Le Capitaine Burle

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Le Capitaine Burle by EMILE ZOLA, GILBERT TEROL
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Author: EMILE ZOLA ISBN: 1230002654379
Publisher: GILBERT TEROL Publication: October 10, 2018
Imprint: Language: French
Author: EMILE ZOLA
ISBN: 1230002654379
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: October 10, 2018
Imprint:
Language: French

La petite ville de P… est bâtie sur une colline. Au pied des anciens remparts, coule un ruisseau, encaissé et très profond, le Chanteclair, qu’on nomme sans doute ainsi pour le bruit cristallin de ses eaux limpides. Lorsqu’on arrive par la route de Versailles, on traverse le Chanteclair, à la porte sud de la ville, sur un pont de pierre d’une seule arche, dont les larges parapets, bas et arrondis, servent de bancs à tous les vieillards du faubourg. En face, monte la rue Beau-Soleil, au bout de laquelle se trouve une place silencieuse, la place des Quatre-Femmes, pavée de grosses pierres, envahie par une herbe drue, qui la verdit comme un pré. Les maisons dorment. Toutes les demi-heures, le pas traînard d’un passant fait aboyer un chien, derrière la porte d’une écurie ; et l’émotion de ce coin perdu est encore le passage régulier, deux fois par jour, des officiers qui se rendent à leur pension, une table d’hôte de la rue Beau-Soleil.

C’était dans la maison d’un jardinier, à gauche, que demeurait Julien Michon. Le jardinier lui avait loué une grande chambre, au premier étage ; et, comme cet homme habitait l’autre façade de la maison, sur la rue Catherine, où était son jardin, Julien vivait là tranquille, ayant son escalier et sa porte, s’enfermant déjà, à vingt-cinq ans, dans les manies d’un petit bourgeois retiré.

Le jeune homme avait perdu son père et sa mère très jeune. Autrefois, les Michon étaient bourreliers aux Alluets, près de Mantes. À leur mort, un oncle avait envoyé l’enfant en pension. Puis, l’oncle lui-même était parti, et Julien, depuis cinq ans, remplissait à la poste de P… un petit emploi d’expéditionnaire. Il touchait quinze cents francs, sans espoir d’en gagner jamais davantage. D’ailleurs, il faisait des économies, il n’imaginait point une condition plus large ni plus heureuse que la sienne.

Grand, fort, osseux, Julien avait de grosses mains qui le gênaient. Il se sentait laid, la tête carrée et comme laissée à l’état d’ébauche, sous le coup de pouce d’un sculpteur trop rude ; et cela le rendait timide, surtout quand il y avait des demoiselles. Une blanchisseuse lui ayant dit en riant qu’il n’était pas si vilain, il en avait gardé un grand trouble. Dehors, les bras ballants, le dos voûté, la tête basse, il faisait de longues enjambées, pour rentrer plus vite dans son ombre. Sa gaucherie lui donnait un effarouchement continu, un besoin maladif de médiocrité et d’obscurité. Il semblait s’être résigné à vieillir de la sorte, sans une camaraderie, sans une amourette, avec ses goûts de moine cloîtré.

Et cette vie ne pesait point à ses larges épaules. Julien, au fond, était très heureux. Il avait une âme calme et transparente. Son existence quotidienne, avec les règles fixes qui la menaient, était faite de sérénité. Le matin, il se rendait à son bureau, recommençait paisiblement la besogne de la veille ; puis, il déjeunait d’un petit pain, et reprenait ses écritures ; puis, il dînait, il se couchait, il dormait. Le lendemain, le soleil ramenait la même journée, cela pendant des semaines, des mois. Ce lent défilé finissait par prendre une musique pleine de douceur, le berçait du rêve de ces bœufs qui tirent la charrue et qui ruminent le soir, dans de la paille fraîche. Il buvait tout le charme de la monotonie. Son plaisir était parfois, après son dîner, de descendre la rue Beau-Soleil et de s’asseoir sur le pont, pour attendre neuf heures. Il laissait pendre ses jambes au-dessus de l’eau, il regardait passer continuellement sous lui le Chanteclair, avec le bruit pur de ses flots d’argent. Des saules, le long des deux rives, penchaient leurs têtes pâles, enfonçaient leurs images. Au ciel, tombait la cendre fine du crépuscule. Et il restait, dans ce grand calme, charmé, songeant confusément que le Chanteclair devait être heureux comme lui, à rouler toujours sur les mêmes herbes, au milieu d’un si beau silence. Quand les étoiles brillaient, il rentrait se coucher, avec de la fraîcheur plein la poitrine.

