Author: | ALEXANDRE POUCHKINE | ISBN: | 1230002691671 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | October 16, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | ALEXANDRE POUCHKINE |
ISBN: | 1230002691671 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | October 16, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
Réuni d’une façon si merveilleuse à la jeune fille qui me causait le matin même tant d’inquiétude douloureuse, je ne pouvais croire à mon bonheur, et je m’imaginais que tout ce qui m’était arrivé n’était qu’un songe. Marie regardait d’un air pensif, tantôt moi, tantôt la route, et ne semblait pas, elle non plus, avoir repris tous ses sens. Nous gardions le silence ; nos cœurs étaient trop fatigués d’émotions. Au bout de deux heures, nous étions déjà rendus dans la forteresse voisine, qui appartenait aussi à Pougatcheff. Nous y changeâmes de chevaux. À voir la célérité qu’on mettait à nous servir et le zèle empressé du Cosaque barbu dont Pougatcheff avait fait le commandant, je m’aperçus que grâce au babil du postillon qui nous avait amenés, on me prenait pour un favori du maître.
Quand nous nous remîmes en route, il commençait à faire sombre. Nous nous approchâmes d’une petite ville où, d’après le commandant barbu, devait se trouver un fort détachement qui était en marche pour se réunir à l’usurpateur. Les sentinelles nous arrêtèrent, et au cri de : « Qui vive ? » notre postillon répondit à haute voix : « Le compère du tsar, qui voyage avec sa bourgeoise. »
Aussitôt un détachement de hussards russes nous entoura avec d’affreux jurements.
« Sors, compère du diable, me dit un maréchal des logis aux épaisses moustaches. Nous allons te mener au bain, toi et ta bourgeoise. »
Je sortis de la kibitka et demandai qu’on me conduisît devant l’autorité. En voyant un officier, les soldats cessèrent leurs imprécations, et le maréchal des logis me conduisit chez le major. Savéliitch me suivait en grommelant : « En voilà un, de compère du tsar ! nous tombons du feu dans la flamme. Ô Seigneur Dieu, comment cela finira-t-il ? »
La kibitka venait au pas derrière nous.
En cinq minutes, nous arrivâmes à une maisonnette très éclairée. Le maréchal des logis me laissa sous bonne garde, et entra pour annoncer sa capture. Il revint à l’instant même et me déclara que Sa Haute Seigneurie n’avait pas le temps de me recevoir, qu’elle lui avait donné l’ordre de me conduire en prison et de lui amener ma bourgeoise.
« Qu’est-ce que cela veut dire ? m’écriai-je furieux ; est-il devenu fou ?
– Je ne puis le savoir, Votre Seigneurie, répondit le maréchal des logis ; seulement Sa Haute Seigneurie a ordonné de conduire Votre Seigneurie en prison, et d’amener Sa Seigneurie à Sa Haute Seigneurie, Votre Seigneurie. »
Je m’élançai sur le perron ! les sentinelles n’eurent pas le temps de me retenir, et j’entrai tout droit dans la chambre où six officiers de hussards jouaient au pharaon. Le major tenait la banque. Quelle fut ma surprise, lorsqu’après l’avoir un moment dévisagé je reconnus en lui cet Ivan Ivanovitch Zourine qui m’avait si bien dévalisé dans l’hôtellerie de Simbisrk !
« Est-ce possible ! m’écriai-je ; Ivan Ivanovitch, est-ce toi ?
– Ah bah ! Piôtr Andréitch ! Par quel hasard ? D’où viens-tu ? Bonjour, frère ; ne veux-tu pas ponter une carte ?
– Merci ; fais-moi plutôt donner un logement.
– Quel logement te faut-il ? Reste chez moi.
– Je ne le puis, je ne suis pas seul.
– Eh bien, amène aussi ton camarade.
– Je ne suis pas avec un camarade ; je suis… avec une dame.
– Avec une dame ! où l’as-tu pêchée, frère ? »
Après avoir dit ces mots, Zourine siffla d’un ton si railleur que tous les autres se mirent à rire, et je demeurai tout confus.
« Eh bien, continua Zourine, il n’y a rien à faire ; je te donnerai un logement. Mais c’est dommage ; nous aurions fait nos bamboches comme l’autre fois. Holà ! garçon, pourquoi n’amène-t-on pas la commère de Pougatcheff ? Est-ce qu’elle ferait l’obstinée ? Dis-lui qu’elle n’a rien à craindre, que le monsieur qui l’appelle est très bon, qu’il ne l’offensera d’aucune manière, et en même temps pousse-la ferme par les épaules.
– Que fais-tu là ? dis-je à Zourine ; de quelle commère de Pougatcheff parles-tu ? c’est la fille du défunt capitaine Mironoff. Je l’ai délivrée de sa captivité et je l’emmène maintenant à la maison de mon père, où je la laisserai.
– Comment ! c’est donc toi qu’on est venu m’annoncer tout à l’heure ? Au nom du ciel, qu’est-ce que cela veut dire ?
– Je te raconterai tout cela plus tard. Mais à présent, je t’en supplie, rassure la pauvre fille, que les hussards ont horriblement effrayée. »
Zourine fit à l’instant toutes ses dispositions. Il sortit lui-même dans la rue pour s’excuser auprès de Marie du malentendu involontaire qu’il avait commis, et donna l’ordre au maréchal des logis de la conduire au meilleur logement de la ville. Je restai à coucher chez lui.
