Author: | Léon Tolstoï | ISBN: | 1230000246673 |
Publisher: | NA | Publication: | June 15, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Léon Tolstoï |
ISBN: | 1230000246673 |
Publisher: | NA |
Publication: | June 15, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
Ce livre comporte une table des matières dynamique, a été relu et corrigé.
Extrait: Au Palais de Justice, pendant la suspension de l’audience consacrée à l’affaire Melvinsky, les juges et le procureur s’étaient réunis dans le cabinet d’Ivan Egorovitch Schebek, et la conversation vint à tomber sur la fameuse affaire Krassovsky. Fedor Vassilievitch s’animait en soutenant l’incompétence ; Ivan Egorovitch soutenait l’opinion contraire. Piotr Ivanovitch qui, depuis le commencement, n’avait pas pris part à la discussion, parcourait un journal qu’on venait d’apporter.
– Messieurs ! dit-il, Ivan Ilitch est mort.
– Pas possible !
– Voilà, lisez, dit-il à Fedor Vassilievitch en lui tendant le numéro du journal tout fraîchement sorti de l’imprimerie.
Il lut l’avis suivant encadré de noir :
« Prascovie Fedorovna Golovine a la douleur d’annoncer à ses parents et amis la mort de son époux bien-aimé Ivan Ilitch Golovine, conseiller à la Cour d’appel, décédé le 4 février 1882. La levée du corps aura lieu vendredi, à une heure de l’après-midi. »
Ivan Ilitch était le collègue des messieurs présents ; et tous l’aimaient. Il était malade depuis plusieurs semaines déjà, et l’on disait sa maladie incurable ; toutefois sa place lui était restée, mais on savait qu’à sa mort, Alexiev le remplacerait et que la place de ce dernier serait donnée à Vinnikov ou à Schtabel. Aussi, en apprenant la mort d’Ivan Ilitch, tous ceux qui étaient réunis là se demandèrent d’abord quelle influence aurait cette mort sur les permutations ou les nominations d’eux-mêmes et de leurs amis.
« Je suis à peu près certain d’avoir la place de Schtabel ou celle de Vinnikov », pensait Fedor Vassilievitch, « il y a longtemps qu’on me l’a promise, et cette promotion augmentera mon traitement de 800 roubles, sans compter les indemnités de bureau. »
« C’est le moment de faire nommer chez nous mon beau-frère de Kalouga », pensait Piotr Ivanovitch. « Ma femme en sera contente et ne pourra plus dire que je ne fais jamais rien pour les siens. »
– J’étais sûr qu’il ne s’en relèverait pas, – dit à haute voix Piotr Ivanovitch. – C’est bien dommage.
– Mais quelle était sa maladie, au juste ?
– Les médecins n’ont jamais su la définir, c’est-à-dire qu’ils ont bien émis leur opinion, mais chacun d’eux avait la sienne. Quand je l’ai vu pour la dernière fois, je croyais qu’il pourrait s’en tirer.
– Et moi qui ne suis pas allé le voir depuis les fêtes. J’en avais toujours l’intention.
– Avait-il de la fortune ?
– Je crois que sa femme avait quelque chose, mais très peu.
– Oui, il va falloir y aller. Ils demeurent si loin !
– C’est-à-dire loin de chez vous... De chez vous tout est loin.
– Il ne peut pas me pardonner de demeurer de l’autre côté de la rivière, dit Piotr Ivanovitch en regardant Schebek avec un sourire. Et il se mit à parler de l’éloignement de toutes choses dans les grandes villes. Ils retournèrent à l’audience.
Outre les réflexions que suggérait à chacun cette mort et les changements possibles de service qui allaient en résulter, le fait même de la mort d’un excellent camarade éveillait en eux, comme il arrive toujours, un sentiment de joie. Chacun pensait : Il est mort, et moi pas ! Quant aux intimes, ceux qu’on appelle des amis, ils pensaient involontairement qu’ils auraient à s’acquitter d’un ennuyeux devoir de convenance : aller d’abord au service funéraire, ensuite faire une visite de condoléance à la veuve.
