La Filleule

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book La Filleule by GEORGE SAND, GILBERT TEROL
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Author: GEORGE SAND ISBN: 1230000211917
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 22, 2014
Imprint: Language: French
Author: GEORGE SAND
ISBN: 1230000211917
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 22, 2014
Imprint:
Language: French

J’avais seize ans lorsque je fus reçu bachelier à Bourges. Les études de province ne sont pas très-fortes. Je n’en passais pas moins pour l’aigle du lycée.

Heureusement pour moi, j’étais aussi modeste que peut l’être un écolier habitué au triomphe annuel des premiers prix. Un violent chagrin me préserva des ivresses de la vanité.

J’avais travaillé avec ardeur pour être agréable à ma mère et pour la rejoindre. Elle m’avait dit en pleurant, le jour de notre séparation :

— Mieux tu apprendras, plus tôt tu me seras rendu.

À chaque saison des vacances, elle m’avait répété ce vœu. Mon travail de chaque année avait été juste le double de celui de mes compagnons d’étude. Aucun d’eux n’avait sans doute une mère comme la mienne.

Je n’avais aimé qu’elle avec passion. Lorsque, à la veille de passer mes derniers examens, je songeais à sa joie, je me sentais si fort, que, si l’on m’eût interrogé sur quelque sujet d’étude tout à fait nouveau pour moi, il me semble qu’inspiré du ciel, j’aurais su répondre.

Je venais de recevoir mon diplôme, et j’allais prendre congé du proviseur, lorsque la foudre tomba sur moi. Une lettre cachetée de noir me fut remise. Elle était de mon père.

« Mon pauvre enfant, me disait-il, je n’ai pas voulu t’annoncer cette fatale nouvelle avant l’épreuve de tes examens. Quel qu’en soit le résultat, il faut que tu saches aujourd’hui que ta mère est au plus mal et qu’il nous reste bien peu d’espérance que tu puisses arriver à temps pour l’embrasser… »

Je compris que ma mère était morte, et je sentis mourir en moi subitement quelque chose comme la moitié de mon âme.

Je ne pleurai pas, je partis ; je ne devais, je ne pouvais jamais être consolé ; je sortais de l’enfance, et je voyais déjà clairement que je n’aurais pas de jeunesse.

Je ne trouvai plus de ma mère que ses longs cheveux noirs, qu’elle avait fait couper pour moi une heure avant d’expirer.

J’avais tout juste l’âge qu’elle avait eu en me donnant le jour, seize ans ! Elle venait de mourir du choléra dans toute la force de la vie, dans tout l’éclat de sa beauté. Je trouvai mon père plus accablé que moi. Sa douleur était morne, maladive ; mais elle ne pouvait pas être durable.

Mon père était un homme d’une forte santé, d’une grande activité physique, d’une intelligence réelle, mais qui se mouvait dans le cercle étroit des intérêts domestiques. C’était un bourgeois de campagne, le plus riche de son hameau : il avait environ six mille livres de rente. La conservation et l’entretien de son fonds territorial était l’unique occupation de sa vie. Tant qu’il eut une femme et un fils, il put appeler devoir ce qui était, en réalité et par soi-même, un plaisir sérieux pour lui. Au commencement de son veuvage, il lui sembla, comme à moi, qu’il ne pourrait plus s’intéresser à rien. Peu à peu, il se résigna à reprendre ses occupations par sollicitude pour moi. Plus tard, il les continua par besoin d’agir et de vivre.

Je glisserai rapidement sur de tristes détails. Il suffira de dire une chose que, dans notre province, chacun sait être vraie. Une certaine classe de bourgeois aisés formait, à cette époque, une caste nouvelle. Ces nouveaux riches avaient, à grand’peine, cousu les lambeaux de quelques minces héritages ou acquisitions dont l’ensemble formait enfin un lot qui satisfaisait ou flattait leur ambition. Tout est relatif : tel qui s’était marié avec une métairie de quarante mille francs, se regardait comme riche quand il avait triplé ou quadruplé cet avoir. Alors sa fortune était faite, sa terre était constituée, elle pouvait s’arrondir dans son imagination ; mais l’idée de la voir encore se diviser en plusieurs parts lui devenait inadmissible, révoltante ; il jurait de n’avoir qu’un héritier, et il se tenait parole à lui-même.

Alors, à côté de l’épouse légitime, pour laquelle on avait généralement de l’affection et des égards quand même, venait s’implanter, de l’autre côté de la rue ou du chemin, la paysanne dont les nombreux enfants devaient être assistés et protégés, sans pouvoir prétendre à morceler l’héritage du protecteur. Cette paysanne était ordinairement mariée, sa postérité était donc censée légitime et connaîtrait une sorte d’aisance relative. Cela était de notoriété publique, mais ne troublait pas l’ordre établi. Le bourgeois de province apporte du calcul, même dans ses entraînements.

