Son altesse la femme

Fiction & Literature, Classics
Cover of the book Son altesse la femme by Octave Uzanne, GILBERT TEROL
View on Amazon View on AbeBooks View on Kobo View on B.Depository View on eBay View on Walmart
Author: Octave Uzanne ISBN: 1230002785622
Publisher: GILBERT TEROL Publication: November 3, 2018
Imprint: Language: French
Author: Octave Uzanne
ISBN: 1230002785622
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: November 3, 2018
Imprint:
Language: French

C’est aux grands pouls de la nature que l’amour bat aux champs.

Ici point de névrose cérébrale, pas de psychologie : le chercheur le plus micrographe aurait peine à découvrir des cas intéressants pour l’étude pathologique du cœur et de l’esprit. L’Amour éclôt sous le soleil, avec un étourdissement de sève qui fermente et monte dans l’animalité humaine ; les sens sont le plus souvent surpris avant que le cœur soit atteint ; la création dicte normalement ses lois ; mais l’âme, cet astre interne qui sait répandre en nous sa nappe de lumière chaude et bienfaisante, Târne qui drape de pourpre et d’azur nos illusions juvéniles et sème à profusion les fleurs rares si tôt fanées sur l’autel de notre bonheur, l’âme, cette essence des affinés, l’âme, cet officiant divin qui chante en tierce dans nos ivresses un Te Deum au Grand-Tout, l’âme apparaît peu dans le rut brutal et fugitif des accointances champêtres.

L’Adolescent se dégauchit vite — sans qu’il ressente l’époque de la mue — dans la sauvagerie des champs ; ses yeux ont tôt appris à lire et à interpréter les lois de la nature ; il connaît, avant l’âge de formation, l’amour des êtres, ou mieux, la relation des sexes. Tout jeunet, au retour de l’école, son panier au bras, le long des haies vives, dans le calme troublant du crépuscule, il a vu le paysan cupide, ramenant, satisfait, de la ferme voisine, sa vache efflanquée, qui, le matin même, demandait le taureau, et, maintenant calme, fait résonner mollement son sabot sur les cailloux du chemin ; il a surpris les ébats amoureux des oiseaux se poursuivant dans les taillis, et son regard malin, perspicace et fureteur, ce regard développé à l’extrême a tout compris, tout supputé, dans sa logique impitoyable dont rien n’est venu fausser la droiture et le naturel développement. — Près des fillettes, il a garçonne dans l’ignorance des décences convenues et des pudeurs inoculées par la délicatesse des mères, aussi le jeune gars montre-t-il moins de curiosité ayant moins de mystères à pénétrer, car l’esprit de l’enfant aime despotiquement à connaître la raison des choses et à déchirer les voiles qu’on lui oppose.

Tout parle à ses sens, car tout germe, tout fermente, tout pousse, tout se développe autour de lui. Rien ne murmure dans son cœur laissé en jachère, sans culture sentimentale et sans idéalité. Entre le père, qui entend qu’on travaille ferme et le rudoie, criant : « gamin, va quérir les vaches ! » et la mère accablée de travail, qui, à la fois, écume la marmite pendue à la crémaillère, chasse en jurant les chiens de la chambre, gourmande et mouche les mioches, relève la litière des bœufs, gave les dindons, jette l’avoine aux poules, écréme les pots de la laiterie, nettoie la bauge du porc, — cet asiatique de basse-cour ; — entre ces deux êtres courbés sur la terre, plus myopes sur la vie que des sauvages du centre de l’Afrique, le pauvre enfant ne connaît point ces refuges caressants, ces gîtes douillets et reposants, où des parents épient anxieusement l’éveil des idées et la poussée morale de leur fils, à mesure de ses degrés de croissance.

A sept ans, il a déjà l’aspect fatigué, vieillot, d’un petit homme avec ses culottes rapiécées, montant au-dessus des hanches et retenues par des bretelles minuscules. Les mains dans les poches, la gueule ouverte, l’œil malicieux, il assiste à toutes les opérations agricoles. Déjà dur à la fatigue et habitué aux privations, il suivra le père à la charrue, marchant dans le sillon avec ses sabots ou ses souliers ferrés, glissant sur les mottes de terre, se relevant en riant, lançant au ciel tous les blasphèmes qu’il a entendu proférer, tous les mots orduriers, qui, dans sa bouche enfantine, font rire les gars le soir à la veillée. Déjà aussi a-t-il toutes les perversités précoces, la rage de la destruction, une sorte d’instinct de chat cruel. Son œil perçant a compté tous les nids des environs, arbre par arbre, buisson par buisson ; il les connaît, il les guigne, et partout il grimpe ou se hisse, plongeant ses petites mains meurtrières et impitoyables dans les embranchements où l’oiseau a maçonné de brindilles et tapissé de duvet le lit d’une famille nouvelle.

