Le Brave soldat ChvéÏk

Fiction & Literature, Classics
Cover of the book Le Brave soldat ChvéÏk by Jaroslav Hašek, GILBERT TEROL
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Author: Jaroslav Hašek ISBN: 1230002804514
Publisher: GILBERT TEROL Publication: November 6, 2018
Imprint: Language: French
Author: Jaroslav Hašek
ISBN: 1230002804514
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: November 6, 2018
Imprint:
Language: French

C’est du propre ! M’sieur le patron, prononça la logeuse de M. Chvéïk qui, après avoir été déclaré « complètement idiot » par la commission médicale, avait renoncé au service militaire et vivait maintenant en vendant des chiens bâtards, monstres immondes, pour lesquels il fabriquait des pedigrees de circonstance.

Dans ses loisirs, il soignait aussi ses rhumatismes, et, au moment où la logeuse l’interpella, il était justement en train de se frictionner les genoux au baume d’opodeldoch.

— Quoi donc ? fit-il.

— Eh ! bien, notre Ferdinand… il n’y en a plus !

— De quel Ferdinand parlez-vous, M’ame Muller ? questionna Chvéïk tout en continuant sa friction. J’en connais deux, moi. Il y a d’abord Ferdinand qui est garçon chez le droguiste Proucha et qui lui a bu une fois, par erreur, une bouteille de lotion pour les cheveux. Après, il y a Ferdinand Kokochka, celui qui ramasse les crottes de chiens. Si c’est l’un de ces deux-là, ce n’est pas grand dommage ni pour l’un, ni pour l’autre.

— Mais, M’sieur le patron, c’est l’archiduc Ferdinand, celui de Konopiste, le gros calotin, vous savez bien ?

— Jésus-Marie, n’en v’là d’une nouvelle ! s’écria Chvéïk. Et où est-ce que ça lui est arrivé, à l’archiduc, voyons ?

— À Saraïévo. Des coups de revolver. Il y était allé avec son archiduchesse en auto.

— Ça, par exemple ! Ben oui, en auto… Vous voyez ce qu‘c’est, M’ame Muller, on s’achète une auto et on ne pense pas à la fin… Un déplacement, ça peut toujours mal finir, même pour un seigneur comme l’archiduc… Et surtout à Saraïévo ! C’est en Bosnie, vous savez, M’ame Muller, et il n’y a que les Turcs qui sont capables de faire un sale coup pareil. On n’aurait pas dû leur prendre la Bosnie et l’Herzégovine, voilà tout. Ils se vengent à présent. Alors, notre bon archiduc est monté au ciel, M’ame Muller ? Ça n’a pas traîné, vrai ! Et a-t-il rendu son âme en tout repos, ou bien a-t-il beaucoup souffert à sa dernière heure ?

— Il a été fait en cinq sec, M’sieur le patron. Pensez donc, un revolver, ce n’est pas un jouet d’enfant. Il n’y a pas longtemps, chez nous, à Nusle, un monsieur a joué avec un revolver et il a tué toute sa famille, y compris le concierge qui est monté au troisième pour voir ce qui se passait.

— Il y a des revolvers, M’ame Muller, qui ne partent pas, même si vous poussez dessus à devenir fou. Et il y en a beaucoup, de ces systèmes-là. Seulement, vous comprenez, pour servir un archiduc on ne choisit pas de la camelote, et je parie aussi que l’homme qui a fait le coup s’est habillé plutôt chiquement. Un attentat comme ça, ce n’est pas un boulot ordinaire, c’est pas comme quand un braco tire sur un garde. Et puis, des archiducs, c’est des types difficiles, n’entre pas chez eux qui veut, n’est-ce pas ? On ne peut pas se présenter mal ficelé devant un grand seigneur comme ça, y a pas à tortiller. Il faut mettre un tuyau de poêle, sans ça vous êtes coffré, et, ma foi, allez donc apprendre les belles manières au poste !

— Il paraît qu’ils étaient plusieurs.

