Author: | LEON PAMPHILE LE MAY | ISBN: | 1230002771373 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | November 1, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | LEON PAMPHILE LE MAY |
ISBN: | 1230002771373 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | November 1, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
Octobre est arrivé. Le soleil brille encore, mais son éclat est doux, son ardeur, moins vive et moins desséchante qu’aux jours de l’été. Un calme délicieux règne dans la nature. La saison des aimables folies et des amours brûlantes est passée, et la vieillesse s’avance avec une couronne de sérénité sur le front. Les arbres se sont drapés dans leurs feuillages aux mille teintes ; et les vapeurs du matin s’élèvent vers le soleil, comme s’élèvent vers Dieu les parfums que l’encensoir balance devant l’autel. Les pinsons ne chantent plus dans les buissons, car ils ont déserté leurs nids de foin que la neige emplira bientôt de ses blancs flocons. Le duvet glacé des frimas remplacera le chaud duvet de l’oiseau. Dans le calme, on entend retentir, parfois, le fléau laborieux qui broie les épis couchés à quatre rangs sur l’aire de la grange. Les charroyeurs transportent dans leurs charrettes aux larges roues, par les chemins pleins d’ornières, le bois de corde destiné à la ville, et leurs cris grossiers se mêlent aux claquements des fouets. Les troupeaux bondissent dans les chaumes ; la charrue déchire le sein de la prairie et laisse derrière elle un sillon noir. Au bord des ruisseaux, sous les grands arbres, dans les enfoncements mystérieux, retentissent des coups rapides et des éclats de rires. Ce sont les coups de la braie et les rires des jeunes filles. Ceux qui n’ont pas pénétré dans l’endroit solitaire et poétique que l’habitant choisit pour asseoir ses braies et faire sécher le lin, ne savent point quel charme et quelle gaieté remplissent ce lieu.
Le 19 octobre 1849, les frappements joyeux de la braie se répercutaient de toutes parts. Mais les brayeurs les plus animés et la braierie la plus en renom se trouvaient sur le bord du ruisseau de Gagné. Ce ruisseau coule, en arrivant au fleuve, entre deux côtes élevées richement plantées d’ormes, de noyers et d’érables. Un pont solide en réunit les deux bords ; et le chemin qui descend à ce pont tournoie, d’un côté, autour du cap de tuf, comme une guirlande autour d’une colonne. De l’autre bord, la côte décrit un demi-cercle et le ruisseau fait une courbe. Du haut de cette côte on dirait un vaste entonnoir où descendent les arbres de toutes espèces. C’est au fond de ce ravin ombragé, au bord des ondes, sur un plateau tapissé de feuilles et de mousse que l’on a établi la braierie où je vais faire descendre mes bien-aimés lecteurs. N’ayez pas peur de me suivre, mesdames dans ces lieux écartés, nous n’y serons point seuls. Le rayon du soleil y joue avec les rameaux sans feuilles, le flot y badine avec le roseau pliant, le vent y dort d’un sommeil léger au fond de l’alcôve, et les échos bavards n’entendent point les aveux que l’on fait tous bas. Au reste, si vous n’êtes pas encore rassurées, écoutez ! vous allez entendre des voix fraîches de jeunes filles, des pétillements, des murmures, des chants et des bruits de mille sortes. Attention ! gare à vous ! Laissez passer cette charrette remplie de bottes de lin. Ah ! les ouvriers vont avoir de l’ouvrage. Voyez-vous cette fillette qui fait une moue charmante en regardant arriver le voyage de lin, et qui dit au charroyeur :
— M. Asselin, faut-il brayer tout cela avant la veillée ?
C’est Noémie Bélanger, la perle du canton.
Asselin lui répond :
— Vous êtes dix, et il n’y a pas de besogne pour six ; allons ! frappez fort et dru ! vous aurez du plaisir ce soir : les violons sont invités.
— À la bonne heure ! repart un garçon jovial qui fait un pas en cadence, et bat les ailes de pigeon sur le feuillage sec.
