Les Metteurs en scène

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Les Metteurs en scène by EDITH WHARTON, GILBERT TEROL
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Author: EDITH WHARTON ISBN: 1230000213410
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 27, 2014
Imprint: Language: English
Author: EDITH WHARTON
ISBN: 1230000213410
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 27, 2014
Imprint:
Language: English

C’était l’heure du thé à l’hôtel Nouveau-Luxe.

Depuis quelques instants, Jean Le Fanois se tenait à l’entrée d’un des petits salons à boiseries Louis XV qui donnent sur le vaste hall central. De taille moyenne, svelte et bien pris dans sa redingote de coupe irréprochable, il avait l’allure narquoise et légèrement impertinente du Parisien de bonne famille qui s’est frotté trop longtemps au monde exotique et bruyant des hôtels élégants et des cabarets ultra-chics. De temps à autre, cependant, sa figure pâle et nerveuse était assombrie par une expression d’inquiétude, qui se dissimulait mal sous le sourire insouciant avec lequel il saluait les personnes de sa connaissance.

Plusieurs fois il jeta un coup d’œil impatient sur sa montre ; puis son visage se rasséréna, et il s’avança d’un pas rapide à la rencontre d’une jeune fille qui venait de franchir le seuil du hall. Fine et élancée, dans son costume de ville d’une élégance sobre, elle avait, sur un cou long et gracile, une jolie tête d’éphèbe, aux lèvres d’un rose trop pâle, aux grands yeux clairs et transparents, sous un front intelligent qu’ombrageaient des cheveux d’un blond doux et indécis. Cherchant le jeune homme du regard, elle traversait seule la salle encombrée, avec la mine confiante, le port de tête tranquillement audacieux de la jeune Américaine habituée à se frayer elle-même un chemin à travers la vie. Pourtant, à la regarder de plus près, on remarquait que l’air d’indépendance un peu naïve qui caractérise ses compatriotes était adouci chez elle par une nuance de raffinement parisien, comme si un visage au teint trop éclatant eût été voilé par un tulle léger. Le contact d’une autre civilisation avait produit chez elle un tout autre effet que chez Le Fanois : elle avait gagné, à ce commerce cosmopolite, autant que lui paraissait y avoir perdu.

Le jeune homme l’aborda avec un geste de familiarité fraternelle.

— Vous arrivez seule ? Vos amies vous ont fait faux bond ? demanda-t-il en lui serrant la main.

Miss Lambart eut un sourire rassurant, tandis que son clair regard fouillait la salle.

— Mais non, je ne pense pas. Je devais retrouver Mrs Smithers et sa fille dans un de ces petits salons là-bas.

Elle indiqua, du bout de son face-à-main d’écaille, l’enfilade de pièces qui donnait sur le hall.

— Si nous les cherchions ? continua-t-elle.

Mais Le Fanois la retint.

— Un instant, je vous prie, dit-il, en baissant la voix et en faisant reculer la jeune fille vers une des grandes baies vitrées qui s’ouvraient sur le jardin de l’hôtel. Expliquez-moi ce que vous leur avez dit de moi, et quel est au juste le rôle que je dois jouer.

Il hésita, puis, avec un sourire vaguement ironique :

— Enfin, à quel degré d’ambition sociale vos amies sont-elles parvenues ?

Miss Lambart sourit aussi.

— Je les crois bien naïves encore, dit-elle ; mais il faut toujours se tenir sur ses gardes. Les plus naïfs sont parfois les plus méfiants.

Elle lui jeta un coup d’œil railleur.

— Souvenez-vous de la jolie veuve de Trouville, — celle de l’année dernière, vous savez ? Si vous aviez voulu la présenter à la duchesse de Sestre, le tour eût été joué.

Le jeune homme haussa légèrement les épaules.

— Elle était vraiment trop exigeante, dit-il. Et puis — et puis — était-elle bien veuve, veuve comme on l’entend chez nous, ou bien avait-elle simplement égaré son dernier mari ? Votre pays est si grand que ces accidents doivent souvent arriver. Son passé était vraiment trop nébuleux !

La jeune fille eut un petit rire qui découvrait ses jolies dents nacrées et régulières sous le rose pâle des lèvres un peu trop minces.

— Oh ! quant à cela, vous savez, je ne vous réponds pas du passé de Mrs Smithers, car je n’ai jamais soulevé les voiles qui l’entourent. Mais je vous assure que sa fille est charmante, et que vous seriez bien difficile de ne pas en convenir.

Le jeune homme lui jeta un regard indéfinissable, où une nuance de sentiment semblait se mêler à sa moquerie habituelle.

— Aussi charmante que vous ? demanda-t-il en plaisantant.

Les sourcils foncés de miss Lambart se contractèrent sur ses grands yeux, devenus subitement d’un gris froid et métallique.

