Author: | JAMES FENIMORE COOPER | ISBN: | 1230001363647 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | September 28, 2016 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | JAMES FENIMORE COOPER |
ISBN: | 1230001363647 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | September 28, 2016 |
Imprint: | |
Language: | French |
Extrait :
— Et je l’aurais réellement perdu, chère Ghita, si j’avais été plus longtemps sans vous voir. Que sont ces misérables insulaires pour que je les craigne ? Ils n’ont pas un seul croiseur, ils n’ont que quelques felouques qui ne valent pas la peine que je les brûle. Qu’ils nous montrent seulement le bout d’un doigt, nous prendrons à la remorque cette polacre autrichienne qui est dans leur port, nous la conduirons au large, et nous la brûlerons à leurs yeux. — Le Feu-Follet mérite son nom. Il est ici — là — partout, avant que ses ennemis puissent s’en douter.
— Mais ses ennemis ont conçu des soupçons, et vous ne pouvez être trop circonspect. Dans quelle situation je me trouvais quand la batterie tirait sur vous ce soir !
— Et quel mal m’ont-ils fait ? Ils ont coûté au grand-duc deux gargousses et deux boulets, et n’ont pas même fait changer de route à mon petit lougre. Vous avez trop vu de pareilles choses, Ghita, pour être alarmée par un peu de fumée et de bruit.
— J’en ai trop vu, Raoul, pour ne pas savoir qu’un gros boulet, lancé de ces hauteurs, tombant sur votre Feu-Follet, et en perçant la coquille, l’aurait infailliblement coulé à fond.
— Eh bien ! en ce cas, il nous serait resté nos canots, répondit Raoul avec un ton d’insouciance qui n’avait rien d’affecté ; car une intrépidité aveugle était son défaut plutôt que sa vertu. D’ailleurs, il faut qu’un boulet vous touche avant de vous tuer ; de même qu’il faut prendre le poisson avant de le jeter dans la poêle à frire. Mais n’en parlons plus, Ghita : j’ai assez de poudre et de boulets tous les jours de ma vie ; et puisque j’ai enfin trouvé cet heureux moment, ne perdons pas le temps à en parler.
— Je ne puis penser à autre chose, Raoul ; et, par conséquent, je ne puis parler que de cela. S’il prenait tout à coup fantaisie au vice-gouverneur d’envoyer un détachement de soldats à bord de votre lougre pour s’en emparer, quelle serait alors votre situation ?
— Qu’il ose le faire ! je l’enverrais saisir dans son palazzo par une escouade de mes matelots, et je lui ferais faire une croisière contre les Anglais et contre ses bons amis les Autrichiens. — Cette conversation avait lieu en français, que Ghita parlait couramment, quoiqu’avec un accent italien. — Mais, bah, continua-t-il, cette idée ne se présentera jamais à son cerveau constitutionnel, et il est inutile d’en parler. Demain matin, je lui enverrai mon premier ministre, mon Barras, mon Carnot, mon Cambacérès, mon ami Ithuel Bolt, en un mot, pour causer avec lui de politique et de religion.
— De religion ! répéta Ghita d’un ton mélancolique ; moins vous parlerez d’un sujet si saint, Raoul, plus j’en serai charmée, et mieux cela vaudra pour vous. La situation de votre pays rend votre manque de religion un objet de regret plutôt qu’une cause d’accusation contre vous ; mais ce n’en est pas moins un malheur épouvantable.
— Eh bien ! reprit le marin, qui sentit qu’il avait presque touché un écueil, parlons d’autres choses. Même en supposant que nous soyons pris, quel grand mal avons-nous à craindre ? Nous sommes d’honnêtes corsaires, porteurs d’une commission légale, et sous la protection de la république française une et indivisible, et nous ne pouvons qu’être prisonniers de guerre. C’est un accident qui m’est déjà arrivé, et il n’en est pas résulté de plus grand malheur que de me nommer le capitaine Smit, et de me moquer du vice-gouverneur de l’île d’Elbe.