Là où ce singe paysannesque a passé règne la dévastation. Sous ce crâne bombé, allongé en noix de coco, résistant au choc des chutes non moins qu’aux idées de charité, de bienfaisance, de tendresse et de protection des faibles, on ne peut faire pénétrer l’amour de l’oiseau et de sa couvée et la conception des pertes irréparables, que la maternité pleure au sein de la nature.

Rossignols, alouettes, rouges-gorges, bouvreuils, bergeronnettes qui planez dans l’harmonie vivante des bois et des prairies, hirondelles familières qui logez sous notre toit, chardonnerets, pinsons, loriots, linottes et mésangettes, n’êtes-vous pas cependant les plus divins chantres de l’Amour aux champs, et les anciens ne disaient-ils pas : « Tout vient de l’œuf, c’est le berceau du monde ! »

C’est au grand pouls de la nature que l’amour bat aux champs !

La fillette, plus encore peut-être que le petit gars, a été sevrée d’affection. Saluée dès son entrée dans la vie par cette imprécation : Une pisseuse ! Quel gueux de sort ! elle pousse, comme elle peut, sans qu’on y prenne garde, sauvagement. On la voit, la pauvrette, ficelée comme un paquet, presque sordide et morveuse, sur le seuil de la chaumière, manœuvrant dans ses petites pattes humides, noires et potelées le premier ustensile venu qu’elle brandit en hochet, bégayant au soleil de ces mots inarticulés d’enfant dont on ne sait pas faire éclore les paroles une à une, ou vautrée dans la poussière, se livrant à de naïfs ébats dans les pattes d’un jeune chien, doux compagnon d’enfance, qui la bouscule délicatement, la lèche, aboie, s’éloigne en folâtrant, revient joyeux et subit les caresses de ces menottes tremblantes et mal assurées qui le saisissent au museau, aux oreilles, au cou, tandis que le baby grogne presque tendrement, montrant ses petites cuisses à l’air, son visage renversé, rieur, ses lèvres roses couvertes d’une bave de plaisir.

View on Amazon View on AbeBooks View on Kobo View on B.Depository View on eBay View on Walmart

C’est aux grands pouls de la nature que l’amour bat aux champs.

Ici point de névrose cérébrale, pas de psychologie : le chercheur le plus micrographe aurait peine à découvrir des cas intéressants pour l’étude pathologique du cœur et de l’esprit. L’Amour éclôt sous le soleil, avec un étourdissement de sève qui fermente et monte dans l’animalité humaine ; les sens sont le plus souvent surpris avant que le cœur soit atteint ; la création dicte normalement ses lois ; mais l’âme, cet astre interne qui sait répandre en nous sa nappe de lumière chaude et bienfaisante, Târne qui drape de pourpre et d’azur nos illusions juvéniles et sème à profusion les fleurs rares si tôt fanées sur l’autel de notre bonheur, l’âme, cette essence des affinés, l’âme, cet officiant divin qui chante en tierce dans nos ivresses un Te Deum au Grand-Tout, l’âme apparaît peu dans le rut brutal et fugitif des accointances champêtres.

L’Adolescent se dégauchit vite — sans qu’il ressente l’époque de la mue — dans la sauvagerie des champs ; ses yeux ont tôt appris à lire et à interpréter les lois de la nature ; il connaît, avant l’âge de formation, l’amour des êtres, ou mieux, la relation des sexes. Tout jeunet, au retour de l’école, son panier au bras, le long des haies vives, dans le calme troublant du crépuscule, il a vu le paysan cupide, ramenant, satisfait, de la ferme voisine, sa vache efflanquée, qui, le matin même, demandait le taureau, et, maintenant calme, fait résonner mollement son sabot sur les cailloux du chemin ; il a surpris les ébats amoureux des oiseaux se poursuivant dans les taillis, et son regard malin, perspicace et fureteur, ce regard développé à l’extrême a tout compris, tout supputé, dans sa logique impitoyable dont rien n’est venu fausser la droiture et le naturel développement. — Près des fillettes, il a garçonne dans l’ignorance des décences convenues et des pudeurs inoculées par la délicatesse des mères, aussi le jeune gars montre-t-il moins de curiosité ayant moins de mystères à pénétrer, car l’esprit de l’enfant aime despotiquement à connaître la raison des choses et à déchirer les voiles qu’on lui oppose.

Tout parle à ses sens, car tout germe, tout fermente, tout pousse, tout se développe autour de lui. Rien ne murmure dans son cœur laissé en jachère, sans culture sentimentale et sans idéalité. Entre le père, qui entend qu’on travaille ferme et le rudoie, criant : « gamin, va quérir les vaches ! » et la mère accablée de travail, qui, à la fois, écume la marmite pendue à la crémaillère, chasse en jurant les chiens de la chambre, gourmande et mouche les mioches, relève la litière des bœufs, gave les dindons, jette l’avoine aux poules, écréme les pots de la laiterie, nettoie la bauge du porc, — cet asiatique de basse-cour ; — entre ces deux êtres courbés sur la terre, plus myopes sur la vie que des sauvages du centre de l’Afrique, le pauvre enfant ne connaît point ces refuges caressants, ces gîtes douillets et reposants, où des parents épient anxieusement l’éveil des idées et la poussée morale de leur fils, à mesure de ses degrés de croissance.