— Ah çà ! mon cher, vous sortez de votre rôle. Du reste, reprit-elle, en retrouvant sa désinvolture souriante, c’est à moi de vous l’indiquer. Comme je vous le disais, je crois que, pour le moment, les ambitions de Mrs Smithers ne se sont pas précisées.

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C’était l’heure du thé à l’hôtel Nouveau-Luxe.

Depuis quelques instants, Jean Le Fanois se tenait à l’entrée d’un des petits salons à boiseries Louis XV qui donnent sur le vaste hall central. De taille moyenne, svelte et bien pris dans sa redingote de coupe irréprochable, il avait l’allure narquoise et légèrement impertinente du Parisien de bonne famille qui s’est frotté trop longtemps au monde exotique et bruyant des hôtels élégants et des cabarets ultra-chics. De temps à autre, cependant, sa figure pâle et nerveuse était assombrie par une expression d’inquiétude, qui se dissimulait mal sous le sourire insouciant avec lequel il saluait les personnes de sa connaissance.

Plusieurs fois il jeta un coup d’œil impatient sur sa montre ; puis son visage se rasséréna, et il s’avança d’un pas rapide à la rencontre d’une jeune fille qui venait de franchir le seuil du hall. Fine et élancée, dans son costume de ville d’une élégance sobre, elle avait, sur un cou long et gracile, une jolie tête d’éphèbe, aux lèvres d’un rose trop pâle, aux grands yeux clairs et transparents, sous un front intelligent qu’ombrageaient des cheveux d’un blond doux et indécis. Cherchant le jeune homme du regard, elle traversait seule la salle encombrée, avec la mine confiante, le port de tête tranquillement audacieux de la jeune Américaine habituée à se frayer elle-même un chemin à travers la vie. Pourtant, à la regarder de plus près, on remarquait que l’air d’indépendance un peu naïve qui caractérise ses compatriotes était adouci chez elle par une nuance de raffinement parisien, comme si un visage au teint trop éclatant eût été voilé par un tulle léger. Le contact d’une autre civilisation avait produit chez elle un tout autre effet que chez Le Fanois : elle avait gagné, à ce commerce cosmopolite, autant que lui paraissait y avoir perdu.

Le jeune homme l’aborda avec un geste de familiarité fraternelle.

— Vous arrivez seule ? Vos amies vous ont fait faux bond ? demanda-t-il en lui serrant la main.

Miss Lambart eut un sourire rassurant, tandis que son clair regard fouillait la salle.

— Mais non, je ne pense pas. Je devais retrouver Mrs Smithers et sa fille dans un de ces petits salons là-bas.

Elle indiqua, du bout de son face-à-main d’écaille, l’enfilade de pièces qui donnait sur le hall.

— Si nous les cherchions ? continua-t-elle.

Mais Le Fanois la retint.

— Un instant, je vous prie, dit-il, en baissant la voix et en faisant reculer la jeune fille vers une des grandes baies vitrées qui s’ouvraient sur le jardin de l’hôtel. Expliquez-moi ce que vous leur avez dit de moi, et quel est au juste le rôle que je dois jouer.

Il hésita, puis, avec un sourire vaguement ironique :

— Enfin, à quel degré d’ambition sociale vos amies sont-elles parvenues ?

Miss Lambart sourit aussi.

— Je les crois bien naïves encore, dit-elle ; mais il faut toujours se tenir sur ses gardes. Les plus naïfs sont parfois les plus méfiants.

Elle lui jeta un coup d’œil railleur.

— Souvenez-vous de la jolie veuve de Trouville, — celle de l’année dernière, vous savez ? Si vous aviez voulu la présenter à la duchesse de Sestre, le tour eût été joué.

Le jeune homme haussa légèrement les épaules.

— Elle était vraiment trop exigeante, dit-il. Et puis — et puis — était-elle bien veuve, veuve comme on l’entend chez nous, ou bien avait-elle simplement égaré son dernier mari ? Votre pays est si grand que ces accidents doivent souvent arriver. Son passé était vraiment trop nébuleux !

La jeune fille eut un petit rire qui découvrait ses jolies dents nacrées et régulières sous le rose pâle des lèvres un peu trop minces.

— Oh ! quant à cela, vous savez, je ne vous réponds pas du passé de Mrs Smithers, car je n’ai jamais soulevé les voiles qui l’entourent. Mais je vous assure que sa fille est charmante, et que vous seriez bien difficile de ne pas en convenir.

Le jeune homme lui jeta un regard indéfinissable, où une nuance de sentiment semblait se mêler à sa moquerie habituelle.

— Aussi charmante que vous ? demanda-t-il en plaisantant.

Les sourcils foncés de miss Lambart se contractèrent sur ses grands yeux, devenus subitement d’un gris froid et métallique.

— Ah çà ! mon cher, vous sortez de votre rôle. Du reste, reprit-elle, en retrouvant sa désinvolture souriante, c’est à moi de vous l’indiquer. Comme je vous le disais, je crois que, pour le moment, les ambitions de Mrs Smithers ne se sont pas précisées.

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