— Bien sûr, M’ame Muller, répondit Chvéïk en terminant le massage de ses genoux. Une supposition : vous voulez tuer l’archiduc ou l’empereur, eh ! bien, la première chose à faire, c’est d’aller demander conseil à quelqu’un. Autant de têtes, autant d’avis. Celui-ci conseille ci, l’autre ça, et alors « l’œuvre réussit », comme on chante dans notre hymne national. L’essentiel, c’est de choisir le bon moment lorsqu’un tel personnage passe devant vous. Tenez, vous devez vous rappeler encore ce M. Luccheni qui a percé à coups de tiers-point feu notre impératrice Élisabeth. Celui-là a fait encore mieux ; il se promenait tranquillement à côté d’elle et, tout d’un coup, ça y était. C’est qu’il ne faut pas trop se fier aux gens, M’ame Muller. Depuis ce temps-là les impératrices ne peuvent plus se promener. Et ce n’est pas fini, il y a encore bien d’autres personnages qui attendent leur tour. Vous verrez, M’ame Muller, qu’on aura même le tzar et la tzarine, et il se peut aussi, puisque la série est commencée par son oncle, que notre empereur y passe bientôt… Il a beaucoup d’ennemis, vous savez, notre vieux père, beaucoup plus encore que ce Ferdinand. C’est comme disait l’autre jour un monsieur au restaurant ! le temps viendra où tous ces monarques claqueront l’un après l’autre, et même le Procureur général n’y pourra rien. La douloureuse venue, ce monsieur dont je vous parle n’avait pas de quoi régler, et le propriétaire a dû appeler un agent. Le monsieur a accueilli cette décision en allongeant une gifle au patron et deux à l’agent et on l’a amené en panier à salade où vous savez. Vrai, M’ame Muller, il s’en passe des choses à c’te heure ! Et l’Autriche ne fait qu’y perdre. Quand je faisais mon temps, un fantassin a tué un capitaine. N’est-ce pas, le pauvre bougre charge son fusil et s’en va au bureau. Là, on l’envoie promener, mais il insiste qu’il veut parler au capitaine. Finalement, le capitaine sort du bureau et colle au copain quatre jours de consigne. À partir de ce moment, ça allait tout seul : le copain va chercher son fusil et envoie une balle directement dans le cœur du capitaine. Elle lui sort par le dos et fait encore des dégâts au bureau. Elle casse une bouteille d’encre et tache les paperasses.

— Et ce soldat, qu’est-ce qu’il est devenu ? questionna Mme Muller pendant que Chvéïk s’habillait.

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C’est du propre ! M’sieur le patron, prononça la logeuse de M. Chvéïk qui, après avoir été déclaré « complètement idiot » par la commission médicale, avait renoncé au service militaire et vivait maintenant en vendant des chiens bâtards, monstres immondes, pour lesquels il fabriquait des pedigrees de circonstance.

Dans ses loisirs, il soignait aussi ses rhumatismes, et, au moment où la logeuse l’interpella, il était justement en train de se frictionner les genoux au baume d’opodeldoch.

— Quoi donc ? fit-il.

— Eh ! bien, notre Ferdinand… il n’y en a plus !

— De quel Ferdinand parlez-vous, M’ame Muller ? questionna Chvéïk tout en continuant sa friction. J’en connais deux, moi. Il y a d’abord Ferdinand qui est garçon chez le droguiste Proucha et qui lui a bu une fois, par erreur, une bouteille de lotion pour les cheveux. Après, il y a Ferdinand Kokochka, celui qui ramasse les crottes de chiens. Si c’est l’un de ces deux-là, ce n’est pas grand dommage ni pour l’un, ni pour l’autre.

— Mais, M’sieur le patron, c’est l’archiduc Ferdinand, celui de Konopiste, le gros calotin, vous savez bien ?

— Jésus-Marie, n’en v’là d’une nouvelle ! s’écria Chvéïk. Et où est-ce que ça lui est arrivé, à l’archiduc, voyons ?

— À Saraïévo. Des coups de revolver. Il y était allé avec son archiduchesse en auto.

