Charles Guérin

Fiction & Literature, Humorous
Cover of the book Charles Guérin by Pierre J.O. Chauveau, GILBERT TEROL
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Author: Pierre J.O. Chauveau ISBN: 1230000212861
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 25, 2014
Imprint: Language: French
Author: Pierre J.O. Chauveau
ISBN: 1230000212861
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 25, 2014
Imprint:
Language: French

UNE lieue et davantage séparait la maison de M. Lebrun, de celle où venait de se fêter si dignement la Mi-carême, espèce de saturnale où le peuple un peu lassé de la vie mortifiée que l’église lui prescrit, prend sa revanche des privations passées et semble narguer les jeûnes à venir.

Pendant la plus grande partie du trajet, tout en s’efforçant de conduire sans encombre son léger traîneau à travers les cahots et les pentes de la route, Charles repassait en lui-même les diverses circonstances de son petit voyage depuis son départ de Québec jusqu’à ce moment.

À l’âge de notre héros, et au sortir du collège, on est assez disposé à tenir compte des moindres événemens, et aux premières aspérités de la vie, à s’écrier comme le rat du bon Lafontaine :

Voici les Apennins, et voilà le Caucase !

Ce n’était que par degrés et grâce, pour bien dire, aux exigences de leur position qu’une douce intimité s’était établie entre Charles et Marichette. Dans ce moment les mille et une petites choses qui l’avaient rapproché de la jeune fille, semblaient à l’étudiant autant de déplorables fatalités ; tant il avait trouvé niais, le rôle de cavalier, que tout le monde paraissait lai assigner. Comment avait-il proposé à Mademoiselle Marie (il ne l’appelait jamais autrement) quelques promenades qu’elle avait acceptées ? comment s’était-il engagé à l’accompagner chez le père Morelle ?

C’était ce dont il ne pouvait se rendre compte, surtout lorsqu’il comparait sa conduite à ses premières résolutions. Ce n’était cependant point sa faute à elle. Elle n’avait fait aucune démarche : c’était lui au contraire qui avait recherché toutes les occasions de lui parler, et il n’avait jamais été si heureux que, lorsque pour la première fois, elle avait substitué à ses réponses froidement polies une conversation expansive et pleine de charmes. D’un autre côté, elle n’était pas, malgré tout, exempte de tout reproche à ses yeux. Pourquoi s’avisait-elle d’avoir un regard si mélancolique et si doux, de si beaux cheveux, qu’elle disposait si habilement, un sourire si caressant et si intelligent, un teint si frais et si pur ; et par-dessus tout pourquoi se permettait-elle de parler un langage plus correct, plus élégant, plus poétique que celui de la plupart des femmes qu’il avait rencontrées jusque-là ? Etait-ce sa faute à lui si, d’une petite fillette assez vulgaire, elle s’était rapidement métamorphosée en une jeune personne pleine de séductions ?

Et cependant, il n’aurait pas voulu pour beaucoup entamer un roman aussi absurde, et dont le dénouement, éloigné, incertain, pour bien dire impossible, l’aurait rendu bien malheureux. Cette étude de ses sentimens et de ses impressions (de ceux au moins qu’il s’avouait à lui-même sans compter ceux qu’il n’osait s’avouer) avait été la cause de sa taciturnité, pendant tout le festin.

La vitesse du traîneau commençait à se ralentir, la nuit n’était pas bien froide, quoiqu’elle fût bien sereine, la neige molle et blanche plus qu’un duvet, avait cessé depuis longtemps de tomber, (la neige suivant le dicton populaire, c’est le froid qui tombe) un vent léger embaumé par les exhalaisons des sapins, soufflait par intervalles, les étoiles par myriades scintillaient au firmament, le silence régnait partout, à moins qu’une corneille effarouchée ne s’élevât de temps à autre au coin d’un bois, en poussant un cri plaintif : enfin sur la vaste plaine blanche semblable à un océan de neige, qui s’étendait d’un horizon à l’autre, le jeune homme et la jeune fille pouvaient se croire seuls dans la Création, et ils auraient même pu se croire transportés dans un monde idéal, si de temps à autres les rudes secousses des cahots ne les avaient rappelés au sentiment de la réalité.

— Mon Dieu ! j’ai failli tomber hors de la voiture ! … Mais vous allez me dire au moins pourquoi vous m’avez fait partir si vite de chez le bonhomme Morelle, et pourquoi vous nous avez menés si grand train… vous trouviez donc cela bien ennuyeux ? ……..

Marichette n’eût pas le temps d’en dire davantage. Ils étaient arrivés en ce moment à un endroit où il fallait passer un pont étroit jeté sur une petite rivière qui formait une coulée profonde. Le cheval s’arrêta brusquement et fit mine de retourner sur ses pas. Comme Charles essayait de lui faire franchir ce pas assez difficile, il s’aperçut, mais trop tard, de ce qui causait la terreur de la pauvre bête. À l’autre bout trois ou quatre sapins qui avaient été placés le long de la route, à différentes distances, pour servir de balises, avaient été entassés les uns sur les autres, de manière à obstruer complètement le chemin ; et sur un d’eux planté perpendiculairement, on avait étendu un grand drap blanc qui figurait une espèce de fantôme. Le jeune homme voulut alors rebrousser chemin ; mais le cheval était trop effrayé, il se cabra, puis se jeta tête baissée dans le précipice.

