Author: | JEAN FERON | ISBN: | 1230000730617 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | October 20, 2015 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | JEAN FERON |
ISBN: | 1230000730617 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | October 20, 2015 |
Imprint: | |
Language: | French |
Extrait :
Le cabaret borgne que tenait la mère Rodioux en la basse ville près de la rue Sault-au-Matelot était rempli, le soir du 20 octobre 1758, d’une soldatesque ivre et bruyante qui fêtait tapageusement la fin de cette campagne si glorieuse pour les armées coloniales.
Avec les cent livres que lui avait payées Lardinet pour séquestrer Héloïse de Maubertin, mais que, par vérité, elle n’avait pas gagnées comme le lui avait reproché Lardinet, et aussi avec la complaisance du sieur Cadet et de l’intendant-royal, M. Bigot, la mendiante avait abandonné la besace pour la futaille. En sa vieille baraque, y compris le logis qu’y avait habité le père Croquelin et qu’il avait cédé à son ancienne associée moyennant quelques écus, la mère Robidoux avait établi un comptoir derrière lequel elle débitait des vins douteux et des eau-de-vie qui pouvaient plus justement être appelées des « eaux-de-mort ».
La mère Rodioux ne donnait ni à manger ni à loger, elle ne débitait que ses « matières à boire » dans son logis à elle où, à part le comptoir, se trouvaient quelques tables boiteuses et des escabeaux. Quant au logis voisin, celui du père Croquelin, elle y logeait avec son unique domestique, une grosse fille plantureuse, normande par tous les poils, pas laide, hardie et jeune.
De son nom de famille cette servante se nommait Rose Peluchet, et la rapace qui fréquentait ce bouge malpropre et crasseux — car la mère Rodioux n’avait pas appris l’art de la propreté — l’avait surnommée « La Pluchette ». Pourquoi ?… Nous ne saurions donner cette explication, attendu que nous n’avons pu la trouver.
Rose Peluchet, malgré ses airs délurés, était une bonne fille, une fille à l’œil fort, à la main lourde, mais une fille qui ne donnait ni ne vendait sa peau. Elle voulait se marier un jour ou l’autre et pour son futur mari réserver tous les trésors de virginité et de chasteté que Dieu lui avait donnés en naissant. Aussi, les coureurs de guilledou l’avaient-ils traitée de prude, lorsqu’ils avaient été rudement et de main leste détournés de leurs basses visées, et pour se venger des dédains de l’accorte fille ils l’avaient baptisée La Pluchette… et voilà comment ! Rose avait été la première à rire du surnom, elle avait mis les rieurs de son côté, et, finalement, elle était demeurée une fille honnête, respectée, admirée. Du reste, elle possédait le meilleur tempérament, du moment qu’on n’essayait pas de lui mettre le talon sur les orteils, elle travaillait comme quatre, et le buveur assoiffé était servi au regard et au geste. En effet, dès que paraissait un habitué, Rose accourait avec le cabaret aux mains, le flacon d’eau-de-mort et la tasse de pierre.
Extrait :
Le cabaret borgne que tenait la mère Rodioux en la basse ville près de la rue Sault-au-Matelot était rempli, le soir du 20 octobre 1758, d’une soldatesque ivre et bruyante qui fêtait tapageusement la fin de cette campagne si glorieuse pour les armées coloniales.
Avec les cent livres que lui avait payées Lardinet pour séquestrer Héloïse de Maubertin, mais que, par vérité, elle n’avait pas gagnées comme le lui avait reproché Lardinet, et aussi avec la complaisance du sieur Cadet et de l’intendant-royal, M. Bigot, la mendiante avait abandonné la besace pour la futaille. En sa vieille baraque, y compris le logis qu’y avait habité le père Croquelin et qu’il avait cédé à son ancienne associée moyennant quelques écus, la mère Robidoux avait établi un comptoir derrière lequel elle débitait des vins douteux et des eau-de-vie qui pouvaient plus justement être appelées des « eaux-de-mort ».
La mère Rodioux ne donnait ni à manger ni à loger, elle ne débitait que ses « matières à boire » dans son logis à elle où, à part le comptoir, se trouvaient quelques tables boiteuses et des escabeaux. Quant au logis voisin, celui du père Croquelin, elle y logeait avec son unique domestique, une grosse fille plantureuse, normande par tous les poils, pas laide, hardie et jeune.
De son nom de famille cette servante se nommait Rose Peluchet, et la rapace qui fréquentait ce bouge malpropre et crasseux — car la mère Rodioux n’avait pas appris l’art de la propreté — l’avait surnommée « La Pluchette ». Pourquoi ?… Nous ne saurions donner cette explication, attendu que nous n’avons pu la trouver.
Rose Peluchet, malgré ses airs délurés, était une bonne fille, une fille à l’œil fort, à la main lourde, mais une fille qui ne donnait ni ne vendait sa peau. Elle voulait se marier un jour ou l’autre et pour son futur mari réserver tous les trésors de virginité et de chasteté que Dieu lui avait donnés en naissant. Aussi, les coureurs de guilledou l’avaient-ils traitée de prude, lorsqu’ils avaient été rudement et de main leste détournés de leurs basses visées, et pour se venger des dédains de l’accorte fille ils l’avaient baptisée La Pluchette… et voilà comment ! Rose avait été la première à rire du surnom, elle avait mis les rieurs de son côté, et, finalement, elle était demeurée une fille honnête, respectée, admirée. Du reste, elle possédait le meilleur tempérament, du moment qu’on n’essayait pas de lui mettre le talon sur les orteils, elle travaillait comme quatre, et le buveur assoiffé était servi au regard et au geste. En effet, dès que paraissait un habitué, Rose accourait avec le cabaret aux mains, le flacon d’eau-de-mort et la tasse de pierre.