Le Vigneron dans sa vigne

Fiction & Literature, Classics
Cover of the book Le Vigneron dans sa vigne by JULES RENARD, GILBERT TEROL
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Author: JULES RENARD ISBN: 1230001058079
Publisher: GILBERT TEROL Publication: May 1, 2016
Imprint: Language: French
Author: JULES RENARD
ISBN: 1230001058079
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: May 1, 2016
Imprint:
Language: French


Extrait :

La maison des Philippe est peut-être la plus vieille du village. Son toit de chaume moussu et rapiécé qui descend jusqu’à terre, sa porte basse, sa petite croisée qui ne s’ouvre pas, lui donnent l’air d’avoir au moins deux cents ans. Madame Philippe en est honteuse.

— Faut-il être pauvre, dit-elle, pour la laisser dans cet état !

— Moi je trouve, lui dis-je, votre maison très bien.

— Quand on touche le mur, dit-elle, le plâtre vient avec les doigts.

— Personne ne t’empêche, dit Philippe, de boucher les trous, avec des numéros du Petit Parisien.

— Je ne réclame pas une maison de riches, dit-elle, je ne demande que la propreté, et si j’avais quatre sous d’économies, la bicoque serait réparée demain.

— Ne faites pas ça, madame Philippe ; je vous assure que votre maison est admirable.

— Elle ne tient plus debout.

— Ne t’inquiète pas, dit Philippe, elle est assez solide pour t’enterrer.

— En me tombant sur la tête, dit Madame Philippe que sa réponse fait rire seule.

— Ne craignez rien, dis-je, et ne méprisez pas votre maison. Vous auriez tort ; elle a beaucoup de valeur. Songez que c’est un héritage de vos ancêtres, et puisque vous avez le culte des morts, gardez avec respect tout ce qui vous vient d’eux. Votre maison, c’est un souvenir du vieux temps, une relique sacrée.

— Je ne vous dis pas le contraire, répond Madame Philippe déjà flattée.

— À votre place, je me garderais d’y changer une pierre. Je la préfère aux maisons neuves ; oui, oui, au point de vue pittoresque et instructif, je l’aime mieux qu’un château moderne, parce que cette bonne vieille maison nous rappelle le passé et que, sans elle, nous ne saurions plus comment étaient bâties les maisons de nos pères.

— Tu entends ? dit Philippe, presque toujours de mon avis contre sa femme.

— C’est vrai, dit-elle retournée, qu’il faudrait aller loin pour voir une maison comme la nôtre, et que, dans tout le pays, elle n’a pas sa pareille. Entrez donc, s’il vous plaît !

Ce qui frappe d’abord, dès le seuil, c’est le lit de bois aussi large que long sur ses pieds sans roulettes. J’imagine qu’il a dû passer par la cheminée. La porte était trop étroite.

— Il se démonte, me dit Philippe.

Madame Philippe ne le tire jamais. Une fois collé au mur, il y est resté. Comme elle n’a pas le bras long, elle se sert d’une fourche pour écarter les draps et border le lit du côté du mur.

— Dans l’ancien temps, dit Philippe, il y avait, au-dessus du lit, un dais carré de planches porté par quatre quenouilles, et tout autour s’accrochaient des rideaux jaunes à bordure verte.

— Des rideaux de grosse laine tissée sur de la toile, dit Madame Philippe. On appelait ça du poulangis ; c’était inusable.

— On n’en voyait pas la fin, dit Philippe, on les pendait et on ne les dépendait plus. Ils renfermaient le lit. On ne les ouvrait que pour y entrer, comme à la comédie, et quand le père montait se coucher, il disait : « Bonsoir, mes enfants, je vas à la comédie ! »

— Cette espèce de rideaux n’existe plus, dit madame Philippe. La dame du château les a détruits. Elle les achetait pour faire des tentures.

— Mon père lui a vendu les siens cinquante francs, dit Philippe. C’était bien payé. Ils n’en valaient pas vingt.

