Author: | Henri de Régnier | ISBN: | 1230000278085 |
Publisher: | JCA | Publication: | November 3, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Henri de Régnier |
ISBN: | 1230000278085 |
Publisher: | JCA |
Publication: | November 3, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
On ne voyait pas la mer, de la maison où je suis né, mais le port n’en était pas loin avec ses quais, ses bassins, sa jetée, et la mer était intimement mêlée à la vie de cette petite ville normande dont je revois encore dans mon souvenir les rues étroites et pittoresques où les coiffes paysannes se croisaient avec les bérets marins. Je revois le marché avec ses étalages de grasses volailles et de grosses mottes de beurre, la poissonnerie, si bruyante aux heures de vente à la criée, quand les barques de pêche avaient déchargé les captures de leurs filets et que, voiles carguées, elles montraient à marée basse leurs flancs tout incrustés de coquillages et tout visqueux d’algues et de vase, les lourdes barques que j’aimais à voir rentrer et dont je retrouvais les coques et les agrès en miniature suspendus en ex-voto à la voûte de l’antique chapelle auprès de laquelle j’allais jouer, enfant, sous les grands arbres de la Côte de Grâce, tout frémissants des souffles de l’Estuaire. Certes, je l’aimais, cette Côte de Grâce, qu’on l’abordât par les raidillons du Mont Joli, qu’on y parvînt par la longue avenue en pente ombragée qui y conduisait, mais je lui préférais encore les quais avec leurs anneaux de fer où s’amarraient les câbles goudronnés, où les douaniers faisaient les cent pas, où zigzaguait parfois un matelot éméché, où les retraités fumaient leur pipe en crachant gravement sur la dalle, où se bousculaient les polissons, les quais où le bateau à vapeur, venu du Havre, accostait et bombait sur ses roues à aubes ses imposants tambours ...
On ne voyait pas la mer, de la maison où je suis né, mais le port n’en était pas loin avec ses quais, ses bassins, sa jetée, et la mer était intimement mêlée à la vie de cette petite ville normande dont je revois encore dans mon souvenir les rues étroites et pittoresques où les coiffes paysannes se croisaient avec les bérets marins. Je revois le marché avec ses étalages de grasses volailles et de grosses mottes de beurre, la poissonnerie, si bruyante aux heures de vente à la criée, quand les barques de pêche avaient déchargé les captures de leurs filets et que, voiles carguées, elles montraient à marée basse leurs flancs tout incrustés de coquillages et tout visqueux d’algues et de vase, les lourdes barques que j’aimais à voir rentrer et dont je retrouvais les coques et les agrès en miniature suspendus en ex-voto à la voûte de l’antique chapelle auprès de laquelle j’allais jouer, enfant, sous les grands arbres de la Côte de Grâce, tout frémissants des souffles de l’Estuaire. Certes, je l’aimais, cette Côte de Grâce, qu’on l’abordât par les raidillons du Mont Joli, qu’on y parvînt par la longue avenue en pente ombragée qui y conduisait, mais je lui préférais encore les quais avec leurs anneaux de fer où s’amarraient les câbles goudronnés, où les douaniers faisaient les cent pas, où zigzaguait parfois un matelot éméché, où les retraités fumaient leur pipe en crachant gravement sur la dalle, où se bousculaient les polissons, les quais où le bateau à vapeur, venu du Havre, accostait et bombait sur ses roues à aubes ses imposants tambours ...