Nous sommes avec les jeunes gens qu’Asselin a invités à brayer. C’est la corvée de madame Eusèbe. Il serait ennuyeux de s’en aller seul, pendant de longs jours, écraser, sous l’instrument fatigant, le lin desséché ; on convie ses amis, ses voisins, et l’on va par bandes joviales. Chacun à son tour fait sa corvée. Quand le lin s’est transformé en une filasse blonde et soyeuse, on paie les brayeurs par une veillée de jeux et de danse.
Asselin venait d’apporter le reste du lin.
— Plus tôt vous aurez fini, mieux ce sera pour vous, dit-il, ce sont les dernières bottes et elles sont petites.
Un immense hourra monta des bords du ruisseau, et les jeunes gens se courbèrent avec une nouvelle ardeur sur les braies retentissantes. Asselin souriait. Il y avait dix travailleurs sans compter madame Eusèbe qui faisait sécher le lin : cinq garçons et cinq filles. Édouard Dufresne qui secoue ses poignées avec une vigueur et une adresse admirables, tout en lançant des œillades à sa voisine ; Philippe Bégin et Xavier Déry qui ripostent sur tous et sur tout, Léon Dugal et Anthime Noël qui travaillent en conscience pendant une heure, et pendant l’heure suivante se mettent en grève, et turlupinent les filles ambitieuses qui luttent de vitesse et d’habileté ; Arthémise Boisvert, dont le renom comme brayeuse est connu dans toute la paroisse ; Clémentine Pérusse, grosse blonde souvent rêveuse, dont le regard trouble Philippe Bégin ; Sophie Auger et Sara Filteau, deux amies inséparables à la veille de se séparer, parce qu’elles ont le même amour ; puis Noémie Bélanger, active et rieuse, qui parle, rit et chante sans perdre un coup de braie. Un peu à l’écart, madame Eusèbe surveille la chaufferie. Un échafaud composé de perches de saule placées horizontalement, et les bouts appuyés sur quatre bâtons solidement fixés en terre, se trouve au fond du plateau, au pied de la côte. Il est à l’abri de tous les vents.
Octobre est arrivé. Le soleil brille encore, mais son éclat est doux, son ardeur, moins vive et moins desséchante qu’aux jours de l’été. Un calme délicieux règne dans la nature. La saison des aimables folies et des amours brûlantes est passée, et la vieillesse s’avance avec une couronne de sérénité sur le front. Les arbres se sont drapés dans leurs feuillages aux mille teintes ; et les vapeurs du matin s’élèvent vers le soleil, comme s’élèvent vers Dieu les parfums que l’encensoir balance devant l’autel. Les pinsons ne chantent plus dans les buissons, car ils ont déserté leurs nids de foin que la neige emplira bientôt de ses blancs flocons. Le duvet glacé des frimas remplacera le chaud duvet de l’oiseau. Dans le calme, on entend retentir, parfois, le fléau laborieux qui broie les épis couchés à quatre rangs sur l’aire de la grange. Les charroyeurs transportent dans leurs charrettes aux larges roues, par les chemins pleins d’ornières, le bois de corde destiné à la ville, et leurs cris grossiers se mêlent aux claquements des fouets. Les troupeaux bondissent dans les chaumes ; la charrue déchire le sein de la prairie et laisse derrière elle un sillon noir. Au bord des ruisseaux, sous les grands arbres, dans les enfoncements mystérieux, retentissent des coups rapides et des éclats de rires. Ce sont les coups de la braie et les rires des jeunes filles. Ceux qui n’ont pas pénétré dans l’endroit solitaire et poétique que l’habitant choisit pour asseoir ses braies et faire sécher le lin, ne savent point quel charme et quelle gaieté remplissent ce lieu.