A sept ans, il a déjà l’aspect fatigué, vieillot, d’un petit homme avec ses culottes rapiécées, montant au-dessus des hanches et retenues par des bretelles minuscules. Les mains dans les poches, la gueule ouverte, l’œil malicieux, il assiste à toutes les opérations agricoles. Déjà dur à la fatigue et habitué aux privations, il suivra le père à la charrue, marchant dans le sillon avec ses sabots ou ses souliers ferrés, glissant sur les mottes de terre, se relevant en riant, lançant au ciel tous les blasphèmes qu’il a entendu proférer, tous les mots orduriers, qui, dans sa bouche enfantine, font rire les gars le soir à la veillée. Déjà aussi a-t-il toutes les perversités précoces, la rage de la destruction, une sorte d’instinct de chat cruel. Son œil perçant a compté tous les nids des environs, arbre par arbre, buisson par buisson ; il les connaît, il les guigne, et partout il grimpe ou se hisse, plongeant ses petites mains meurtrières et impitoyables dans les embranchements où l’oiseau a maçonné de brindilles et tapissé de duvet le lit d’une famille nouvelle.

Là où ce singe paysannesque a passé règne la dévastation. Sous ce crâne bombé, allongé en noix de coco, résistant au choc des chutes non moins qu’aux idées de charité, de bienfaisance, de tendresse et de protection des faibles, on ne peut faire pénétrer l’amour de l’oiseau et de sa couvée et la conception des pertes irréparables, que la maternité pleure au sein de la nature.

Rossignols, alouettes, rouges-gorges, bouvreuils, bergeronnettes qui planez dans l’harmonie vivante des bois et des prairies, hirondelles familières qui logez sous notre toit, chardonnerets, pinsons, loriots, linottes et mésangettes, n’êtes-vous pas cependant les plus divins chantres de l’Amour aux champs, et les anciens ne disaient-ils pas : « Tout vient de l’œuf, c’est le berceau du monde ! »

C’est au grand pouls de la nature que l’amour bat aux champs !

La fillette, plus encore peut-être que le petit gars, a été sevrée d’affection. Saluée dès son entrée dans la vie par cette imprécation : Une pisseuse ! Quel gueux de sort ! elle pousse, comme elle peut, sans qu’on y prenne garde, sauvagement. On la voit, la pauvrette, ficelée comme un paquet, presque sordide et morveuse, sur le seuil de la chaumière, manœuvrant dans ses petites pattes humides, noires et potelées le premier ustensile venu qu’elle brandit en hochet, bégayant au soleil de ces mots inarticulés d’enfant dont on ne sait pas faire éclore les paroles une à une, ou vautrée dans la poussière, se livrant à de naïfs ébats dans les pattes d’un jeune chien, doux compagnon d’enfance, qui la bouscule délicatement, la lèche, aboie, s’éloigne en folâtrant, revient joyeux et subit les caresses de ces menottes tremblantes et mal assurées qui le saisissent au museau, aux oreilles, au cou, tandis que le baby grogne presque tendrement, montrant ses petites cuisses à l’air, son visage renversé, rieur, ses lèvres roses couvertes d’une bave de plaisir.

More books from GILBERT TEROL

Cover of the book La Fiancée de Lammermoor by Octave Uzanne
Cover of the book Éloge de l’âne by Octave Uzanne
Cover of the book Deux nationalités russes by Octave Uzanne
Cover of the book Histoire de deux peuple by Octave Uzanne
Cover of the book Les Veillées des Antilles by Octave Uzanne
Cover of the book La Guzla by Octave Uzanne
Cover of the book Les Premiers Ages de notre planète by Octave Uzanne
Cover of the book Robinson Crusoé Tome II by Octave Uzanne
Cover of the book CAPITAL LA SPECULATION ET LA FINANCE by Octave Uzanne
Cover of the book LA MAISON PASCAL by Octave Uzanne
Cover of the book Sébastien Roch by Octave Uzanne
Cover of the book Le Cratère où MARC DANS SON ÎLE by Octave Uzanne
Cover of the book LA CIVILISATION ET LES GRANDS FLEUVES HISTORIQUES by Octave Uzanne
Cover of the book Dans le ciel by Octave Uzanne
Cover of the book Histoire de ma vie Volume II by Octave Uzanne
We use our own "cookies" and third party cookies to improve services and to see statistical information. By using this website, you agree to our Privacy Policy