Ce livre comporte une table des matières dynamique, a été relu et corrigé.
Extrait: Au Palais de Justice, pendant la suspension de l’audience consacrée à l’affaire Melvinsky, les juges et le procureur s’étaient réunis dans le cabinet d’Ivan Egorovitch Schebek, et la conversation vint à tomber sur la fameuse affaire Krassovsky. Fedor Vassilievitch s’animait en soutenant l’incompétence ; Ivan Egorovitch soutenait l’opinion contraire. Piotr Ivanovitch qui, depuis le commencement, n’avait pas pris part à la discussion, parcourait un journal qu’on venait d’apporter.
– Messieurs ! dit-il, Ivan Ilitch est mort.
– Pas possible !
– Voilà, lisez, dit-il à Fedor Vassilievitch en lui tendant le numéro du journal tout fraîchement sorti de l’imprimerie.
Il lut l’avis suivant encadré de noir :
« Prascovie Fedorovna Golovine a la douleur d’annoncer à ses parents et amis la mort de son époux bien-aimé Ivan Ilitch Golovine, conseiller à la Cour d’appel, décédé le 4 février 1882. La levée du corps aura lieu vendredi, à une heure de l’après-midi. »
Ivan Ilitch était le collègue des messieurs présents ; et tous l’aimaient. Il était malade depuis plusieurs semaines déjà, et l’on disait sa maladie incurable ; toutefois sa place lui était restée, mais on savait qu’à sa mort, Alexiev le remplacerait et que la place de ce dernier serait donnée à Vinnikov ou à Schtabel. Aussi, en apprenant la mort d’Ivan Ilitch, tous ceux qui étaient réunis là se demandèrent d’abord quelle influence aurait cette mort sur les permutations ou les nominations d’eux-mêmes et de leurs amis.
« Je suis à peu près certain d’avoir la place de Schtabel ou celle de Vinnikov », pensait Fedor Vassilievitch, « il y a longtemps qu’on me l’a promise, et cette promotion augmentera mon traitement de 800 roubles, sans compter les indemnités de bureau. »
« C’est le moment de faire nommer chez nous mon beau-frère de Kalouga », pensait Piotr Ivanovitch. « Ma femme en sera contente et ne pourra plus dire que je ne fais jamais rien pour les siens. »
– J’étais sûr qu’il ne s’en relèverait pas, – dit à haute voix Piotr Ivanovitch. – C’est bien dommage.
– Mais quelle était sa maladie, au juste ?
– Les médecins n’ont jamais su la définir, c’est-à-dire qu’ils ont bien émis leur opinion, mais chacun d’eux avait la sienne. Quand je l’ai vu pour la dernière fois, je croyais qu’il pourrait s’en tirer.
– Et moi qui ne suis pas allé le voir depuis les fêtes. J’en avais toujours l’intention.
– Avait-il de la fortune ?
– Je crois que sa femme avait quelque chose, mais très peu.
– Oui, il va falloir y aller. Ils demeurent si loin !
– C’est-à-dire loin de chez vous... De chez vous tout est loin.
– Il ne peut pas me pardonner de demeurer de l’autre côté de la rivière, dit Piotr Ivanovitch en regardant Schebek avec un sourire. Et il se mit à parler de l’éloignement de toutes choses dans les grandes villes. Ils retournèrent à l’audience.
Outre les réflexions que suggérait à chacun cette mort et les changements possibles de service qui allaient en résulter, le fait même de la mort d’un excellent camarade éveillait en eux, comme il arrive toujours, un sentiment de joie. Chacun pensait : Il est mort, et moi pas ! Quant aux intimes, ceux qu’on appelle des amis, ils pensaient involontairement qu’ils auraient à s’acquitter d’un ennuyeux devoir de convenance : aller d’abord au service funéraire, ensuite faire une visite de condoléance à la veuve.