurs du nord savent qu’on trouve une barque pour traverser le détroit du Forth[7]. La voiture était destinée à contenir régulièrement six voyageurs, outre ceux que le cocher pouvait ramasser en route, et qui venaient empiéter sur les places des légitimes possesseurs. Les billets qui donnaient droit à un siège dans cette voiture peu commode étaient distribués par une vieille femme à l’œil perçant, et dont le nez long et effilé était surmonté d’une paire de lunettes. Elle habitait, dans High-Street, une boutique souterraine, c’est-à-dire une espèce de cave où l’on descendait par un escalier fort roide et fort étroit. Là, elle vendait du ruban, du fil, des aiguilles, des écheveaux de laine, de la grosse toile, et semblables articles de mercerie, à ceux qui avaient le courage et l’adresse de descendre dans les profondeurs de son habitation sans y tomber la tête la première et sans renverser aucun des nombreux articles qui, entassés de chaque côté de l’escalier ; indiquaient le genre de commerce qu’on faisait en bas.
L’affiche écrite à la main et qu’on avait collée sur une planche en saillie pour annoncer que la diligence de Queensferry, ou la Mouche de Hawes[8], partait à midi précis le mardi 15 juin 17…, afin d’assurer aux voyageurs le passage du Forth[9] avec la marée montante, était semblable à un bulletin ; car bien que midi fût sonné à l’horloge de Saint-Gilles et que celle de Tron l’eût répété[10], la voiture ne se montrait pas au lieu indiqué. Il est vrai que deux places seulement ayant été retenues, il était possible que la dame du logis souterrain se fût entendue avec son Automédon[11] pour qu’en cas semblable il laissât s’écouler quelques momens, afin d’avoir la chance de remplir les places vacantes, ou bien ledit Automédon avait pu être employé à la suite d’un enterrement, et se trouver retenu par la nécessité de dépouiller sa voiture de ses draperies lugubres ; ou peut-être s’était-il arrêté pour boire une demi-pinte extra avec son compère l’hôte : le fait est qu’il n’arrivait pas.
Le jeune homme, qui commençait à s’impatienter un peu, fut bientôt abordé par un compagnon d’infortune : c’était la personne qui avait retenu la seconde place. Celui qui va entreprendre un voyage se distingue en général aisément de ses autres concitoyens. Les bottes, la large redingote, le parapluie, le petit paquet qu’il tient à la main, le chapeau enfoncé sur son front, son air résolu, son pas ferme et important, la brièveté de ses réponses aux salutations des oisifs de sa connaissance, sont des marques auxquelles celui qui a l’habitude de voyager par la diligence ou la malle reconnaît de loin son compagnon de route lorsqu’il se hâte d’arriver au lieu du rendez-vous. C’est alors qu’avec une prudence un peu égoïste, le premier venu s’empresse de s’assurer la meilleure place dans la voiture, et d’arranger son bagage de la manière la plus commode avant l’arrivée de ses compétiteurs. Notre jeune homme, qui n’était pas doué de beaucoup de prévoyance, et qui d’ailleurs, par l’absence de la voiture, était dans l’impossibilité de profiter de son droit de priorité, s’amusa, pour se distraire, à faire des conjectures sur les occupations et le caractère de l’individu qui venait d’arriver.
C’était un assez bel homme d’environ soixante ans, peut-être plus ; mais son teint animé et la fermeté de sa démarche indiquaient que les années n’avaient altéré ni sa force ni sa santé. Sa physionomie avait le vrai caractère écossais ; des traits fortement prononcés et peut-être un peu durs, un coup d’œil vif et pénétrant, et une gravité habituelle animée par une teinte d’humeur satirique ; ses habits étaient d’une couleur uniforme et convenable à son âge et à sa gravité ; sa perruque, bien poudrée et surmontée d’un chapeau rabattu, lui donnait l’air d’appartenir à quelque profession sérieuse ; ce pouvait être un ecclésiastique, cependant son aspect avait quelque chose de plus mondain que celui des membres de l’église d’Écosse, et sa première exclamation ne laissa bientôt plus de doute.
Il arriva d’un pas pressé, et jetant un regard alarmé d’abord sur le cadran de l’église, puis sur l’endroit où aurait dû se trouver la voiture, il s’écria : « Le diable s’en mêle, je suis arrivé trop tard ! »
Le jeune homme le tira de son inquiétude en lui apprenant que la voiture n’avait pas encore paru. Le vieux gentilhomme, sentant apparemment qu’il avait lui-même manqué d’exactitude, ne se crut pas d’abord le droit de se plaindre de celle du cocher. Il prit un paquet, qui paraissait contenir un volumineux in-folio, des mains d’un petit garçon qui l’avait suivi, et lui donnant un léger coup sur la joue, il lui commanda de s’en retourner, et de dire à M. B… que s’il avait cru avoir autant de temps à lui, ils n’auraient pas terminé si facilement leur marché ; puis il engagea l’enfant à être laborieux et exact, lui disant qu’il ferait son chemin tout aussi bien qu’aucun autre épousseteur de livres. Le petit garçon semblait attendre, peut-être dans l’espoir qu’il lui donnerait une pièce de deux sous pour acheter des billes ; mais il n’en fut rien. Le vieux monsieur appuya son petit paquet sur un des poteaux qui étaient en tête de l’escalier ; et, se plaçant en face du jeune voyageur, il attendit en silence pendant environ cinq minutes, l’arrivée de la diligence.
À la fin, après avoir jeté une fois ou deux un regard impatient sur la grande aiguille de l’horloge, l’avoir comparée avec une vieille et lourde montre d’or à répétition qu’il avait tirée dans ce but ; après s’être composé le visage pour donner une expression plus énergique à deux ou trois exclamations de colère, il appela la vieille marchande de la boutique souterraine.
« Bonne femme ! diable soit de son nom ! Mistriss Macleuchar ! »