Author: | Constantin-François de Chasseboeuf Volney | ISBN: | 1230002985404 |
Publisher: | Paris : Parmantier : Froment, 1825 | Publication: | December 10, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Constantin-François de Chasseboeuf Volney |
ISBN: | 1230002985404 |
Publisher: | Paris : Parmantier : Froment, 1825 |
Publication: | December 10, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
ÉTAT POLITIQUE DE LA SYRIE....
CHAPITRE PREMIER....
Précis de l’histoire de Dâher, fils d’Omar, qui a commandé à Acre depuis 1750 jusqu’en 1776....
LE chaik Dâher qui, dans ces derniers temps, a causé de si vives inquiétudes à la Porte, était d’origine arabe, de l’une de ces tribus de Bédouins qui se sont habituées sur les bords du Jourdain et dans les environs du lac de Tabarié (ancienne Tibériade). Ses ennemis aiment à rappeler que dans sa jeunesse il conduisait des chameaux; mais ce trait, qui honore son esprit en faisant concevoir l’espace qu’il sut franchir, n’a rien d’incompatible avec une naissance distinguée: il est, et sera toujours dans les mœurs des princes arabes de s’occuper de fonctions qui nous semblent viles. Ainsi que je l’ai déja dit, les chaiks guident eux-mêmes leurs chameaux, et soignent leurs chevaux, pendant que leurs filles et leurs femmes broyent le blé, cuisent le pain, lavent le linge, et vont à la fontaine, comme au temps d’Abraham et d’Homère; et peut-être cette vie simple et laborieuse fait-elle plus pour le bonheur que l’oisiveté ennuyée et le faste rassasié, qui entourent les grands des nations policées. Quant à Dâher, il est constant que sa famille était une des plus puissantes du pays. Après la mort d’Omar son père, arrivée dans les premières années du siécle, il partagea le commandement avec un oncle et deux frères. Son domaine fut Safad, petite ville et lieu fort dans les montagnes au nord-ouest du lac de Tabarié. Peu après, il y ajouta Tabarié même. C’est lui que Pocoke[1] y trouva en 1737, occupé à se fortifier contre le pacha de Damas, qui peu auparavant avait fait étrangler un de ses frères. En 1742, un autre pacha, nommé Soliman-el-àdm, l’y assiégea et bombarda la place, au grand étonnement de la Syrie, qui même aujourd’hui connaît peu les bombes[2]. Malgré son courage, Dâher était aux abois, lorsqu’un incident heureux et, dit-on, prémédité, le tira d’embarras. Une colique violente et subite emporta Soliman en deux jours. Asàd-el-àdm, son frère et son successeur, n’eut pas les mêmes raisons ou les mêmes dispositions pour continuer la guerre, et Dâher fut tranquille du côté des Ottomans. Mais son caractère remuant et les chicanes de ses voisins lui donnèrent d’autres affaires. Des discussions d’intérêt le brouillèrent avec son oncle et son frère. Plus d’une fois on en vint aux armes, et Dâher toujours vainqueur, jugea à propos de terminer ces tracasseries par la mort de ses concurrents. Alors revêtu de toute la puissance de sa maison, et absolument maître de ses forces, il ouvrit une plus grande carrière à son ambition. Le commerce qu’il faisait, selon la coutume de tous les gouverneurs et princes d’Asie, lui avait fait sentir l’avantage qu’il y aurait à communiquer immédiatement avec la mer. Il avait conçu qu’un port entre ses mains serait un marché public, où les étrangers établiraient une concurrence favorable au débit de ses denrées. Acre, situé à sa porte et sous ses yeux, convenait à ses desseins: depuis plusieurs années, il y faisait des affaires avec les comptoirs français. Acre, à la vérité, n’était qu’un monceau de ruines, un misérable village ouvert et sans défense. Le pacha de Saide y tenait un aga et quelques soldats qui n’osaient se montrer en campagne. Les Bédouins y dominaient, et faisaient la loi jusqu’aux portes. La plaine, jadis si fertile, n’était qu’une vaste friche, où les eaux croupissaient, et par leurs vapeurs empestaient les environs. L’ancien port était comblé, mais la rade de Haîfa, qui en dépend, offrait un avantage si précieux, que Dâher se décida à en profiter. Il fallait un prétexte: la conduite de l’aga ne tarda pas de l’offrir. Un jour que l’on avait débarqué des munitions de guerre destinées contre le chaik, il marcha brusquement vers Acre, prévint l’aga par une lettre menaçante qui lui fit prendre la fuite, et entra sans coup férir dans la ville, où il s’établit; cela se passait vers 1749. Il avait alors environ 63 ans. L’on pourra trouver cet âge bien avancé pour de tels coups de main; mais si l’on observe qu’en 1776, à 90 ans, il montait encore hardiment un cheval fougueux, on-jugera qu’il était bien plus jeune que cet âge ne semble le comporter. Cette démarche hardie pouvait avoir des suites; il les avait prévues, et il se hâta de les prévenir: sur-le-champ il écrivit au pacha de Saide; et lui représentant que ce qui s’était passé de lui à l’aga, n’était qu’une affaire personnelle, il protesta qu’il n’en était pas moins le sujet très-soumis du sultan et du pacha; qu’il paierait le tribut du district qu’il avait occupé, comme l’aga même; qu’en outre il s’engageait à contenir les Arabes, et qu’il ferait tout ce qui pourrait convenir pour rétablir ce pays ruiné. Le plaidoyer de Dâher, accompagné de quelques mille sequins, fit son effet dans les divans de Saide et de Constantinople: on reçut ses raisons, et on lui accorda tout ce qu’il voulut.
