Le Surmâle

Fiction & Literature, Literary
Cover of the book Le Surmâle by ALFRED JARRY, GILBERT TEROL
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Author: ALFRED JARRY ISBN: 1230000211641
Publisher: GILBERT TEROL Publication: January 21, 2014
Imprint: Language: French
Author: ALFRED JARRY
ISBN: 1230000211641
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: January 21, 2014
Imprint:
Language: French

Les hôtes partaient.

En un flot double, leurs silhouettes enveloppées de fourrures s’épandirent à droite et à gauche du haut perron.

Puis, sous les globes électriques des cinq potences de fer jalonnant irrégulièrement l’avenue, ce fut le mouvement d’autres lumières, le clapotis du pas de chevaux, le vrombissement de quelques autos.

William Elson et sa fille, avec les Gough, s’éloignaient sur une fantastique machine, écarlate et renâclante, qui, en un petit nombre de grands bonds glissés, disparut.

Les divers véhicules s’échelonnèrent, et il n’y eut bientôt d’autre bruit devant le château que le murmure de l’eau courante des douves.

Lurance, héritage maternel d’André Marcueil, avait été construit sous Louis XIII mais il paraissait la chose la plus naturelle du monde que ses immenses lampadaires forgés se complétassent de lampes à arc, et que la force de ses eaux vives fût motrice de machines chargées d’alimenter les feux électriques. De même, il semblait que les allées à perte de vue dont les rayons larges se soumettaient tous les horizons n’avaient point été tracées pour servir au rampement de carrosses, mais que l’architecte, par quelque obscure prescience de génie, les avait destinées, trois cents ans d’avance, aux véhicules modernes. Il est certain qu’il n’y a point de raison que les hommes travaillent à faire durable s’ils ne supposent confusément que leur œuvre a besoin d’attendre quelque surcroît de beauté, qu’ils sont incapables de lui fournir aujourd’hui, mais que lui réserve le futur. On ne fait pas grand, on laisse grandir.

Lurance est distant de peu de kilomètres, au sud-ouest, de Paris et Marcueil, selon toute évidence bizarrement énervé par la conversation de la soirée, déguisa son désir de diversion sous l’aspect d’une prévenance envers ses hôtes : il reconduisit lui- même à Paris le docteur et le général.

Par égard pour ce dernier, rebelle aux locomotions nouvelles, et comme il n’y a point de gare près de Lurance, il avait fait atteler un coupé.

Le temps était sec, clair et froid. La route sonnait comme du carton. En moins d’une heure ils atteignirent l’Étoile, et comme il n’était pas tard — à peine deux heures du matin — ils entrèrent dans un bar anglais.

— Bonjour, Marc-Antony, dit Bathybius au barman.

— Vous êtes un habitué, dit le général.

— Ce grand gaillard a-t-il donc la jouissance légitime d’un nom si shakespeariennement romain ? demanda Marcueil.

— On m’a raconté en effet, répondit Bathybius, qu’il était redevable de cet historico-dramatique sobriquet à la solennité extraordinaire avec laquelle il allocutionne ses clients, solennité qui ne serait comparable qu’à celle du Marc-Antoine de Shakespeare prononçant le classique discours sur la tombe de César. Et ses clients, jockeys, entraîneurs, palefreniers, boxeurs, tous fort amis des rixes, ont fort souvent besoin d’être allocutionnés.

— J’espère que nous en jugerons tout à l’heure, cela nous distraira, dit Marcueil.

On les servit. Le général but du stout, le docteur du pale-ale, et Marcueil, qui décidément — sauf quand il s’amusait à énoncer quelque théorème paradoxal — pratiquait le neutre, demanda un mélange égal des deux bières, le half-and-half.

En dépit du pronostic du docteur, le bar était calme, juste assez bourdonnant de conversations pour isoler la leur.

Le docteur ne put s’empêcher de revenir, pour en railler discrètement Marcueil, aux propos tenus à Lurance. Au fond, il était quelque peu irrité que son ami, même par plaisanterie, n’eût pas laissé le dernier mot à son autorité d’homme de science célèbre.

— À présent que nous sommes entre hommes, dit-il, une petite remarque pour en finir avec vos mythologies : ces Proculus, Hercule et autres héros fabuleux ne trouvaient pas encore assez honorables leurs exploits numériques et non moins fabuleux que leurs auteurs. C’était « un jeu » comme vous dites : aussi jouaient-ils la difficulté. Des vierges ! beaucoup de vierges ! Or, c’est une vérité médicale…

— Et expérimentale, car je vois ce que vous allez dire, interrompit le général.

