Charles Baudelaire oeuvres complètes

Mystery & Suspense, Espionage, Fiction & Literature, Classics, Historical
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Author: Charles Baudelaire ISBN: 1230002155098
Publisher: bp Publication: February 12, 2018
Imprint: Language: French
Author: Charles Baudelaire
ISBN: 1230002155098
Publisher: bp
Publication: February 12, 2018
Imprint:
Language: French

Il y a dans le monde, et même dans le monde des artistes, des gens qui vont au musée du Louvre, passent rapidement, et sans leur accorder un regard, devant une foule de tableaux très-intéressants, quoique de second ordre, et se plantent rêveurs devant un Titien ou un Raphaël, un de ceux que la gravure a le plus popularisés ; puis sortent satisfaits, plus d’un se disant : « Je connais mon musée. » Il existe aussi des gens qui, ayant lu jadis Bossuet et Racine, croient posséder l’histoire de la littérature.

Par bonheur se présentent de temps en temps des redresseurs de torts, des critiques, des amateurs, des curieux qui affirment que tout n’est pas dans Raphaël, que tout n’est pas dans Racine, que les poetæ minores ont du bon, du solide et du délicieux ; et, enfin, que pour tant aimer la beauté générale, qui est exprimée par les poëtes et les artistes classiques, on n’en a pas moins tort de négliger la beauté particulière, la beauté de circonstance et le trait de mœurs.

Je dois dire que le monde, depuis plusieurs années, s’est un peu corrigé. Le prix que les amateurs attachent aujourd’hui aux gentillesses gravées et coloriées du dernier siècle prouve qu’une réaction a eu lieu dans le sens où le public en avait besoin ; Debucourt, les Saint-Aubin et bien d’autres, sont entrés dans le dictionnaire des artistes dignes d’être étudiés. Mais ceux-là représentent le passé ; or c’est à la peinture des mœurs du présent que je veux m’attacher aujourd’hui. Le passé est intéressant non-seulement par la beauté qu’ont su en extraire les artistes pour qui il était le présent, mais aussi comme passé, pour sa valeur historique. Il en est de même du présent. Le plaisir que nous retirons de la représentation du présent tient non-seulement à la beauté dont il peut être revêtu, mais aussi à sa qualité essentielle de présent.

J’ai sous les yeux une série de gravures de modes commençant avec la Révolution et finissant à peu près au Consulat. Ces costumes, qui font rire bien des gens irréfléchis, de ces gens graves sans vraie gravité, présentent un charme d’une nature double, artistique et historique. Ils sont très-souvent beaux et spirituellement dessinés ; mais ce qui m’importe au moins autant, et ce que je suis heureux de retrouver dans tous ou presque tous, c’est la morale et l’esthétique du temps. L’idée que l’homme se fait du beau s’imprime dans tout son ajustement, chiffonne ou raidit son habit, arrondit ou aligne son geste, et même pénètre subtilement, à la longue, les traits de son visage. L’homme finit par ressembler à ce qu’il voudrait être. Ces gravures peuvent être traduites en beau et en laid ; en laid, elles deviennent des caricatures, en beau, des statues antiques.

Les femmes qui étaient revêtues de ces costumes ressemblaient plus ou moins aux unes ou aux autres, selon le degré de poésie ou de vulgarité dont elles étaient marquées. La matière vivante rendait ondoyant ce qui nous semble trop rigide. L’imagination du spectateur peut encore aujourd’hui faire marcher et frémir cette tunique et ce schall. Un de ces jours, peut-être, un drame paraîtra sur un théâtre quelconque, où nous verrons la résurrection de ces costumes sous lesquels nos pères se trouvaient tout aussi enchanteurs que nous-mêmes dans nos pauvres vêtements (lesquels ont aussi leur grâce, il est vrai, mais d’une nature plutôt morale et spirituelle), et s’ils sont portés et animés par des comédiennes et des comédiens

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Il y a dans le monde, et même dans le monde des artistes, des gens qui vont au musée du Louvre, passent rapidement, et sans leur accorder un regard, devant une foule de tableaux très-intéressants, quoique de second ordre, et se plantent rêveurs devant un Titien ou un Raphaël, un de ceux que la gravure a le plus popularisés ; puis sortent satisfaits, plus d’un se disant : « Je connais mon musée. » Il existe aussi des gens qui, ayant lu jadis Bossuet et Racine, croient posséder l’histoire de la littérature.

Par bonheur se présentent de temps en temps des redresseurs de torts, des critiques, des amateurs, des curieux qui affirment que tout n’est pas dans Raphaël, que tout n’est pas dans Racine, que les poetæ minores ont du bon, du solide et du délicieux ; et, enfin, que pour tant aimer la beauté générale, qui est exprimée par les poëtes et les artistes classiques, on n’en a pas moins tort de négliger la beauté particulière, la beauté de circonstance et le trait de mœurs.

Je dois dire que le monde, depuis plusieurs années, s’est un peu corrigé. Le prix que les amateurs attachent aujourd’hui aux gentillesses gravées et coloriées du dernier siècle prouve qu’une réaction a eu lieu dans le sens où le public en avait besoin ; Debucourt, les Saint-Aubin et bien d’autres, sont entrés dans le dictionnaire des artistes dignes d’être étudiés. Mais ceux-là représentent le passé ; or c’est à la peinture des mœurs du présent que je veux m’attacher aujourd’hui. Le passé est intéressant non-seulement par la beauté qu’ont su en extraire les artistes pour qui il était le présent, mais aussi comme passé, pour sa valeur historique. Il en est de même du présent. Le plaisir que nous retirons de la représentation du présent tient non-seulement à la beauté dont il peut être revêtu, mais aussi à sa qualité essentielle de présent.

J’ai sous les yeux une série de gravures de modes commençant avec la Révolution et finissant à peu près au Consulat. Ces costumes, qui font rire bien des gens irréfléchis, de ces gens graves sans vraie gravité, présentent un charme d’une nature double, artistique et historique. Ils sont très-souvent beaux et spirituellement dessinés ; mais ce qui m’importe au moins autant, et ce que je suis heureux de retrouver dans tous ou presque tous, c’est la morale et l’esthétique du temps. L’idée que l’homme se fait du beau s’imprime dans tout son ajustement, chiffonne ou raidit son habit, arrondit ou aligne son geste, et même pénètre subtilement, à la longue, les traits de son visage. L’homme finit par ressembler à ce qu’il voudrait être. Ces gravures peuvent être traduites en beau et en laid ; en laid, elles deviennent des caricatures, en beau, des statues antiques.

Les femmes qui étaient revêtues de ces costumes ressemblaient plus ou moins aux unes ou aux autres, selon le degré de poésie ou de vulgarité dont elles étaient marquées. La matière vivante rendait ondoyant ce qui nous semble trop rigide. L’imagination du spectateur peut encore aujourd’hui faire marcher et frémir cette tunique et ce schall. Un de ces jours, peut-être, un drame paraîtra sur un théâtre quelconque, où nous verrons la résurrection de ces costumes sous lesquels nos pères se trouvaient tout aussi enchanteurs que nous-mêmes dans nos pauvres vêtements (lesquels ont aussi leur grâce, il est vrai, mais d’une nature plutôt morale et spirituelle), et s’ils sont portés et animés par des comédiennes et des comédiens

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