Histoire de ma vie Volume I

Biography & Memoir, Historical
Cover of the book Histoire de ma vie Volume I by GEORGE SAND, GILBERT TEROL
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Author: GEORGE SAND ISBN: 1230002752860
Publisher: GILBERT TEROL Publication: October 28, 2018
Imprint: Language: English
Author: GEORGE SAND
ISBN: 1230002752860
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: October 28, 2018
Imprint:
Language: English

Je ne pense pas qu’il y avait de l’orgueil et de l’impertinence à écrire l’histoire de sa propre vie, encore moins à choisir, dans les souvenirs que cette vie a laissés en nous, ceux qui nous paraissent valoir la peine d’être conservés. Pour ma part, je crois accomplir un devoir, assez pénible même, car je ne connais rien de plus malaisé que de se définir et de se résumer en personne. L’étude du cœur humain est de telle nature, que plus on s’y absorbe, moins on y voit clair ; et pour certains esprits actifs, se connaître est une étude fastidieuse et toujours incomplète. Pourtant je l’accomplirai, ce devoir ; je l’ai toujours eu devant les yeux ; je me suis toujours promis de ne pas mourir sans avoir fait ce que j’ai toujours conseillé aux autres de faire pour eux-mêmes : une étude sincère de ma propre nature et un examen attentif de ma propre existence.

Une insurmontable paresse (c’est la maladie des esprits trop occupés et celle de la jeunesse par conséquent) m’a fait différer jusqu’à ce jour d’accomplir cette tâche ; et, coupable peut-être envers moi-même, j’ai laissé publier sur mon compte un assez grand nombre de biographies pleines d’erreurs, dans la louange comme dans le blâme. Il n’est pas jusqu’à mon nom qui ne soit une fable dans certaines de ces biographies, publiées d’abord à l’étranger et reproduites en France avec des modifications de fantaisie. Questionnée par les auteurs de ces récits, appelée à donner les renseignements qu’il me plairait de fournir, j’ai poussé l’apathie jusqu’à refuser à des personnes bienveillantes le plus simple indice. J’éprouvais, je l’avoue, un dégoût mortel à occuper le public de ma personnalité, qui n’a rien de saillant, lorsque je me sentais le cœur et la tête remplis de personnalités plus fortes, plus logiques, plus complètes, plus idéales, de types supérieurs à moi-même, de personnages de romans en un mot. Je sentais qu’il ne faut parler de soi au public qu’une fois en sa vie, très sérieusement, et n’y plus revenir.

Quand on s’habitue à parler de soi, on en vient facilement à se vanter, et cela, très involontairement, sans doute, par une loi naturelle de l’esprit humain, qui ne peut s’empêcher d’embellir et d’élever l’objet de sa contemplation. Il y a même de ces vanteries naïves dont on ne doit pas s’effrayer lorsqu’elles sont revêtues des formes du lyrisme, comme celles des poètes, qui ont, sur ce point, un privilége spécial et consacré. Mais l’enthousiasme de soi-même qui inspire ces audacieux élans vers le ciel n’est pas le milieu où l’ame puisse se poser pour parler longtemps d’elle-même aux hommes. Dans cette excitation, le sentiment de ses propres faiblesses lui échappe.

Elle s’identifie avec la Divinité, avec l’idéal qu’elle embrasse : s’il se trouve en elle quelque retour vers le regret et le repentir, elle l’exagère jusqu’à la poésie du désespoir et du remords ; elle devient Werther, ou Manfred, ou Faust, ou Hamlet, types sublimes au point de vue de l’art, mais qui, sans le secours de l’intelligence philosophique, sont devenus parfois de funestes exemples ou des modèles hors de portée.

Que ces grandes peintures de plus puissantes émotions de l’ame des poètes restent pourtant à jamais vénérées ! et disons bien vite qu’on doit pardonner aux grands artistes de s’être drapés ainsi des nuages de la foudre ou des rayons de la gloire. C’est leur droit, et en nous donnant le résultat de leurs plus sublimes émotions, ils ont accompli leur mission souveraine. Mais disons aussi que dans des conditions plus humbles, et sous des formes plus vulgaires, on peut accomplir un devoir sérieux, plus immédiatement utile à ses semblables, en se communiquant à eux sans symbole, sans auréole et sans piédestal.

