À La Boule plate

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book À La Boule plate by GEORGE GARNIR, GILBERT TEROL
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Author: GEORGE GARNIR ISBN: 1230000256438
Publisher: GILBERT TEROL Publication: July 30, 2014
Imprint: Language: French
Author: GEORGE GARNIR
ISBN: 1230000256438
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: July 30, 2014
Imprint:
Language: French

— Écoutez-moi. J’ai bien réfléchi, je puis vous être utile ; laissez-moi être quelque chose dans votre vie… Je serai votre factotum, votre secrétaire, je mettrai de l’ordre dans vos affaires ; vous gagnerez beaucoup d’argent et vous avez beaucoup de dettes…

Elle fit un signe évasif, la réflexion un instant arrêtée sur un chiffre…

— Je m’occuperai de vos créanciers, de vos toilettes, de votre logement, de vos engagements ; vous me répéterez vos rôles ; je monterai la garde autour de vous ; vous ferez tout ce que vous voudrez faire… Nous ne sommes pas des enfants. Ce que je suis exposé à endurer, c’est mon affaire à moi : la vie est toujours la vie. Vous êtes libre, moi aussi. Quand vous voudrez que je ne regarde pas, je ne regarderai pas ; nul homme ne pourra vous être aussi complètement dévoué que je vous le serai.

— Taisez-vous, voici André !

En effet, on entendait le pas d’André dans la pièce voisine. Flagothier prit aussitôt une autre voix et, comme s’il continuait une histoire :

— Vous comprenez, dit-il, que dans ces conditions-là, je ne pouvais garder le costume…

— Et alors ? fit-elle, entrant dans son jeu.

— Alors, le tailleur s’est fâché ; je crois qu’il y aura procès.

— Un procès avec votre tailleur ? s’informa André en ôtant son pardessus. Qui donc est-ce ?

— M. Desbaguettes, dit-il, lugubre.

— Connais pas.

Flagothier se leva, prit congé. Après son départ, Jane resta muette et songeuse.

— Qu’est-ce que tu as ? dit André.

— Rien, fit-elle, en se ressaisissant.

— C’est ce que Flagothier t’a raconté qui t’a plongée dans ces « combinaises » ?

— Il me racontait des histoires de son tailleur, fit-elle ; je n’ai même pas écouté… Alors, voyons, es-tu décidé ? Est-ce que tu viens avec moi à Berlin après-demain ?

— Non, dit-il, je ne peux pas.

— Quand viendras-tu ?

— Jamais. Je te lâche.

— Ah !…

— Oui.

— C’est tout ? … Salement ?

— Non. Je ne fais jamais rien salement.

Il lui remit un portefeuille.

— Avec ça, tu pourras coller à la Caisse d’épargne tes appointements de Berlin. Et avec ceci (il tira un écrin de sa poche) tu auras l’occasion de penser quelquefois à moi. C’est la marquise que tu m’as montrée rue des Fripiers, tu sais ? On me l’avait promise pour minuit…

— Mon pauvre loulou, c’est toi le meilleur de tous, va !

— Je sais ; seulement, je pourrais faire le poirier : il ne tomberait plus rien hors de mon culbutant ; il vaut mieux qu’on s’espace…

Il vit alors quelque chose qui le stupéfia : deux grosses larmes coulaient sur les joues de Jane. Il fut si ému qu’il voulut l’embrasser.

— Laisse-moi, fit-elle en se défendant de l’air d’une femme qui ne veut pas qu’on surprenne son chagrin, c’est déjà fini. La surprise, tu comprends… je sentais bien que ça allait se terminer à nous deux, que c’était nécessaire, mais, vrai, je n’avais jamais pensé que ça se terminerait si gentiment ; au moins, tu n’es pas collant, toi ; tu es un amour…

Elle le regarda profondément, de ses yeux « miroirs d’or vert, couleur des forêts au printemps » et, d’une voix sombrée :

— On se reverra, tu sais. Il y aura, toujours et partout, un petit morceau de Jane Reclary pour toi, le meilleur.

Elle alluma une cigarette et fuma en silence, les sourcils rapprochés par la réflexion, si préoccupée que — chose inouïe — l’écrin restait sur la table sans qu’elle y touchât dans son enveloppe de papier glacé, barrée de la croix du mince ruban bleu. Rien ne bougeait dans la pièce ; les becs de gaz brûlaient avec un sifflement lent et doux.

— Il ne fait pas gai ici, dit enfin André ; rentrons, c’est mon avant-dernière nuit…

Alors elle aperçut l’écrin délaissé, l’ouvrit, vit la bague, fit jouer la lumière dans les pierres. Puis d’un mouvement fébrile, elle écrasa la tête d’André sur ses seins et lui baisa les cheveux.