Le 19 octobre 1849, les frappements joyeux de la braie se répercutaient de toutes parts. Mais les brayeurs les plus animés et la braierie la plus en renom se trouvaient sur le bord du ruisseau de Gagné. Ce ruisseau coule, en arrivant au fleuve, entre deux côtes élevées richement plantées d’ormes, de noyers et d’érables. Un pont solide en réunit les deux bords ; et le chemin qui descend à ce pont tournoie, d’un côté, autour du cap de tuf, comme une guirlande autour d’une colonne. De l’autre bord, la côte décrit un demi-cercle et le ruisseau fait une courbe. Du haut de cette côte on dirait un vaste entonnoir où descendent les arbres de toutes espèces. C’est au fond de ce ravin ombragé, au bord des ondes, sur un plateau tapissé de feuilles et de mousse que l’on a établi la braierie où je vais faire descendre mes bien-aimés lecteurs. N’ayez pas peur de me suivre, mesdames dans ces lieux écartés, nous n’y serons point seuls. Le rayon du soleil y joue avec les rameaux sans feuilles, le flot y badine avec le roseau pliant, le vent y dort d’un sommeil léger au fond de l’alcôve, et les échos bavards n’entendent point les aveux que l’on fait tous bas. Au reste, si vous n’êtes pas encore rassurées, écoutez ! vous allez entendre des voix fraîches de jeunes filles, des pétillements, des murmures, des chants et des bruits de mille sortes. Attention ! gare à vous ! Laissez passer cette charrette remplie de bottes de lin. Ah ! les ouvriers vont avoir de l’ouvrage. Voyez-vous cette fillette qui fait une moue charmante en regardant arriver le voyage de lin, et qui dit au charroyeur :
— M. Asselin, faut-il brayer tout cela avant la veillée ?
C’est Noémie Bélanger, la perle du canton.
Asselin lui répond :
— Vous êtes dix, et il n’y a pas de besogne pour six ; allons ! frappez fort et dru ! vous aurez du plaisir ce soir : les violons sont invités.
— À la bonne heure ! repart un garçon jovial qui fait un pas en cadence, et bat les ailes de pigeon sur le feuillage sec.
Nous sommes avec les jeunes gens qu’Asselin a invités à brayer. C’est la corvée de madame Eusèbe. Il serait ennuyeux de s’en aller seul, pendant de longs jours, écraser, sous l’instrument fatigant, le lin desséché ; on convie ses amis, ses voisins, et l’on va par bandes joviales. Chacun à son tour fait sa corvée. Quand le lin s’est transformé en une filasse blonde et soyeuse, on paie les brayeurs par une veillée de jeux et de danse.
Asselin venait d’apporter le reste du lin.
— Plus tôt vous aurez fini, mieux ce sera pour vous, dit-il, ce sont les dernières bottes et elles sont petites.
Un immense hourra monta des bords du ruisseau, et les jeunes gens se courbèrent avec une nouvelle ardeur sur les braies retentissantes. Asselin souriait. Il y avait dix travailleurs sans compter madame Eusèbe qui faisait sécher le lin : cinq garçons et cinq filles. Édouard Dufresne qui secoue ses poignées avec une vigueur et une adresse admirables, tout en lançant des œillades à sa voisine ; Philippe Bégin et Xavier Déry qui ripostent sur tous et sur tout, Léon Dugal et Anthime Noël qui travaillent en conscience pendant une heure, et pendant l’heure suivante se mettent en grève, et turlupinent les filles ambitieuses qui luttent de vitesse et d’habileté ; Arthémise Boisvert, dont le renom comme brayeuse est connu dans toute la paroisse ; Clémentine Pérusse, grosse blonde souvent rêveuse, dont le regard trouble Philippe Bégin ; Sophie Auger et Sara Filteau, deux amies inséparables à la veille de se séparer, parce qu’elles ont le même amour ; puis Noémie Bélanger, active et rieuse, qui parle, rit et chante sans perdre un coup de braie. Un peu à l’écart, madame Eusèbe surveille la chaufferie. Un échafaud composé de perches de saule placées horizontalement, et les bouts appuyés sur quatre bâtons solidement fixés en terre, se trouve au fond du plateau, au pied de la côte. Il est à l’abri de tous les vents.