Histoire socialiste de la France contemporaine Tome II

Nonfiction, History, France
Cover of the book Histoire socialiste de la France contemporaine Tome II by JEAN JAURÈS, GILBERT TEROL
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Author: JEAN JAURÈS ISBN: 1230001726596
Publisher: GILBERT TEROL Publication: June 21, 2017
Imprint: Language: French
Author: JEAN JAURÈS
ISBN: 1230001726596
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: June 21, 2017
Imprint:
Language: French

Présentation de l’éditeur :

Ce livre comporte une table des matières dynamique, a été relue et corrigé.

Il est parfaitement mis en page pour une lecture sur liseuse électronique.

Extrait :

Les opérations électorales pour la nomination de l’Assemblée législative avaient commencé avant le départ du roi. Elles furent suspendues pendant quelques semaines pendant la crise, puis elles s’achevèrent sans trouble. Comment le problème apparaissait-il alors aux électeurs et aux élus ? Et comment la Révolution, désencombrée, pour ainsi dire, de la majestueuse puissance de la Constituante, allait-elle se développer ? Au risque de ralentir la marche dramatique des événements, nous devons nous demander d’abord quel était l’état d’esprit exact des grandes masses paysannes, quels vœux, quels griefs formulèrent les cultivateurs dans les assemblées primaires ou dans les réunions d’électeurs, quel mandat ils donnèrent à leurs élus. Mais il n’y eut pas de cahiers, il n’y eut même pas, à proprement parler, de programmes dans les élections de 1791, et nous ne pouvons recueillir, comme en 1789, la pensée authentique de la France paysanne. Pourtant, il est certain que les cultivateurs s’étaient entretenus souvent avec les nouveaux élus des questions qui intéressaient la vie rurale.

Les nouveaux députés étaient, en grand nombre, membres des administrations révolutionnaires, municipalités, districts, départements ; beaucoup étaient, en même temps, des hommes de loi. À tous ces titres, ils étaient très avertis des difficultés qu’avait pu rencontrer l’application des lois révolutionnaires et aussi des lacunes, des vices qui, selon les paysans, contrariaient trop souvent l’effet espéré de ces lois. Notamment à propos de l’abolition du régime féodal, si solennellement proclamée par les décrets du 4 août 1789 et si imparfaitement réalisée par le décret du 15 mars 1790, la déception était vive dans les campagnes, et il est hors de doute que dans les entretiens multiples, quotidiens des administrateurs révolutionnaires avec les paysans, la question fut souvent débattue et, à coup sûr, des engagements furent pris par les nouveaux élus. La preuve décisive, c’est que, dès le mois d’avril 1792, au moment même où elle touchait à la terrible crise de la guerre, la Législative entend un rapport de son Comité des droits féodaux, qui propose, dans l’intérêt des paysans, une transformation profonde de la législation sur la matière.

Comment se posait la question ? J’essaierai d’y répondre en m’aidant du livre de M. Doniol, surtout du beau travail de M. Sagnac sur « la législation civile de la Révolution française », et au moyen des documents législatifs soigneusement interrogés.

L’Assemblée, en août, avait proclamé que tous les droits de servitudepersonnelle seraient abolis sans indemnité, et que les autres pouvaient être rachetés. J’ai signalé tout de suite, et dès le 4 août, la difficulté immense que la clause du rachat allait opposer à la libération paysanne. Mais l’Assemblée elle-même, en mars 1790, aggrava doublement la difficulté de cette libération. D’abord il y avait un grand nombre de servitudes personnelles qui avaient pris la forme d’une redevance pécuniaire. Les nobles, les seigneurs avaient affranchi des serfs, ou ils les avaient dégagés de certaines obligations personnelles. Mais ils avaient exigé comme prix de cet affranchissement, soit des redevances foncières annuelles, soit des redevances éventuelles, comme celles des lods et ventes, qui étaient dues par le censitaire à chaque mutation du domaine. Du moment que la servitude personnelle était abolie sans indemnité, il semblait que les redevances, qui étaient comme le prolongement et la forme nouvelle de cette servitude, devaient être aussi abolies sans indemnité.

L’Assemblée décida autrement : elle les fit entrer dans la catégorie des droits rachetables. En second lieu, l’Assemblée rendit le rachat presque impossible aux paysans en faisant de toutes les charges dont il était admis à se racheter un bloc indivisible. Sans doute, l’Assemblée paraissait libérer les paysans en les autorisant à racheter toutes les rentes foncières, et même à racheter les baux indéfinis, comme le bail à comptant des régions de la Loire-Inférieure, comme le bail de locatairerie perpétuelle usité en Provence et en Languedoc. Mais le paysan ne pouvait racheter les rentes foncières, il ne pouvait racheter les charges annuelles qui pesaient sur lui, comme le cens, le champart, sans racheter, en même temps, les droits éventuels comme les droits de lods et ventes.