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La petite ville de P… est bâtie sur une colline. Au pied des anciens remparts, coule un ruisseau, encaissé et très profond, le Chanteclair, qu’on nomme sans doute ainsi pour le bruit cristallin de ses eaux limpides. Lorsqu’on arrive par la route de Versailles, on traverse le Chanteclair, à la porte sud de la ville, sur un pont de pierre d’une seule arche, dont les larges parapets, bas et arrondis, servent de bancs à tous les vieillards du faubourg. En face, monte la rue Beau-Soleil, au bout de laquelle se trouve une place silencieuse, la place des Quatre-Femmes, pavée de grosses pierres, envahie par une herbe drue, qui la verdit comme un pré. Les maisons dorment. Toutes les demi-heures, le pas traînard d’un passant fait aboyer un chien, derrière la porte d’une écurie ; et l’émotion de ce coin perdu est encore le passage régulier, deux fois par jour, des officiers qui se rendent à leur pension, une table d’hôte de la rue Beau-Soleil.

C’était dans la maison d’un jardinier, à gauche, que demeurait Julien Michon. Le jardinier lui avait loué une grande chambre, au premier étage ; et, comme cet homme habitait l’autre façade de la maison, sur la rue Catherine, où était son jardin, Julien vivait là tranquille, ayant son escalier et sa porte, s’enfermant déjà, à vingt-cinq ans, dans les manies d’un petit bourgeois retiré.

Le jeune homme avait perdu son père et sa mère très jeune. Autrefois, les Michon étaient bourreliers aux Alluets, près de Mantes. À leur mort, un oncle avait envoyé l’enfant en pension. Puis, l’oncle lui-même était parti, et Julien, depuis cinq ans, remplissait à la poste de P… un petit emploi d’expéditionnaire. Il touchait quinze cents francs, sans espoir d’en gagner jamais davantage. D’ailleurs, il faisait des économies, il n’imaginait point une condition plus large ni plus heureuse que la sienne.

Grand, fort, osseux, Julien avait de grosses mains qui le gênaient. Il se sentait laid, la tête carrée et comme laissée à l’état d’ébauche, sous le coup de pouce d’un sculpteur trop rude ; et cela le rendait timide, surtout quand il y avait des demoiselles. Une blanchisseuse lui ayant dit en riant qu’il n’était pas si vilain, il en avait gardé un grand trouble. Dehors, les bras ballants, le dos voûté, la tête basse, il faisait de longues enjambées, pour rentrer plus vite dans son ombre. Sa gaucherie lui donnait un effarouchement continu, un besoin maladif de médiocrité et d’obscurité. Il semblait s’être résigné à vieillir de la sorte, sans une camaraderie, sans une amourette, avec ses goûts de moine cloîtré.

Et cette vie ne pesait point à ses larges épaules. Julien, au fond, était très heureux. Il avait une âme calme et transparente. Son existence quotidienne, avec les règles fixes qui la menaient, était faite de sérénité. Le matin, il se rendait à son bureau, recommençait paisiblement la besogne de la veille ; puis, il déjeunait d’un petit pain, et reprenait ses écritures ; puis, il dînait, il se couchait, il dormait. Le lendemain, le soleil ramenait la même journée, cela pendant des semaines, des mois. Ce lent défilé finissait par prendre une musique pleine de douceur, le berçait du rêve de ces bœufs qui tirent la charrue et qui ruminent le soir, dans de la paille fraîche. Il buvait tout le charme de la monotonie. Son plaisir était parfois, après son dîner, de descendre la rue Beau-Soleil et de s’asseoir sur le pont, pour attendre neuf heures. Il laissait pendre ses jambes au-dessus de l’eau, il regardait passer continuellement sous lui le Chanteclair, avec le bruit pur de ses flots d’argent. Des saules, le long des deux rives, penchaient leurs têtes pâles, enfonçaient leurs images. Au ciel, tombait la cendre fine du crépuscule. Et il restait, dans ce grand calme, charmé, songeant confusément que le Chanteclair devait être heureux comme lui, à rouler toujours sur les mêmes herbes, au milieu d’un si beau silence. Quand les étoiles brillaient, il rentrait se coucher, avec de la fraîcheur plein la poitrine.

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