— Ça, par exemple ! Ben oui, en auto… Vous voyez ce qu‘c’est, M’ame Muller, on s’achète une auto et on ne pense pas à la fin… Un déplacement, ça peut toujours mal finir, même pour un seigneur comme l’archiduc… Et surtout à Saraïévo ! C’est en Bosnie, vous savez, M’ame Muller, et il n’y a que les Turcs qui sont capables de faire un sale coup pareil. On n’aurait pas dû leur prendre la Bosnie et l’Herzégovine, voilà tout. Ils se vengent à présent. Alors, notre bon archiduc est monté au ciel, M’ame Muller ? Ça n’a pas traîné, vrai ! Et a-t-il rendu son âme en tout repos, ou bien a-t-il beaucoup souffert à sa dernière heure ?

— Il a été fait en cinq sec, M’sieur le patron. Pensez donc, un revolver, ce n’est pas un jouet d’enfant. Il n’y a pas longtemps, chez nous, à Nusle, un monsieur a joué avec un revolver et il a tué toute sa famille, y compris le concierge qui est monté au troisième pour voir ce qui se passait.

— Il y a des revolvers, M’ame Muller, qui ne partent pas, même si vous poussez dessus à devenir fou. Et il y en a beaucoup, de ces systèmes-là. Seulement, vous comprenez, pour servir un archiduc on ne choisit pas de la camelote, et je parie aussi que l’homme qui a fait le coup s’est habillé plutôt chiquement. Un attentat comme ça, ce n’est pas un boulot ordinaire, c’est pas comme quand un braco tire sur un garde. Et puis, des archiducs, c’est des types difficiles, n’entre pas chez eux qui veut, n’est-ce pas ? On ne peut pas se présenter mal ficelé devant un grand seigneur comme ça, y a pas à tortiller. Il faut mettre un tuyau de poêle, sans ça vous êtes coffré, et, ma foi, allez donc apprendre les belles manières au poste !

— Il paraît qu’ils étaient plusieurs.

— Bien sûr, M’ame Muller, répondit Chvéïk en terminant le massage de ses genoux. Une supposition : vous voulez tuer l’archiduc ou l’empereur, eh ! bien, la première chose à faire, c’est d’aller demander conseil à quelqu’un. Autant de têtes, autant d’avis. Celui-ci conseille ci, l’autre ça, et alors « l’œuvre réussit », comme on chante dans notre hymne national. L’essentiel, c’est de choisir le bon moment lorsqu’un tel personnage passe devant vous. Tenez, vous devez vous rappeler encore ce M. Luccheni qui a percé à coups de tiers-point feu notre impératrice Élisabeth. Celui-là a fait encore mieux ; il se promenait tranquillement à côté d’elle et, tout d’un coup, ça y était. C’est qu’il ne faut pas trop se fier aux gens, M’ame Muller. Depuis ce temps-là les impératrices ne peuvent plus se promener. Et ce n’est pas fini, il y a encore bien d’autres personnages qui attendent leur tour. Vous verrez, M’ame Muller, qu’on aura même le tzar et la tzarine, et il se peut aussi, puisque la série est commencée par son oncle, que notre empereur y passe bientôt… Il a beaucoup d’ennemis, vous savez, notre vieux père, beaucoup plus encore que ce Ferdinand. C’est comme disait l’autre jour un monsieur au restaurant ! le temps viendra où tous ces monarques claqueront l’un après l’autre, et même le Procureur général n’y pourra rien. La douloureuse venue, ce monsieur dont je vous parle n’avait pas de quoi régler, et le propriétaire a dû appeler un agent. Le monsieur a accueilli cette décision en allongeant une gifle au patron et deux à l’agent et on l’a amené en panier à salade où vous savez. Vrai, M’ame Muller, il s’en passe des choses à c’te heure ! Et l’Autriche ne fait qu’y perdre. Quand je faisais mon temps, un fantassin a tué un capitaine. N’est-ce pas, le pauvre bougre charge son fusil et s’en va au bureau. Là, on l’envoie promener, mais il insiste qu’il veut parler au capitaine. Finalement, le capitaine sort du bureau et colle au copain quatre jours de consigne. À partir de ce moment, ça allait tout seul : le copain va chercher son fusil et envoie une balle directement dans le cœur du capitaine. Elle lui sort par le dos et fait encore des dégâts au bureau. Elle casse une bouteille d’encre et tache les paperasses.

— Et ce soldat, qu’est-ce qu’il est devenu ? questionna Mme Muller pendant que Chvéïk s’habillait.

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