Du coup, toute l’opération du rachat était comme arrêtée. D’abord, il était malaisé aux paysans de trouver les sommes nécessaires pour racheter à la fois tous ces droits. De plus, si le paysan pouvait à la rigueur se résigner à un sacrifice immédiat pour se délivrer d’une charge immédiate, annuellement ressentie, il était difficile d’obtenir de lui qu’il avançât une somme assez forte pour racheter un droit comme celui des lods et ventes dont l’application n’était qu’éventuelle et pouvait être lointaine. C’était d’autant plus difficile que le paysan ayant vu tomber dans le grand ébranlement révolutionnaire beaucoup de puissances anciennes et de droits anciens, pensait naturellement que d’autres obligations pouvaient se rompre, que le droit de lods et ventes pouvait être à son tour emporté par la tourmente, et qu’il y aurait duperie pour lui à racheter d’avance un droit qui, bientôt peut-être, serait aboli sans indemnité.

Évidemment l’Assemblée, très respectueuse de la propriété sous toutes ses formes, même féodale, avait craint, si les paysans pouvaient racheter d’abord les charges annuelles sans racheter les charges éventuelles, qu’ils prissent un tel sentiment de la pleine propriété que lorsque surviendrait le droit de lods et ventes il ne pût être perçu. Et ainsi elle ordonna le rachat total indivisible, c’est-à-dire l’impossibilité du rachat, c’est-à-dire le maintien, en fait, du régime féodal. Et une des parties les plus importantes, les plus intéressantes de l’action révolutionnaire pendant cinq années sera précisément l’immense effort du paysan pour obtenir l’application du principe général proclamé le 4 août.

Cette action révolutionnaire continue, cette pression des paysans sur la bourgeoisie, les grands historiens de la Révolution ne semblent pas y avoir pris garde. Michelet, qui a pourtant le sentiment si vif des intérêts économiques, n’a pas vu cette lutte profonde. Louis Blanc ne paraît même pas la soupçonner. Il semble, à le lire, que dans la nuit du 4 août jaillit soudain une colonne de lumière et que la Révolution ressemblât à une révélation. Quant aux conséquences du décret du 4 août, aux résistances qu’il rencontra, aux luttes que durent soutenir les paysans, il les ignore. Les historiens ont ainsi faussé pour le peuple l’aspect et le sens de la Révolution. Il a semblé à les lire qu’une société nouvelle avait jailli d’un jet, comme une source bouillonnante. Or, même dans une ardente période révolutionnaire, de 1789 à 1795, même après l’abolition en principe du régime féodal, c’est pièce à pièce seulement, et sous des efforts répétés, que tomba la propriété féodale.

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Présentation de l’éditeur :

Ce livre comporte une table des matières dynamique, a été relue et corrigé.

Il est parfaitement mis en page pour une lecture sur liseuse électronique.

Extrait :

Les opérations électorales pour la nomination de l’Assemblée législative avaient commencé avant le départ du roi. Elles furent suspendues pendant quelques semaines pendant la crise, puis elles s’achevèrent sans trouble. Comment le problème apparaissait-il alors aux électeurs et aux élus ? Et comment la Révolution, désencombrée, pour ainsi dire, de la majestueuse puissance de la Constituante, allait-elle se développer ? Au risque de ralentir la marche dramatique des événements, nous devons nous demander d’abord quel était l’état d’esprit exact des grandes masses paysannes, quels vœux, quels griefs formulèrent les cultivateurs dans les assemblées primaires ou dans les réunions d’électeurs, quel mandat ils donnèrent à leurs élus. Mais il n’y eut pas de cahiers, il n’y eut même pas, à proprement parler, de programmes dans les élections de 1791, et nous ne pouvons recueillir, comme en 1789, la pensée authentique de la France paysanne. Pourtant, il est certain que les cultivateurs s’étaient entretenus souvent avec les nouveaux élus des questions qui intéressaient la vie rurale.

Les nouveaux députés étaient, en grand nombre, membres des administrations révolutionnaires, municipalités, districts, départements ; beaucoup étaient, en même temps, des hommes de loi. À tous ces titres, ils étaient très avertis des difficultés qu’avait pu rencontrer l’application des lois révolutionnaires et aussi des lacunes, des vices qui, selon les paysans, contrariaient trop souvent l’effet espéré de ces lois. Notamment à propos de l’abolition du régime féodal, si solennellement proclamée par les décrets du 4 août 1789 et si imparfaitement réalisée par le décret du 15 mars 1790, la déception était vive dans les campagnes, et il est hors de doute que dans les entretiens multiples, quotidiens des administrateurs révolutionnaires avec les paysans, la question fut souvent débattue et, à coup sûr, des engagements furent pris par les nouveaux élus. La preuve décisive, c’est que, dès le mois d’avril 1792, au moment même où elle touchait à la terrible crise de la guerre, la Législative entend un rapport de son Comité des droits féodaux, qui propose, dans l’intérêt des paysans, une transformation profonde de la législation sur la matière.