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J’avais seize ans lorsque je fus reçu bachelier à Bourges. Les études de province ne sont pas très-fortes. Je n’en passais pas moins pour l’aigle du lycée.

Heureusement pour moi, j’étais aussi modeste que peut l’être un écolier habitué au triomphe annuel des premiers prix. Un violent chagrin me préserva des ivresses de la vanité.

J’avais travaillé avec ardeur pour être agréable à ma mère et pour la rejoindre. Elle m’avait dit en pleurant, le jour de notre séparation :

— Mieux tu apprendras, plus tôt tu me seras rendu.

À chaque saison des vacances, elle m’avait répété ce vœu. Mon travail de chaque année avait été juste le double de celui de mes compagnons d’étude. Aucun d’eux n’avait sans doute une mère comme la mienne.

Je n’avais aimé qu’elle avec passion. Lorsque, à la veille de passer mes derniers examens, je songeais à sa joie, je me sentais si fort, que, si l’on m’eût interrogé sur quelque sujet d’étude tout à fait nouveau pour moi, il me semble qu’inspiré du ciel, j’aurais su répondre.

Je venais de recevoir mon diplôme, et j’allais prendre congé du proviseur, lorsque la foudre tomba sur moi. Une lettre cachetée de noir me fut remise. Elle était de mon père.

« Mon pauvre enfant, me disait-il, je n’ai pas voulu t’annoncer cette fatale nouvelle avant l’épreuve de tes examens. Quel qu’en soit le résultat, il faut que tu saches aujourd’hui que ta mère est au plus mal et qu’il nous reste bien peu d’espérance que tu puisses arriver à temps pour l’embrasser… »

Je compris que ma mère était morte, et je sentis mourir en moi subitement quelque chose comme la moitié de mon âme.

Je ne pleurai pas, je partis ; je ne devais, je ne pouvais jamais être consolé ; je sortais de l’enfance, et je voyais déjà clairement que je n’aurais pas de jeunesse.

Je ne trouvai plus de ma mère que ses longs cheveux noirs, qu’elle avait fait couper pour moi une heure avant d’expirer.

J’avais tout juste l’âge qu’elle avait eu en me donnant le jour, seize ans ! Elle venait de mourir du choléra dans toute la force de la vie, dans tout l’éclat de sa beauté. Je trouvai mon père plus accablé que moi. Sa douleur était morne, maladive ; mais elle ne pouvait pas être durable.

Mon père était un homme d’une forte santé, d’une grande activité physique, d’une intelligence réelle, mais qui se mouvait dans le cercle étroit des intérêts domestiques. C’était un bourgeois de campagne, le plus riche de son hameau : il avait environ six mille livres de rente. La conservation et l’entretien de son fonds territorial était l’unique occupation de sa vie. Tant qu’il eut une femme et un fils, il put appeler devoir ce qui était, en réalité et par soi-même, un plaisir sérieux pour lui. Au commencement de son veuvage, il lui sembla, comme à moi, qu’il ne pourrait plus s’intéresser à rien. Peu à peu, il se résigna à reprendre ses occupations par sollicitude pour moi. Plus tard, il les continua par besoin d’agir et de vivre.

Je glisserai rapidement sur de tristes détails. Il suffira de dire une chose que, dans notre province, chacun sait être vraie. Une certaine classe de bourgeois aisés formait, à cette époque, une caste nouvelle. Ces nouveaux riches avaient, à grand’peine, cousu les lambeaux de quelques minces héritages ou acquisitions dont l’ensemble formait enfin un lot qui satisfaisait ou flattait leur ambition. Tout est relatif : tel qui s’était marié avec une métairie de quarante mille francs, se regardait comme riche quand il avait triplé ou quadruplé cet avoir. Alors sa fortune était faite, sa terre était constituée, elle pouvait s’arrondir dans son imagination ; mais l’idée de la voir encore se diviser en plusieurs parts lui devenait inadmissible, révoltante ; il jurait de n’avoir qu’un héritier, et il se tenait parole à lui-même.

Alors, à côté de l’épouse légitime, pour laquelle on avait généralement de l’affection et des égards quand même, venait s’implanter, de l’autre côté de la rue ou du chemin, la paysanne dont les nombreux enfants devaient être assistés et protégés, sans pouvoir prétendre à morceler l’héritage du protecteur. Cette paysanne était ordinairement mariée, sa postérité était donc censée légitime et connaîtrait une sorte d’aisance relative. Cela était de notoriété publique, mais ne troublait pas l’ordre établi. Le bourgeois de province apporte du calcul, même dans ses entraînements.

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