Le traîneau dans sa chûte frappa avec force contre les débris du vieux tronc d’arbre, et la violence de la secousse lança le jeune homme d’un côté et la jeune fille de l’autre, mais de manière que l’un fut sauvé et l’autre dans le plus grand danger.

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UNE lieue et davantage séparait la maison de M. Lebrun, de celle où venait de se fêter si dignement la Mi-carême, espèce de saturnale où le peuple un peu lassé de la vie mortifiée que l’église lui prescrit, prend sa revanche des privations passées et semble narguer les jeûnes à venir.

Pendant la plus grande partie du trajet, tout en s’efforçant de conduire sans encombre son léger traîneau à travers les cahots et les pentes de la route, Charles repassait en lui-même les diverses circonstances de son petit voyage depuis son départ de Québec jusqu’à ce moment.

À l’âge de notre héros, et au sortir du collège, on est assez disposé à tenir compte des moindres événemens, et aux premières aspérités de la vie, à s’écrier comme le rat du bon Lafontaine :

Voici les Apennins, et voilà le Caucase !

Ce n’était que par degrés et grâce, pour bien dire, aux exigences de leur position qu’une douce intimité s’était établie entre Charles et Marichette. Dans ce moment les mille et une petites choses qui l’avaient rapproché de la jeune fille, semblaient à l’étudiant autant de déplorables fatalités ; tant il avait trouvé niais, le rôle de cavalier, que tout le monde paraissait lai assigner. Comment avait-il proposé à Mademoiselle Marie (il ne l’appelait jamais autrement) quelques promenades qu’elle avait acceptées ? comment s’était-il engagé à l’accompagner chez le père Morelle ?

C’était ce dont il ne pouvait se rendre compte, surtout lorsqu’il comparait sa conduite à ses premières résolutions. Ce n’était cependant point sa faute à elle. Elle n’avait fait aucune démarche : c’était lui au contraire qui avait recherché toutes les occasions de lui parler, et il n’avait jamais été si heureux que, lorsque pour la première fois, elle avait substitué à ses réponses froidement polies une conversation expansive et pleine de charmes. D’un autre côté, elle n’était pas, malgré tout, exempte de tout reproche à ses yeux. Pourquoi s’avisait-elle d’avoir un regard si mélancolique et si doux, de si beaux cheveux, qu’elle disposait si habilement, un sourire si caressant et si intelligent, un teint si frais et si pur ; et par-dessus tout pourquoi se permettait-elle de parler un langage plus correct, plus élégant, plus poétique que celui de la plupart des femmes qu’il avait rencontrées jusque-là ? Etait-ce sa faute à lui si, d’une petite fillette assez vulgaire, elle s’était rapidement métamorphosée en une jeune personne pleine de séductions ?

Et cependant, il n’aurait pas voulu pour beaucoup entamer un roman aussi absurde, et dont le dénouement, éloigné, incertain, pour bien dire impossible, l’aurait rendu bien malheureux. Cette étude de ses sentimens et de ses impressions (de ceux au moins qu’il s’avouait à lui-même sans compter ceux qu’il n’osait s’avouer) avait été la cause de sa taciturnité, pendant tout le festin.

La vitesse du traîneau commençait à se ralentir, la nuit n’était pas bien froide, quoiqu’elle fût bien sereine, la neige molle et blanche plus qu’un duvet, avait cessé depuis longtemps de tomber, (la neige suivant le dicton populaire, c’est le froid qui tombe) un vent léger embaumé par les exhalaisons des sapins, soufflait par intervalles, les étoiles par myriades scintillaient au firmament, le silence régnait partout, à moins qu’une corneille effarouchée ne s’élevât de temps à autre au coin d’un bois, en poussant un cri plaintif : enfin sur la vaste plaine blanche semblable à un océan de neige, qui s’étendait d’un horizon à l’autre, le jeune homme et la jeune fille pouvaient se croire seuls dans la Création, et ils auraient même pu se croire transportés dans un monde idéal, si de temps à autres les rudes secousses des cahots ne les avaient rappelés au sentiment de la réalité.

— Mon Dieu ! j’ai failli tomber hors de la voiture ! … Mais vous allez me dire au moins pourquoi vous m’avez fait partir si vite de chez le bonhomme Morelle, et pourquoi vous nous avez menés si grand train… vous trouviez donc cela bien ennuyeux ? ……..

Marichette n’eût pas le temps d’en dire davantage. Ils étaient arrivés en ce moment à un endroit où il fallait passer un pont étroit jeté sur une petite rivière qui formait une coulée profonde. Le cheval s’arrêta brusquement et fit mine de retourner sur ses pas. Comme Charles essayait de lui faire franchir ce pas assez difficile, il s’aperçut, mais trop tard, de ce qui causait la terreur de la pauvre bête. À l’autre bout trois ou quatre sapins qui avaient été placés le long de la route, à différentes distances, pour servir de balises, avaient été entassés les uns sur les autres, de manière à obstruer complètement le chemin ; et sur un d’eux planté perpendiculairement, on avait étendu un grand drap blanc qui figurait une espèce de fantôme. Le jeune homme voulut alors rebrousser chemin ; mais le cheval était trop effrayé, il se cabra, puis se jeta tête baissée dans le précipice.

Le traîneau dans sa chûte frappa avec force contre les débris du vieux tronc d’arbre, et la violence de la secousse lança le jeune homme d’un côté et la jeune fille de l’autre, mais de manière que l’un fut sauvé et l’autre dans le plus grand danger.

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