Nous soupâmes ensemble, et dès que je me trouvai seul avec Zourine, je lui racontai toutes mes aventures. Il m’écouta avec une grande attention, et quand j’eus fini, hochant de la tête :
Réuni d’une façon si merveilleuse à la jeune fille qui me causait le matin même tant d’inquiétude douloureuse, je ne pouvais croire à mon bonheur, et je m’imaginais que tout ce qui m’était arrivé n’était qu’un songe. Marie regardait d’un air pensif, tantôt moi, tantôt la route, et ne semblait pas, elle non plus, avoir repris tous ses sens. Nous gardions le silence ; nos cœurs étaient trop fatigués d’émotions. Au bout de deux heures, nous étions déjà rendus dans la forteresse voisine, qui appartenait aussi à Pougatcheff. Nous y changeâmes de chevaux. À voir la célérité qu’on mettait à nous servir et le zèle empressé du Cosaque barbu dont Pougatcheff avait fait le commandant, je m’aperçus que grâce au babil du postillon qui nous avait amenés, on me prenait pour un favori du maître.
Quand nous nous remîmes en route, il commençait à faire sombre. Nous nous approchâmes d’une petite ville où, d’après le commandant barbu, devait se trouver un fort détachement qui était en marche pour se réunir à l’usurpateur. Les sentinelles nous arrêtèrent, et au cri de : « Qui vive ? » notre postillon répondit à haute voix : « Le compère du tsar, qui voyage avec sa bourgeoise. »
Aussitôt un détachement de hussards russes nous entoura avec d’affreux jurements.
« Sors, compère du diable, me dit un maréchal des logis aux épaisses moustaches. Nous allons te mener au bain, toi et ta bourgeoise. »
Je sortis de la kibitka et demandai qu’on me conduisît devant l’autorité. En voyant un officier, les soldats cessèrent leurs imprécations, et le maréchal des logis me conduisit chez le major. Savéliitch me suivait en grommelant : « En voilà un, de compère du tsar ! nous tombons du feu dans la flamme. Ô Seigneur Dieu, comment cela finira-t-il ? »
La kibitka venait au pas derrière nous.
En cinq minutes, nous arrivâmes à une maisonnette très éclairée. Le maréchal des logis me laissa sous bonne garde, et entra pour annoncer sa capture. Il revint à l’instant même et me déclara que Sa Haute Seigneurie n’avait pas le temps de me recevoir, qu’elle lui avait donné l’ordre de me conduire en prison et de lui amener ma bourgeoise.
« Qu’est-ce que cela veut dire ? m’écriai-je furieux ; est-il devenu fou ?
– Je ne puis le savoir, Votre Seigneurie, répondit le maréchal des logis ; seulement Sa Haute Seigneurie a ordonné de conduire Votre Seigneurie en prison, et d’amener Sa Seigneurie à Sa Haute Seigneurie, Votre Seigneurie. »
Je m’élançai sur le perron ! les sentinelles n’eurent pas le temps de me retenir, et j’entrai tout droit dans la chambre où six officiers de hussards jouaient au pharaon. Le major tenait la banque. Quelle fut ma surprise, lorsqu’après l’avoir un moment dévisagé je reconnus en lui cet Ivan Ivanovitch Zourine qui m’avait si bien dévalisé dans l’hôtellerie de Simbisrk !
« Est-ce possible ! m’écriai-je ; Ivan Ivanovitch, est-ce toi ?
– Ah bah ! Piôtr Andréitch ! Par quel hasard ? D’où viens-tu ? Bonjour, frère ; ne veux-tu pas ponter une carte ?
– Merci ; fais-moi plutôt donner un logement.
– Quel logement te faut-il ? Reste chez moi.
– Je ne le puis, je ne suis pas seul.
– Eh bien, amène aussi ton camarade.
– Je ne suis pas avec un camarade ; je suis… avec une dame.
– Avec une dame ! où l’as-tu pêchée, frère ? »
Après avoir dit ces mots, Zourine siffla d’un ton si railleur que tous les autres se mirent à rire, et je demeurai tout confus.
« Eh bien, continua Zourine, il n’y a rien à faire ; je te donnerai un logement. Mais c’est dommage ; nous aurions fait nos bamboches comme l’autre fois. Holà ! garçon, pourquoi n’amène-t-on pas la commère de Pougatcheff ? Est-ce qu’elle ferait l’obstinée ? Dis-lui qu’elle n’a rien à craindre, que le monsieur qui l’appelle est très bon, qu’il ne l’offensera d’aucune manière, et en même temps pousse-la ferme par les épaules.
– Que fais-tu là ? dis-je à Zourine ; de quelle commère de Pougatcheff parles-tu ? c’est la fille du défunt capitaine Mironoff. Je l’ai délivrée de sa captivité et je l’emmène maintenant à la maison de mon père, où je la laisserai.
– Comment ! c’est donc toi qu’on est venu m’annoncer tout à l’heure ? Au nom du ciel, qu’est-ce que cela veut dire ?
– Je te raconterai tout cela plus tard. Mais à présent, je t’en supplie, rassure la pauvre fille, que les hussards ont horriblement effrayée. »
Zourine fit à l’instant toutes ses dispositions. Il sortit lui-même dans la rue pour s’excuser auprès de Marie du malentendu involontaire qu’il avait commis, et donna l’ordre au maréchal des logis de la conduire au meilleur logement de la ville. Je restai à coucher chez lui.
Nous soupâmes ensemble, et dès que je me trouvai seul avec Zourine, je lui racontai toutes mes aventures. Il m’écouta avec une grande attention, et quand j’eus fini, hochant de la tête :