— Je t’aime, dit-elle pleine de joie.

Elle était sincère.

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— Écoutez-moi. J’ai bien réfléchi, je puis vous être utile ; laissez-moi être quelque chose dans votre vie… Je serai votre factotum, votre secrétaire, je mettrai de l’ordre dans vos affaires ; vous gagnerez beaucoup d’argent et vous avez beaucoup de dettes…

Elle fit un signe évasif, la réflexion un instant arrêtée sur un chiffre…

— Je m’occuperai de vos créanciers, de vos toilettes, de votre logement, de vos engagements ; vous me répéterez vos rôles ; je monterai la garde autour de vous ; vous ferez tout ce que vous voudrez faire… Nous ne sommes pas des enfants. Ce que je suis exposé à endurer, c’est mon affaire à moi : la vie est toujours la vie. Vous êtes libre, moi aussi. Quand vous voudrez que je ne regarde pas, je ne regarderai pas ; nul homme ne pourra vous être aussi complètement dévoué que je vous le serai.

— Taisez-vous, voici André !

En effet, on entendait le pas d’André dans la pièce voisine. Flagothier prit aussitôt une autre voix et, comme s’il continuait une histoire :

— Vous comprenez, dit-il, que dans ces conditions-là, je ne pouvais garder le costume…

— Et alors ? fit-elle, entrant dans son jeu.

— Alors, le tailleur s’est fâché ; je crois qu’il y aura procès.

— Un procès avec votre tailleur ? s’informa André en ôtant son pardessus. Qui donc est-ce ?

— M. Desbaguettes, dit-il, lugubre.

— Connais pas.

Flagothier se leva, prit congé. Après son départ, Jane resta muette et songeuse.

— Qu’est-ce que tu as ? dit André.

— Rien, fit-elle, en se ressaisissant.

— C’est ce que Flagothier t’a raconté qui t’a plongée dans ces « combinaises » ?

— Il me racontait des histoires de son tailleur, fit-elle ; je n’ai même pas écouté… Alors, voyons, es-tu décidé ? Est-ce que tu viens avec moi à Berlin après-demain ?

— Non, dit-il, je ne peux pas.

— Quand viendras-tu ?

— Jamais. Je te lâche.

— Ah !…

— Oui.

— C’est tout ? … Salement ?

— Non. Je ne fais jamais rien salement.

Il lui remit un portefeuille.

— Avec ça, tu pourras coller à la Caisse d’épargne tes appointements de Berlin. Et avec ceci (il tira un écrin de sa poche) tu auras l’occasion de penser quelquefois à moi. C’est la marquise que tu m’as montrée rue des Fripiers, tu sais ? On me l’avait promise pour minuit…

— Mon pauvre loulou, c’est toi le meilleur de tous, va !

— Je sais ; seulement, je pourrais faire le poirier : il ne tomberait plus rien hors de mon culbutant ; il vaut mieux qu’on s’espace…

Il vit alors quelque chose qui le stupéfia : deux grosses larmes coulaient sur les joues de Jane. Il fut si ému qu’il voulut l’embrasser.

— Laisse-moi, fit-elle en se défendant de l’air d’une femme qui ne veut pas qu’on surprenne son chagrin, c’est déjà fini. La surprise, tu comprends… je sentais bien que ça allait se terminer à nous deux, que c’était nécessaire, mais, vrai, je n’avais jamais pensé que ça se terminerait si gentiment ; au moins, tu n’es pas collant, toi ; tu es un amour…

Elle le regarda profondément, de ses yeux « miroirs d’or vert, couleur des forêts au printemps » et, d’une voix sombrée :

— On se reverra, tu sais. Il y aura, toujours et partout, un petit morceau de Jane Reclary pour toi, le meilleur.

Elle alluma une cigarette et fuma en silence, les sourcils rapprochés par la réflexion, si préoccupée que — chose inouïe — l’écrin restait sur la table sans qu’elle y touchât dans son enveloppe de papier glacé, barrée de la croix du mince ruban bleu. Rien ne bougeait dans la pièce ; les becs de gaz brûlaient avec un sifflement lent et doux.

— Il ne fait pas gai ici, dit enfin André ; rentrons, c’est mon avant-dernière nuit…

Alors elle aperçut l’écrin délaissé, l’ouvrit, vit la bague, fit jouer la lumière dans les pierres. Puis d’un mouvement fébrile, elle écrasa la tête d’André sur ses seins et lui baisa les cheveux.

— Je t’aime, dit-elle pleine de joie.

Elle était sincère.

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