Author: | FRANÇOIS MAURIAC | ISBN: | 1230002408545 |
Publisher: | Jwarlal | Publication: | July 3, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | FRANÇOIS MAURIAC |
ISBN: | 1230002408545 |
Publisher: | Jwarlal |
Publication: | July 3, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
C'était dimanche soir. Il était en train de lire. Le livre lui tombe des mains. Vous, chère amie, vous accourez, et déjà il n'était plus. Hélas! au long de ces dernières années, que d'amis nous avons vu disparaître, et de quelle mort soudaine! Mais à la guerre, nous étions tous entourés par la mort, quand elle prenait l'un de nous, on s'inclinait sans colère, sans reproche, sans étonnement. Ici, après la tempête, dans la quiétude retrouvée, quand toutes les vies se refont, quand la sienne était si douce, si remplie d'un absolu bonheur près de vous qu'il adorait et qui lui rendiez si bien tout l'amour qu'il avait pour vous, cette irruption du malheur dans la paix de votre maison, cela a quelque chose de révoltant et de sauvage que notre cœur ne peut accepter. Et cependant, quand nous réfléchissons, notre stupeur s'émousse et nous comprenons bien que nous devons l'ajouter, lui aussi, à la longue liste de ces amis si chers que la guerre nous a pris. Il s'est usé dans ces relèves de Verdun, où ses hommes le voyaient tomber deux et trois fois, à bout de force et se relevant toujours avec cette volonté de faire très simplement, mais fermement, ce qu'il devait. Depuis ces mauvais jours, sa santé profondément altérée avait pu nous faire illusion. L'an passé, en Bretagne, son organisme ranimé par le doux air de la Rance, la tendresse et l'amitié, semblait avoir surmonté les maléfices qui nous avaient inquiété. Une occupation de son goût et bien adaptée à son esprit paraissait de nature à compléter sa guérison. Il ne ressentait plus ces malaises qui, un moment, avaient jeté leur ombre sur votre bonheur à tous les deux, et ce retour à la vie l'enchantait. Hier encore, il vous disait, chère amie, que jamais il n'avait pris tant de plaisir à marcher dans Paris, dans l'allégresse de ces beaux froids d'hiver. Il n'y avait là qu'une illusion, une tromperie de la nature pour rendre notre chagrin plus amer. L'usure secrète était trop grande; la guerre n'était pas encore finie; les maléfices continuaient leur travail; et l'autre soir son destin est venu le surprendre dans sa rêverie habituelle, un volume à la main, sous la paisible lumière de sa lampe, dans sa veste de velours, de vieil ami des livres. Je ne sais quoi de mystérieux a posé la main sur son cœur et n'a pas voulu lui permettre de finir la page commencée.
C'était dimanche soir. Il était en train de lire. Le livre lui tombe des mains. Vous, chère amie, vous accourez, et déjà il n'était plus. Hélas! au long de ces dernières années, que d'amis nous avons vu disparaître, et de quelle mort soudaine! Mais à la guerre, nous étions tous entourés par la mort, quand elle prenait l'un de nous, on s'inclinait sans colère, sans reproche, sans étonnement. Ici, après la tempête, dans la quiétude retrouvée, quand toutes les vies se refont, quand la sienne était si douce, si remplie d'un absolu bonheur près de vous qu'il adorait et qui lui rendiez si bien tout l'amour qu'il avait pour vous, cette irruption du malheur dans la paix de votre maison, cela a quelque chose de révoltant et de sauvage que notre cœur ne peut accepter. Et cependant, quand nous réfléchissons, notre stupeur s'émousse et nous comprenons bien que nous devons l'ajouter, lui aussi, à la longue liste de ces amis si chers que la guerre nous a pris. Il s'est usé dans ces relèves de Verdun, où ses hommes le voyaient tomber deux et trois fois, à bout de force et se relevant toujours avec cette volonté de faire très simplement, mais fermement, ce qu'il devait. Depuis ces mauvais jours, sa santé profondément altérée avait pu nous faire illusion. L'an passé, en Bretagne, son organisme ranimé par le doux air de la Rance, la tendresse et l'amitié, semblait avoir surmonté les maléfices qui nous avaient inquiété. Une occupation de son goût et bien adaptée à son esprit paraissait de nature à compléter sa guérison. Il ne ressentait plus ces malaises qui, un moment, avaient jeté leur ombre sur votre bonheur à tous les deux, et ce retour à la vie l'enchantait. Hier encore, il vous disait, chère amie, que jamais il n'avait pris tant de plaisir à marcher dans Paris, dans l'allégresse de ces beaux froids d'hiver. Il n'y avait là qu'une illusion, une tromperie de la nature pour rendre notre chagrin plus amer. L'usure secrète était trop grande; la guerre n'était pas encore finie; les maléfices continuaient leur travail; et l'autre soir son destin est venu le surprendre dans sa rêverie habituelle, un volume à la main, sous la paisible lumière de sa lampe, dans sa veste de velours, de vieil ami des livres. Je ne sais quoi de mystérieux a posé la main sur son cœur et n'a pas voulu lui permettre de finir la page commencée.