— C’est une vérité médicale que le baiser de la vierge est assez difficile et douloureux pour ôter à l’homme l’envie ou la possibilité de le répéter si souvent.

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Les hôtes partaient.

En un flot double, leurs silhouettes enveloppées de fourrures s’épandirent à droite et à gauche du haut perron.

Puis, sous les globes électriques des cinq potences de fer jalonnant irrégulièrement l’avenue, ce fut le mouvement d’autres lumières, le clapotis du pas de chevaux, le vrombissement de quelques autos.

William Elson et sa fille, avec les Gough, s’éloignaient sur une fantastique machine, écarlate et renâclante, qui, en un petit nombre de grands bonds glissés, disparut.

Les divers véhicules s’échelonnèrent, et il n’y eut bientôt d’autre bruit devant le château que le murmure de l’eau courante des douves.

Lurance, héritage maternel d’André Marcueil, avait été construit sous Louis XIII mais il paraissait la chose la plus naturelle du monde que ses immenses lampadaires forgés se complétassent de lampes à arc, et que la force de ses eaux vives fût motrice de machines chargées d’alimenter les feux électriques. De même, il semblait que les allées à perte de vue dont les rayons larges se soumettaient tous les horizons n’avaient point été tracées pour servir au rampement de carrosses, mais que l’architecte, par quelque obscure prescience de génie, les avait destinées, trois cents ans d’avance, aux véhicules modernes. Il est certain qu’il n’y a point de raison que les hommes travaillent à faire durable s’ils ne supposent confusément que leur œuvre a besoin d’attendre quelque surcroît de beauté, qu’ils sont incapables de lui fournir aujourd’hui, mais que lui réserve le futur. On ne fait pas grand, on laisse grandir.

Lurance est distant de peu de kilomètres, au sud-ouest, de Paris et Marcueil, selon toute évidence bizarrement énervé par la conversation de la soirée, déguisa son désir de diversion sous l’aspect d’une prévenance envers ses hôtes : il reconduisit lui- même à Paris le docteur et le général.

Par égard pour ce dernier, rebelle aux locomotions nouvelles, et comme il n’y a point de gare près de Lurance, il avait fait atteler un coupé.

Le temps était sec, clair et froid. La route sonnait comme du carton. En moins d’une heure ils atteignirent l’Étoile, et comme il n’était pas tard — à peine deux heures du matin — ils entrèrent dans un bar anglais.

— Bonjour, Marc-Antony, dit Bathybius au barman.

— Vous êtes un habitué, dit le général.

— Ce grand gaillard a-t-il donc la jouissance légitime d’un nom si shakespeariennement romain ? demanda Marcueil.

— On m’a raconté en effet, répondit Bathybius, qu’il était redevable de cet historico-dramatique sobriquet à la solennité extraordinaire avec laquelle il allocutionne ses clients, solennité qui ne serait comparable qu’à celle du Marc-Antoine de Shakespeare prononçant le classique discours sur la tombe de César. Et ses clients, jockeys, entraîneurs, palefreniers, boxeurs, tous fort amis des rixes, ont fort souvent besoin d’être allocutionnés.

— J’espère que nous en jugerons tout à l’heure, cela nous distraira, dit Marcueil.

On les servit. Le général but du stout, le docteur du pale-ale, et Marcueil, qui décidément — sauf quand il s’amusait à énoncer quelque théorème paradoxal — pratiquait le neutre, demanda un mélange égal des deux bières, le half-and-half.

En dépit du pronostic du docteur, le bar était calme, juste assez bourdonnant de conversations pour isoler la leur.

Le docteur ne put s’empêcher de revenir, pour en railler discrètement Marcueil, aux propos tenus à Lurance. Au fond, il était quelque peu irrité que son ami, même par plaisanterie, n’eût pas laissé le dernier mot à son autorité d’homme de science célèbre.

— À présent que nous sommes entre hommes, dit-il, une petite remarque pour en finir avec vos mythologies : ces Proculus, Hercule et autres héros fabuleux ne trouvaient pas encore assez honorables leurs exploits numériques et non moins fabuleux que leurs auteurs. C’était « un jeu » comme vous dites : aussi jouaient-ils la difficulté. Des vierges ! beaucoup de vierges ! Or, c’est une vérité médicale…

— Et expérimentale, car je vois ce que vous allez dire, interrompit le général.

— C’est une vérité médicale que le baiser de la vierge est assez difficile et douloureux pour ôter à l’homme l’envie ou la possibilité de le répéter si souvent.

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