Comment se posait la question ? J’essaierai d’y répondre en m’aidant du livre de M. Doniol, surtout du beau travail de M. Sagnac sur « la législation civile de la Révolution française », et au moyen des documents législatifs soigneusement interrogés.

L’Assemblée, en août, avait proclamé que tous les droits de servitudepersonnelle seraient abolis sans indemnité, et que les autres pouvaient être rachetés. J’ai signalé tout de suite, et dès le 4 août, la difficulté immense que la clause du rachat allait opposer à la libération paysanne. Mais l’Assemblée elle-même, en mars 1790, aggrava doublement la difficulté de cette libération. D’abord il y avait un grand nombre de servitudes personnelles qui avaient pris la forme d’une redevance pécuniaire. Les nobles, les seigneurs avaient affranchi des serfs, ou ils les avaient dégagés de certaines obligations personnelles. Mais ils avaient exigé comme prix de cet affranchissement, soit des redevances foncières annuelles, soit des redevances éventuelles, comme celles des lods et ventes, qui étaient dues par le censitaire à chaque mutation du domaine. Du moment que la servitude personnelle était abolie sans indemnité, il semblait que les redevances, qui étaient comme le prolongement et la forme nouvelle de cette servitude, devaient être aussi abolies sans indemnité.

L’Assemblée décida autrement : elle les fit entrer dans la catégorie des droits rachetables. En second lieu, l’Assemblée rendit le rachat presque impossible aux paysans en faisant de toutes les charges dont il était admis à se racheter un bloc indivisible. Sans doute, l’Assemblée paraissait libérer les paysans en les autorisant à racheter toutes les rentes foncières, et même à racheter les baux indéfinis, comme le bail à comptant des régions de la Loire-Inférieure, comme le bail de locatairerie perpétuelle usité en Provence et en Languedoc. Mais le paysan ne pouvait racheter les rentes foncières, il ne pouvait racheter les charges annuelles qui pesaient sur lui, comme le cens, le champart, sans racheter, en même temps, les droits éventuels comme les droits de lods et ventes.

Du coup, toute l’opération du rachat était comme arrêtée. D’abord, il était malaisé aux paysans de trouver les sommes nécessaires pour racheter à la fois tous ces droits. De plus, si le paysan pouvait à la rigueur se résigner à un sacrifice immédiat pour se délivrer d’une charge immédiate, annuellement ressentie, il était difficile d’obtenir de lui qu’il avançât une somme assez forte pour racheter un droit comme celui des lods et ventes dont l’application n’était qu’éventuelle et pouvait être lointaine. C’était d’autant plus difficile que le paysan ayant vu tomber dans le grand ébranlement révolutionnaire beaucoup de puissances anciennes et de droits anciens, pensait naturellement que d’autres obligations pouvaient se rompre, que le droit de lods et ventes pouvait être à son tour emporté par la tourmente, et qu’il y aurait duperie pour lui à racheter d’avance un droit qui, bientôt peut-être, serait aboli sans indemnité.

Évidemment l’Assemblée, très respectueuse de la propriété sous toutes ses formes, même féodale, avait craint, si les paysans pouvaient racheter d’abord les charges annuelles sans racheter les charges éventuelles, qu’ils prissent un tel sentiment de la pleine propriété que lorsque surviendrait le droit de lods et ventes il ne pût être perçu. Et ainsi elle ordonna le rachat total indivisible, c’est-à-dire l’impossibilité du rachat, c’est-à-dire le maintien, en fait, du régime féodal. Et une des parties les plus importantes, les plus intéressantes de l’action révolutionnaire pendant cinq années sera précisément l’immense effort du paysan pour obtenir l’application du principe général proclamé le 4 août.

Cette action révolutionnaire continue, cette pression des paysans sur la bourgeoisie, les grands historiens de la Révolution ne semblent pas y avoir pris garde. Michelet, qui a pourtant le sentiment si vif des intérêts économiques, n’a pas vu cette lutte profonde. Louis Blanc ne paraît même pas la soupçonner. Il semble, à le lire, que dans la nuit du 4 août jaillit soudain une colonne de lumière et que la Révolution ressemblât à une révélation. Quant aux conséquences du décret du 4 août, aux résistances qu’il rencontra, aux luttes que durent soutenir les paysans, il les ignore. Les historiens ont ainsi faussé pour le peuple l’aspect et le sens de la Révolution. Il a semblé à les lire qu’une société nouvelle avait jailli d’un jet, comme une source bouillonnante. Or, même dans une ardente période révolutionnaire, de 1789 à 1795, même après l’abolition en principe du régime féodal, c’est pièce à pièce seulement, et sous des efforts répétés, que tomba la propriété féodale.

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