L‘arriviste

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book L‘arriviste by ERNEST CHOUINARD, GILBERT TEROL
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Author: ERNEST CHOUINARD ISBN: 1230000213625
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 28, 2014
Imprint: Language: French
Author: ERNEST CHOUINARD
ISBN: 1230000213625
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 28, 2014
Imprint:
Language: French

— « Monsieur Félix Larive ! — Votre travail n’est réellement pas mal fait ; mais on y trouve certaines phrases cigaliennes qu’il eût mieux valu pour vous laisser à la fourmi.

— Je ne saisis pas très-bien, monsieur, l’à propos de votre remarque fabuleusement imagée. »

Deux formidables éclats de rire accueillent et soulignent successivement la remarque du professeur et la riposte de l’élève ; le premier, de la part de ceux qui dans la classe aiment à faire leur cour au maître, se tiennent au guet de ses bons mots, trouvent spirituel tout ce qu’il dit ; l’autre, donnant à toutes les mauvaises têtes de céans l’occasion trop belle de s’affirmer.

— « Je veux dire, monsieur Larive, que j’aimerais y voir un peu plus du vôtre et un peu moins de ce que vous semblez avoir trouvé chez votre voisin d’étude. Il y a dans votre littérature des ressemblances qui trahissent ce voisinage. Défiez-vous des emprunts littéraires ; ils conduisent au vol, qu’on appelle plagiat. Et le vol en littérature est peut-être encore plus méprisable qu’un autre, parce qu’il est trop directement au service de l’orgueil.

— Oui, monsieur, mais il est toujours bon de chercher où se trouve l’emprunteur qui peut devenir, comme cela, un voleur.

— Il est tout probablement du côté auquel cela peut profiter ; mettons du côté du plus faible dans les concours.

Y êtes-vous ?

— Ces ressemblances, après tout, ne sont que des ressemblances et presque inévitables. Avec un même sujet et un même groupe d’idées à suivre, il est facile de donner dans les ressemblances.

— Il est facile de trouver des ressemblances, oui, mais non pas des airs de famille comme il y en a dans votre travail et celui de votre voisin d’étude, monsieur Eugène Guignard. Puisque vous insistez, je vous dirai qu’il est facile aussi parfois en littérature de découvrir le bien d’autrui, et à ce sujet, messieurs, il sera bon de donner une portée plus générale à mes remarques.

On peut, on doit même dans une juste mesure s’efforcer d’imiter les bons auteurs, puisqu’après tout c’est en cela que consiste l’enseignement littéraire. Mais piller les idées, les phrases toutes faites, les expressions d’un auteur, comme on ferait des fleurs ou des fruits de son jardin, c’est bien autre chose. Ernest Hello, je crois, révoque en doute même l’utilité de cette imitation. — On s’imagine, dit-il à peu près en ces termes, que les grands rhéteurs ont une recette, et qu’il suffit de la leur voler pour savoir écrire. Or, il arrive ce qui arrive souvent au voleur ; l’habit qu’on lui voit sied mal ; on comprend tout de suite qu’il n’est pas à lui.

Si dans votre style inexpérimenté vous venez insérer une phrase où l’idée, l’expression détonne évidemment, vous faites un peu comme la pauvresse qui trouve un ruban de soie dans la rue et croit pouvoir s’en parer en l’épinglant sur ses haillons.

Ah ! je sais bien que l’on peut « arriver » aujourd’hui quand même, et jusqu’à un certain point, à l’aide de méthodes ou de moyens semblables, comme l’on peut aussi, pendant un certain temps du moins, vivoter à l’aide d’emprunts ; mais cela n’est ni sûr, ni durable, ni très probe. Après avoir épuisé ce crédit ou cette réserve, il faut un jour ou l’autre en revenir à ses propres ressources, et gare la faillite tôt ou tard.

Au reste, vous n’êtes pas ici pour étudier des trucs, mais les vraies lettres. Vous faites votre classe de rhétorique ; c’est le temps de songer à la possibilité pour vous d’acquérir de la personnalité littéraire, dans l’orbe de vos moyens ; mais non pas du personnalisme qui dérobe aux autres. Soyez donc personnels dans votre style ; essayez de devenir quelqu’un par votre style ; que votre style soit bien vôtre, comme le timbre de votre voix.

Qu’il fasse parfaitement connaître ce que vous serez en caractère, en savoir comme en moralité, sans constituer cependant l’unique valeur de vos dires ou de vos écrits. Que votre style soit bien l’écho fidèle mais non pas la fausse enseigne de votre âme et de votre cœur.

Que le style soit, comme on nous l’a dit, l’homme lui-même et non pas son voisin ni son ami !

Et s’il vous arrivait d’acquérir un style tout personnel, efforcez-vous alors de le mettre au service d’une littérature toute canadienne ; non pas d’en colorer des pastiches plus ou moins parisiens, comme il s’en fabrique aujourd’hui là-bas pour l’exportation, à l’usage des colonies, plutôt que pour l’enrichissement d’une littérature nationale déjà opulente.