— Nous avons, dit madame Philippe, encore un lit de cette taille-là sur le grenier.

— Pourquoi ne l’utilisez-vous pas ? À votre âge, vous seriez mieux chacun dans votre lit.

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Extrait :

La maison des Philippe est peut-être la plus vieille du village. Son toit de chaume moussu et rapiécé qui descend jusqu’à terre, sa porte basse, sa petite croisée qui ne s’ouvre pas, lui donnent l’air d’avoir au moins deux cents ans. Madame Philippe en est honteuse.

— Faut-il être pauvre, dit-elle, pour la laisser dans cet état !

— Moi je trouve, lui dis-je, votre maison très bien.

— Quand on touche le mur, dit-elle, le plâtre vient avec les doigts.

— Personne ne t’empêche, dit Philippe, de boucher les trous, avec des numéros du Petit Parisien.

— Je ne réclame pas une maison de riches, dit-elle, je ne demande que la propreté, et si j’avais quatre sous d’économies, la bicoque serait réparée demain.

— Ne faites pas ça, madame Philippe ; je vous assure que votre maison est admirable.

— Elle ne tient plus debout.

— Ne t’inquiète pas, dit Philippe, elle est assez solide pour t’enterrer.

— En me tombant sur la tête, dit Madame Philippe que sa réponse fait rire seule.

— Ne craignez rien, dis-je, et ne méprisez pas votre maison. Vous auriez tort ; elle a beaucoup de valeur. Songez que c’est un héritage de vos ancêtres, et puisque vous avez le culte des morts, gardez avec respect tout ce qui vous vient d’eux. Votre maison, c’est un souvenir du vieux temps, une relique sacrée.

— Je ne vous dis pas le contraire, répond Madame Philippe déjà flattée.

— À votre place, je me garderais d’y changer une pierre. Je la préfère aux maisons neuves ; oui, oui, au point de vue pittoresque et instructif, je l’aime mieux qu’un château moderne, parce que cette bonne vieille maison nous rappelle le passé et que, sans elle, nous ne saurions plus comment étaient bâties les maisons de nos pères.

— Tu entends ? dit Philippe, presque toujours de mon avis contre sa femme.

— C’est vrai, dit-elle retournée, qu’il faudrait aller loin pour voir une maison comme la nôtre, et que, dans tout le pays, elle n’a pas sa pareille. Entrez donc, s’il vous plaît !

Ce qui frappe d’abord, dès le seuil, c’est le lit de bois aussi large que long sur ses pieds sans roulettes. J’imagine qu’il a dû passer par la cheminée. La porte était trop étroite.

— Il se démonte, me dit Philippe.

Madame Philippe ne le tire jamais. Une fois collé au mur, il y est resté. Comme elle n’a pas le bras long, elle se sert d’une fourche pour écarter les draps et border le lit du côté du mur.

— Dans l’ancien temps, dit Philippe, il y avait, au-dessus du lit, un dais carré de planches porté par quatre quenouilles, et tout autour s’accrochaient des rideaux jaunes à bordure verte.

— Des rideaux de grosse laine tissée sur de la toile, dit Madame Philippe. On appelait ça du poulangis ; c’était inusable.

— On n’en voyait pas la fin, dit Philippe, on les pendait et on ne les dépendait plus. Ils renfermaient le lit. On ne les ouvrait que pour y entrer, comme à la comédie, et quand le père montait se coucher, il disait : « Bonsoir, mes enfants, je vas à la comédie ! »

— Cette espèce de rideaux n’existe plus, dit madame Philippe. La dame du château les a détruits. Elle les achetait pour faire des tentures.

— Mon père lui a vendu les siens cinquante francs, dit Philippe. C’était bien payé. Ils n’en valaient pas vingt.

— Nous avons, dit madame Philippe, encore un lit de cette taille-là sur le grenier.

— Pourquoi ne l’utilisez-vous pas ? À votre âge, vous seriez mieux chacun dans votre lit.

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