Ghita sourit, en dépit des craintes qui l’agitaient ; car un des plus puissants moyens que Raoul employait pour convertir les autres à ses opinions, était de leur faire prendre part à sa gaieté et à sa légèreté, même quand leur caractère naturel semblait s’y opposer. Elle savait que Raoul avait déjà été prisonnier pendant deux ans en Angleterre, où, comme il le disait souvent lui-même, ce temps lui avait suffi pour apprendre passablement la langue du pays, sinon pour en étudier les institutions, les mœurs et la religion. Il s’était échappé de prison, aidé par un marin américain nommé Ithuel Bolt, qui, quoiqu’au service des États-Unis, avait été forcé par la presse de servir à bord d’un bâtiment de guerre anglais. Cet Ithuel entra dans tous les plans conçus par son ami plus entreprenant, et concourut volontiers à l’exécution de ses projets de vengeance. De même que les individus puissants dans la vie privée, les états se sentent ordinairement trop forts pour que la considération des suites d’une injustice influe sur leur politique ; et une nation est portée à regarder son pouvoir comme un motif suffisant pour en refuser la réparation ; tandis que le poids de la responsabilité morale se divise sur un trop grand nombre d’individus pour en faire un sujet d’intérêt aux citoyens pris isolément. Cependant, la vérité nous démontre que personne n’est placé assez bas pour qu’il ne puisse devenir dangereux pour celui qui est le plus élevé ; et les états puissants eux-mêmes manquent rarement d’essuyer un châtiment chaque fois qu’ils s’écartent de la justice. Il semblerait dans le fait qu’il règne dans la nature un principe qui rend impossible à l’homme d’éviter, même en cette vie, les suites de ses mauvaises actions ; comme si Dieu avait voulu, dès l’origine des choses humaines, que la vérité dominât universellement, et que la chute du mensonge fût infaillible, le succès du méchant n’étant jamais que temporaire, tandis que le triomphe du juste est éternel. Pour appliquer ces considérations à ce qui se passe plus immédiatement sous nos yeux, je dirai que la pratique de la presse, dans son temps, a fait naître, parmi les marins des autres nations aussi bien que parmi ceux de la Grande-Bretagne, un sentiment qui a peut-être contribué autant qu’aucune autre cause à détruire le prestige qui faisait regarder cette puissance comme invincible sur mer, quoique ce prestige fût appuyé sur une vaste force. Il fallait voir le sentiment de haine et d’indignation auquel donna naissance la pratique de ce pouvoir despotique, surtout parmi ceux qui sentaient que leur naissance dans un autre pays aurait dû les mettre à l’abri de cet abus de la force brutale, pour bien apprécier qu’elles pussent en être les suites. Ithuel Bolt, le marin dont il vient d’être parlé, offre une preuve, en petit, du mal que peut faire le plus humble individu quand son esprit se livre exclusivement à la soif de la vengeance ; Ghita le connaissait bien ; et quoiqu’elle n’aimât ni son caractère ni sa personne, elle avait ri bien des fois malgré elle en entendant le récit des ruses qu’il avait employées contre les Anglais, et les mille moyens qu’il avait inventés pour leur nuire : elle pensa donc sur-le-champ qu’il n’avait pas eu peu de part au travestissement du Feu-Folleten Wing and Wing.
Extrait :
— Et je l’aurais réellement perdu, chère Ghita, si j’avais été plus longtemps sans vous voir. Que sont ces misérables insulaires pour que je les craigne ? Ils n’ont pas un seul croiseur, ils n’ont que quelques felouques qui ne valent pas la peine que je les brûle. Qu’ils nous montrent seulement le bout d’un doigt, nous prendrons à la remorque cette polacre autrichienne qui est dans leur port, nous la conduirons au large, et nous la brûlerons à leurs yeux. — Le Feu-Follet mérite son nom. Il est ici — là — partout, avant que ses ennemis puissent s’en douter.
— Mais ses ennemis ont conçu des soupçons, et vous ne pouvez être trop circonspect. Dans quelle situation je me trouvais quand la batterie tirait sur vous ce soir !
— Et quel mal m’ont-ils fait ? Ils ont coûté au grand-duc deux gargousses et deux boulets, et n’ont pas même fait changer de route à mon petit lougre. Vous avez trop vu de pareilles choses, Ghita, pour être alarmée par un peu de fumée et de bruit.
— J’en ai trop vu, Raoul, pour ne pas savoir qu’un gros boulet, lancé de ces hauteurs, tombant sur votre Feu-Follet, et en perçant la coquille, l’aurait infailliblement coulé à fond.
— Eh bien ! en ce cas, il nous serait resté nos canots, répondit Raoul avec un ton d’insouciance qui n’avait rien d’affecté ; car une intrépidité aveugle était son défaut plutôt que sa vertu. D’ailleurs, il faut qu’un boulet vous touche avant de vous tuer ; de même qu’il faut prendre le poisson avant de le jeter dans la poêle à frire. Mais n’en parlons plus, Ghita : j’ai assez de poudre et de boulets tous les jours de ma vie ; et puisque j’ai enfin trouvé cet heureux moment, ne perdons pas le temps à en parler.
— Je ne puis penser à autre chose, Raoul ; et, par conséquent, je ne puis parler que de cela. S’il prenait tout à coup fantaisie au vice-gouverneur d’envoyer un détachement de soldats à bord de votre lougre pour s’en emparer, quelle serait alors votre situation ?