ÉTAT POLITIQUE DE LA SYRIE....
CHAPITRE PREMIER....
Précis de l’histoire de Dâher, fils d’Omar, qui a commandé à Acre depuis 1750 jusqu’en 1776....
LE chaik Dâher qui, dans ces derniers temps, a causé de si vives inquiétudes à la Porte, était d’origine arabe, de l’une de ces tribus de Bédouins qui se sont habituées sur les bords du Jourdain et dans les environs du lac de Tabarié (ancienne Tibériade). Ses ennemis aiment à rappeler que dans sa jeunesse il conduisait des chameaux; mais ce trait, qui honore son esprit en faisant concevoir l’espace qu’il sut franchir, n’a rien d’incompatible avec une naissance distinguée: il est, et sera toujours dans les mœurs des princes arabes de s’occuper de fonctions qui nous semblent viles. Ainsi que je l’ai déja dit, les chaiks guident eux-mêmes leurs chameaux, et soignent leurs chevaux, pendant que leurs filles et leurs femmes broyent le blé, cuisent le pain, lavent le linge, et vont à la fontaine, comme au temps d’Abraham et d’Homère; et peut-être cette vie simple et laborieuse fait-elle plus pour le bonheur que l’oisiveté ennuyée et le faste rassasié, qui entourent les grands des nations policées. Quant à Dâher, il est constant que sa famille était une des plus puissantes du pays. Après la mort d’Omar son père, arrivée dans les premières années du siécle, il partagea le commandement avec un oncle et deux frères. Son domaine fut Safad, petite ville et lieu fort dans les montagnes au nord-ouest du lac de Tabarié. Peu après, il y ajouta Tabarié même. C’est lui que Pocoke[1] y trouva en 1737, occupé à se fortifier contre le pacha de Damas, qui peu auparavant avait fait étrangler un de ses frères. En 1742, un autre pacha, nommé Soliman-el-àdm, l’y assiégea et bombarda la place, au grand étonnement de la Syrie, qui même aujourd’hui connaît peu les bombes[2]. Malgré son courage, Dâher était aux abois, lorsqu’un incident heureux et, dit-on, prémédité, le tira d’embarras. Une colique violente et subite emporta Soliman en deux jours. Asàd-el-àdm, son frère et son successeur, n’eut pas les mêmes raisons ou les mêmes dispositions pour continuer la guerre, et Dâher fut tranquille du côté des Ottomans. Mais son caractère remuant et les chicanes de ses voisins lui donnèrent d’autres affaires. Des discussions d’intérêt le brouillèrent avec son oncle et son frère. Plus d’une fois on en vint aux armes, et Dâher toujours vainqueur, jugea à propos de terminer ces tracasseries par la mort de ses concurrents. Alors revêtu de toute la puissance de sa maison, et absolument maître de ses forces, il ouvrit une plus grande carrière à son ambition. Le commerce qu’il faisait, selon la coutume de tous les gouverneurs et princes d’Asie, lui avait fait sentir l’avantage qu’il y aurait à communiquer immédiatement avec la mer. Il avait conçu qu’un port entre ses mains serait un marché public, où les étrangers établiraient une concurrence favorable au débit de ses denrées. Acre, situé à sa porte et sous ses yeux, convenait à ses desseins: depuis plusieurs années, il y faisait des affaires avec les comptoirs français. Acre, à la vérité, n’était qu’un monceau de ruines, un misérable village ouvert et sans défense. Le pacha de Saide y tenait un aga et quelques soldats qui n’osaient se montrer en campagne. Les Bédouins y dominaient, et faisaient la loi jusqu’aux portes. La plaine, jadis si fertile, n’était qu’une vaste friche, où les eaux croupissaient, et par leurs vapeurs empestaient les environs. L’ancien port était comblé, mais la rade de Haîfa, qui en dépend, offrait un avantage si précieux, que Dâher se décida à en profiter. Il fallait un prétexte: la conduite de l’aga ne tarda pas de l’offrir. Un jour que l’on avait débarqué des munitions de guerre destinées contre le chaik, il marcha brusquement vers Acre, prévint l’aga par une lettre menaçante qui lui fit prendre la fuite, et entra sans coup férir dans la ville, où il s’établit; cela se passait vers 1749. Il avait alors environ 63 ans. L’on pourra trouver cet âge bien avancé pour de tels coups de main; mais si l’on observe qu’en 1776, à 90 ans, il montait encore hardiment un cheval fougueux, on-jugera qu’il était bien plus jeune que cet âge ne semble le comporter. Cette démarche hardie pouvait avoir des suites; il les avait prévues, et il se hâta de les prévenir: sur-le-champ il écrivit au pacha de Saide; et lui représentant que ce qui s’était passé de lui à l’aga, n’était qu’une affaire personnelle, il protesta qu’il n’en était pas moins le sujet très-soumis du sultan et du pacha; qu’il paierait le tribut du district qu’il avait occupé, comme l’aga même; qu’en outre il s’engageait à contenir les Arabes, et qu’il ferait tout ce qui pourrait convenir pour rétablir ce pays ruiné. Le plaidoyer de Dâher, accompagné de quelques mille sequins, fit son effet dans les divans de Saide et de Constantinople: on reçut ses raisons, et on lui accorda tout ce qu’il voulut.