Il est certainement impossible de croire que cette faculté des poètes, qui consiste à idéaliser leur propre existence et à en faire quelque chose d’abstrait et d’impalpable, soit un enseignement bien complet.

Utile et vivifiant, il l’est sans doute ; car tout esprit s’élève avec celui des rêveurs inspirés, tout sentiment s’épure ou s’exalte en les suivant à travers ces régions de l’extase ; mais il manque à ce baume subtil, versé par eux sur nos défaillances, quelque chose d’assez important, la réalité.

Eh bien ! il en coûte à un artiste de toucher à cette réalité, et ceux qui s’y complaisent sont vraiment bien généreux ! Pour ma part, j’avoue que je ne puis porter aussi loin l’amour du devoir, et que ce n’est pas sans un grand effort que je vais descendre dans la prose de mon sujet.

J’avais toujours trouvé qu’il était de mauvais goût non seulement de parler de soi, mais encore de s’entretenir longtemps avec soi-même. Il y a peu de jours, peu de momens dans la vie des êtres ordinaires où ils soient intéressans ou utiles à contempler. Je me suis sentie pourtant dans ces jours et dans ces heures-là quelquefois comme tout le monde, et j’ai pris la plume alors pour épancher quelque vive souffrance qui me débordait, ou quelque violente anxiété qui s’agitait en moi. La plupart de ces fragmens n’ont jamais été publiés, et me serviront de jalons pour l’examen que je vais faire de ma vie.

Quelques-uns seulement ont pris une forme à demi confidentielle, à demi littéraire, dans des lettres publiées à certains intervalles et datées de divers lieux. Elles ont été réunies sous le titre de Lettres d’un voyageur. À l’époque où j’écrivis ces lettres, je ne me sentis pas trop effrayée de parler de moi-même, parce que ce n’était pas ouvertement et littéralement de moi-même que je parlais alors. Ce voyageur était une sorte de fiction, un personnage convenu, masculin comme mon pseudonyme, vieux quoique je fusse encore jeune ; et dans la bouche de ce triste pélerin, qui en somme était une sorte de héros de roman, je mettais des impressions et des réflexions plus personnelles que je ne les aurais risquées dans un roman, où les conditions de l’art sont plus sévères.

J’avais besoin alors d’exhaler certaines agitations, mais non le besoin d’occuper de moi mes lecteurs.

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Je ne pense pas qu’il y avait de l’orgueil et de l’impertinence à écrire l’histoire de sa propre vie, encore moins à choisir, dans les souvenirs que cette vie a laissés en nous, ceux qui nous paraissent valoir la peine d’être conservés. Pour ma part, je crois accomplir un devoir, assez pénible même, car je ne connais rien de plus malaisé que de se définir et de se résumer en personne. L’étude du cœur humain est de telle nature, que plus on s’y absorbe, moins on y voit clair ; et pour certains esprits actifs, se connaître est une étude fastidieuse et toujours incomplète. Pourtant je l’accomplirai, ce devoir ; je l’ai toujours eu devant les yeux ; je me suis toujours promis de ne pas mourir sans avoir fait ce que j’ai toujours conseillé aux autres de faire pour eux-mêmes : une étude sincère de ma propre nature et un examen attentif de ma propre existence.

Une insurmontable paresse (c’est la maladie des esprits trop occupés et celle de la jeunesse par conséquent) m’a fait différer jusqu’à ce jour d’accomplir cette tâche ; et, coupable peut-être envers moi-même, j’ai laissé publier sur mon compte un assez grand nombre de biographies pleines d’erreurs, dans la louange comme dans le blâme. Il n’est pas jusqu’à mon nom qui ne soit une fable dans certaines de ces biographies, publiées d’abord à l’étranger et reproduites en France avec des modifications de fantaisie. Questionnée par les auteurs de ces récits, appelée à donner les renseignements qu’il me plairait de fournir, j’ai poussé l’apathie jusqu’à refuser à des personnes bienveillantes le plus simple indice. J’éprouvais, je l’avoue, un dégoût mortel à occuper le public de ma personnalité, qui n’a rien de saillant, lorsque je me sentais le cœur et la tête remplis de personnalités plus fortes, plus logiques, plus complètes, plus idéales, de types supérieurs à moi-même, de personnages de romans en un mot. Je sentais qu’il ne faut parler de soi au public qu’une fois en sa vie, très sérieusement, et n’y plus revenir.