— Qu’il ose le faire ! je l’enverrais saisir dans son palazzo par une escouade de mes matelots, et je lui ferais faire une croisière contre les Anglais et contre ses bons amis les Autrichiens. — Cette conversation avait lieu en français, que Ghita parlait couramment, quoiqu’avec un accent italien. — Mais, bah, continua-t-il, cette idée ne se présentera jamais à son cerveau constitutionnel, et il est inutile d’en parler. Demain matin, je lui enverrai mon premier ministre, mon Barras, mon Carnot, mon Cambacérès, mon ami Ithuel Bolt, en un mot, pour causer avec lui de politique et de religion.
— De religion ! répéta Ghita d’un ton mélancolique ; moins vous parlerez d’un sujet si saint, Raoul, plus j’en serai charmée, et mieux cela vaudra pour vous. La situation de votre pays rend votre manque de religion un objet de regret plutôt qu’une cause d’accusation contre vous ; mais ce n’en est pas moins un malheur épouvantable.
— Eh bien ! reprit le marin, qui sentit qu’il avait presque touché un écueil, parlons d’autres choses. Même en supposant que nous soyons pris, quel grand mal avons-nous à craindre ? Nous sommes d’honnêtes corsaires, porteurs d’une commission légale, et sous la protection de la république française une et indivisible, et nous ne pouvons qu’être prisonniers de guerre. C’est un accident qui m’est déjà arrivé, et il n’en est pas résulté de plus grand malheur que de me nommer le capitaine Smit, et de me moquer du vice-gouverneur de l’île d’Elbe.
Ghita sourit, en dépit des craintes qui l’agitaient ; car un des plus puissants moyens que Raoul employait pour convertir les autres à ses opinions, était de leur faire prendre part à sa gaieté et à sa légèreté, même quand leur caractère naturel semblait s’y opposer. Elle savait que Raoul avait déjà été prisonnier pendant deux ans en Angleterre, où, comme il le disait souvent lui-même, ce temps lui avait suffi pour apprendre passablement la langue du pays, sinon pour en étudier les institutions, les mœurs et la religion. Il s’était échappé de prison, aidé par un marin américain nommé Ithuel Bolt, qui, quoiqu’au service des États-Unis, avait été forcé par la presse de servir à bord d’un bâtiment de guerre anglais. Cet Ithuel entra dans tous les plans conçus par son ami plus entreprenant, et concourut volontiers à l’exécution de ses projets de vengeance. De même que les individus puissants dans la vie privée, les états se sentent ordinairement trop forts pour que la considération des suites d’une injustice influe sur leur politique ; et une nation est portée à regarder son pouvoir comme un motif suffisant pour en refuser la réparation ; tandis que le poids de la responsabilité morale se divise sur un trop grand nombre d’individus pour en faire un sujet d’intérêt aux citoyens pris isolément. Cependant, la vérité nous démontre que personne n’est placé assez bas pour qu’il ne puisse devenir dangereux pour celui qui est le plus élevé ; et les états puissants eux-mêmes manquent rarement d’essuyer un châtiment chaque fois qu’ils s’écartent de la justice. Il semblerait dans le fait qu’il règne dans la nature un principe qui rend impossible à l’homme d’éviter, même en cette vie, les suites de ses mauvaises actions ; comme si Dieu avait voulu, dès l’origine des choses humaines, que la vérité dominât universellement, et que la chute du mensonge fût infaillible, le succès du méchant n’étant jamais que temporaire, tandis que le triomphe du juste est éternel. Pour appliquer ces considérations à ce qui se passe plus immédiatement sous nos yeux, je dirai que la pratique de la presse, dans son temps, a fait naître, parmi les marins des autres nations aussi bien que parmi ceux de la Grande-Bretagne, un sentiment qui a peut-être contribué autant qu’aucune autre cause à détruire le prestige qui faisait regarder cette puissance comme invincible sur mer, quoique ce prestige fût appuyé sur une vaste force. Il fallait voir le sentiment de haine et d’indignation auquel donna naissance la pratique de ce pouvoir despotique, surtout parmi ceux qui sentaient que leur naissance dans un autre pays aurait dû les mettre à l’abri de cet abus de la force brutale, pour bien apprécier qu’elles pussent en être les suites. Ithuel Bolt, le marin dont il vient d’être parlé, offre une preuve, en petit, du mal que peut faire le plus humble individu quand son esprit se livre exclusivement à la soif de la vengeance ; Ghita le connaissait bien ; et quoiqu’elle n’aimât ni son caractère ni sa personne, elle avait ri bien des fois malgré elle en entendant le récit des ruses qu’il avait employées contre les Anglais, et les mille moyens qu’il avait inventés pour leur nuire : elle pensa donc sur-le-champ qu’il n’avait pas eu peu de part au travestissement du Feu-Folleten Wing and Wing.