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— « Monsieur Félix Larive ! — Votre travail n’est réellement pas mal fait ; mais on y trouve certaines phrases cigaliennes qu’il eût mieux valu pour vous laisser à la fourmi.

— Je ne saisis pas très-bien, monsieur, l’à propos de votre remarque fabuleusement imagée. »

Deux formidables éclats de rire accueillent et soulignent successivement la remarque du professeur et la riposte de l’élève ; le premier, de la part de ceux qui dans la classe aiment à faire leur cour au maître, se tiennent au guet de ses bons mots, trouvent spirituel tout ce qu’il dit ; l’autre, donnant à toutes les mauvaises têtes de céans l’occasion trop belle de s’affirmer.

— « Je veux dire, monsieur Larive, que j’aimerais y voir un peu plus du vôtre et un peu moins de ce que vous semblez avoir trouvé chez votre voisin d’étude. Il y a dans votre littérature des ressemblances qui trahissent ce voisinage. Défiez-vous des emprunts littéraires ; ils conduisent au vol, qu’on appelle plagiat. Et le vol en littérature est peut-être encore plus méprisable qu’un autre, parce qu’il est trop directement au service de l’orgueil.

— Oui, monsieur, mais il est toujours bon de chercher où se trouve l’emprunteur qui peut devenir, comme cela, un voleur.

— Il est tout probablement du côté auquel cela peut profiter ; mettons du côté du plus faible dans les concours.

Y êtes-vous ?

— Ces ressemblances, après tout, ne sont que des ressemblances et presque inévitables. Avec un même sujet et un même groupe d’idées à suivre, il est facile de donner dans les ressemblances.

— Il est facile de trouver des ressemblances, oui, mais non pas des airs de famille comme il y en a dans votre travail et celui de votre voisin d’étude, monsieur Eugène Guignard. Puisque vous insistez, je vous dirai qu’il est facile aussi parfois en littérature de découvrir le bien d’autrui, et à ce sujet, messieurs, il sera bon de donner une portée plus générale à mes remarques.

On peut, on doit même dans une juste mesure s’efforcer d’imiter les bons auteurs, puisqu’après tout c’est en cela que consiste l’enseignement littéraire. Mais piller les idées, les phrases toutes faites, les expressions d’un auteur, comme on ferait des fleurs ou des fruits de son jardin, c’est bien autre chose. Ernest Hello, je crois, révoque en doute même l’utilité de cette imitation. — On s’imagine, dit-il à peu près en ces termes, que les grands rhéteurs ont une recette, et qu’il suffit de la leur voler pour savoir écrire. Or, il arrive ce qui arrive souvent au voleur ; l’habit qu’on lui voit sied mal ; on comprend tout de suite qu’il n’est pas à lui.

Si dans votre style inexpérimenté vous venez insérer une phrase où l’idée, l’expression détonne évidemment, vous faites un peu comme la pauvresse qui trouve un ruban de soie dans la rue et croit pouvoir s’en parer en l’épinglant sur ses haillons.

Ah ! je sais bien que l’on peut « arriver » aujourd’hui quand même, et jusqu’à un certain point, à l’aide de méthodes ou de moyens semblables, comme l’on peut aussi, pendant un certain temps du moins, vivoter à l’aide d’emprunts ; mais cela n’est ni sûr, ni durable, ni très probe. Après avoir épuisé ce crédit ou cette réserve, il faut un jour ou l’autre en revenir à ses propres ressources, et gare la faillite tôt ou tard.

Au reste, vous n’êtes pas ici pour étudier des trucs, mais les vraies lettres. Vous faites votre classe de rhétorique ; c’est le temps de songer à la possibilité pour vous d’acquérir de la personnalité littéraire, dans l’orbe de vos moyens ; mais non pas du personnalisme qui dérobe aux autres. Soyez donc personnels dans votre style ; essayez de devenir quelqu’un par votre style ; que votre style soit bien vôtre, comme le timbre de votre voix.

Qu’il fasse parfaitement connaître ce que vous serez en caractère, en savoir comme en moralité, sans constituer cependant l’unique valeur de vos dires ou de vos écrits. Que votre style soit bien l’écho fidèle mais non pas la fausse enseigne de votre âme et de votre cœur.

Que le style soit, comme on nous l’a dit, l’homme lui-même et non pas son voisin ni son ami !

Et s’il vous arrivait d’acquérir un style tout personnel, efforcez-vous alors de le mettre au service d’une littérature toute canadienne ; non pas d’en colorer des pastiches plus ou moins parisiens, comme il s’en fabrique aujourd’hui là-bas pour l’exportation, à l’usage des colonies, plutôt que pour l’enrichissement d’une littérature nationale déjà opulente.

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