Quand on s’habitue à parler de soi, on en vient facilement à se vanter, et cela, très involontairement, sans doute, par une loi naturelle de l’esprit humain, qui ne peut s’empêcher d’embellir et d’élever l’objet de sa contemplation. Il y a même de ces vanteries naïves dont on ne doit pas s’effrayer lorsqu’elles sont revêtues des formes du lyrisme, comme celles des poètes, qui ont, sur ce point, un privilége spécial et consacré. Mais l’enthousiasme de soi-même qui inspire ces audacieux élans vers le ciel n’est pas le milieu où l’ame puisse se poser pour parler longtemps d’elle-même aux hommes. Dans cette excitation, le sentiment de ses propres faiblesses lui échappe.

Elle s’identifie avec la Divinité, avec l’idéal qu’elle embrasse : s’il se trouve en elle quelque retour vers le regret et le repentir, elle l’exagère jusqu’à la poésie du désespoir et du remords ; elle devient Werther, ou Manfred, ou Faust, ou Hamlet, types sublimes au point de vue de l’art, mais qui, sans le secours de l’intelligence philosophique, sont devenus parfois de funestes exemples ou des modèles hors de portée.

Que ces grandes peintures de plus puissantes émotions de l’ame des poètes restent pourtant à jamais vénérées ! et disons bien vite qu’on doit pardonner aux grands artistes de s’être drapés ainsi des nuages de la foudre ou des rayons de la gloire. C’est leur droit, et en nous donnant le résultat de leurs plus sublimes émotions, ils ont accompli leur mission souveraine. Mais disons aussi que dans des conditions plus humbles, et sous des formes plus vulgaires, on peut accomplir un devoir sérieux, plus immédiatement utile à ses semblables, en se communiquant à eux sans symbole, sans auréole et sans piédestal.

Il est certainement impossible de croire que cette faculté des poètes, qui consiste à idéaliser leur propre existence et à en faire quelque chose d’abstrait et d’impalpable, soit un enseignement bien complet.

Utile et vivifiant, il l’est sans doute ; car tout esprit s’élève avec celui des rêveurs inspirés, tout sentiment s’épure ou s’exalte en les suivant à travers ces régions de l’extase ; mais il manque à ce baume subtil, versé par eux sur nos défaillances, quelque chose d’assez important, la réalité.

Eh bien ! il en coûte à un artiste de toucher à cette réalité, et ceux qui s’y complaisent sont vraiment bien généreux ! Pour ma part, j’avoue que je ne puis porter aussi loin l’amour du devoir, et que ce n’est pas sans un grand effort que je vais descendre dans la prose de mon sujet.

J’avais toujours trouvé qu’il était de mauvais goût non seulement de parler de soi, mais encore de s’entretenir longtemps avec soi-même. Il y a peu de jours, peu de momens dans la vie des êtres ordinaires où ils soient intéressans ou utiles à contempler. Je me suis sentie pourtant dans ces jours et dans ces heures-là quelquefois comme tout le monde, et j’ai pris la plume alors pour épancher quelque vive souffrance qui me débordait, ou quelque violente anxiété qui s’agitait en moi. La plupart de ces fragmens n’ont jamais été publiés, et me serviront de jalons pour l’examen que je vais faire de ma vie.

Quelques-uns seulement ont pris une forme à demi confidentielle, à demi littéraire, dans des lettres publiées à certains intervalles et datées de divers lieux. Elles ont été réunies sous le titre de Lettres d’un voyageur. À l’époque où j’écrivis ces lettres, je ne me sentis pas trop effrayée de parler de moi-même, parce que ce n’était pas ouvertement et littéralement de moi-même que je parlais alors. Ce voyageur était une sorte de fiction, un personnage convenu, masculin comme mon pseudonyme, vieux quoique je fusse encore jeune ; et dans la bouche de ce triste pélerin, qui en somme était une sorte de héros de roman, je mettais des impressions et des réflexions plus personnelles que je ne les aurais risquées dans un roman, où les conditions de l’art sont plus sévères.

J’avais besoin alors d’exhaler certaines agitations, mais non le besoin d’occuper de moi mes lecteurs.

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