Author: | Marceline Desbordes-Valmore | ISBN: | 1230003041864 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | January 22, 2019 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Marceline Desbordes-Valmore |
ISBN: | 1230003041864 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | January 22, 2019 |
Imprint: | |
Language: | French |
C’était l’été ; le jour était aux deux tiers de sa course ; il brûlait sans accabler : ce beau jour n’en avait pas eu d’égal en beauté. Un berger pensif, et suivi d’un seul agneau, entrait alors dans un village de la Provence. Toutes les maisons en étaient fermées ; il le traverse sans trouver d’habitans : cette solitude, ces cabanes désertes ajoutent à l’ennui de son ame. Il arrive, en rêvant, jusqu’à la chaumière qui termine le hameau ; il voit sur la porte une bonne vieille qu’il salue.
« Ma mère, lui dit-il, êtes-vous seule dans ce village ? Je n’y vois personne. »
— « Nenni, berger, dit la bonne vieille ; mais c’est fête au hameau. Julien se marie : Julien est riche, et ne sera jamais plus heureux qu’aujourd’hui. Il a voulu que tout le monde se ressentît de sa joie, et tout le monde danse là-bas. Moi, mon fils, je ne danse plus. À mon âge, on ne peut courir où est le bonheur ; il faut l’attendre, et j’attends. Annette et Julien sont unis, je les ai vus ce matin à l’église que voilà. Je viens de les voir passer pour aller à la danse ; avant le coucher du soleil, je les verrai encore.
« La belle Annette m’a dit en s’arrêtant exprès : Bonjour, mère Geneviève. Moi j’ai dit à Annette : Dieu vous bénisse, ma fille ! Et Dieu la bénira, voyez-vous. Elle respecte la vieillesse, et s’arrête pour elle au plus beau moment de sa vie. Julien la chérit de tout son cœur, et fait bien de la chérir, car il est arrivé qu’étant aussi pauvre qu’elle est sage, Annette a pensé mourir d’amour pour Julien. »
Et le jeune berger, qui, appuyé sur sa houlette, écoutait Geneviève, lui dit : « On ne meurt pas d’amour, ma mère. »
« Dieu vous entende, mon fils, mais j’ai ouï dire qu’on en mourait. »
« D’où venez-vous ainsi, poursuivit-elle : êtes-vous du village voisin ? — J’en arrive. — Et comment ne savez-vous pas que Julien se marie ? On en doit parler là comme partout. — C’est que les nouvelles heureuses ne me cherchent guère. Je suis peut-être de ceux qui doivent courir après le bonheur ; il ne vient pas me trouver. — Ne tardez donc plus ; allez, allez danser à la grande prairie. — Danser ! répliqua-t-il avec un sourire triste ; je ne connais personne à la fête. — J’y connais tout le monde, moi ! Allez-y, croyez-m’en. Dites à Julien que c’est Geneviève qui vous invite à sa noce. Un beau visage de plus porte bonheur à une noce. Courez, mon fils, on ne refuse pas les fleurs. »
— Mais par où tourner, ma mère ?
— Par ici, dit Geneviève en montrant le chemin de la prairie : quand vous serez au bout de cette haie, vous entendrez les musettes, et puis vous regarderez, et puis vous verrez la plaine toute couverte de bergers.
— J’y vais, dit-il. — Dieu vous conduise ! dit-elle. —
Et Geneviève, toujours assise, le regarda courir. Elle se reprit à chanter, en tremblotant, une ronde qui lui ramenait doucement le souvenir du plus beau jour de sa vie ; car Geneviève avait eu aussi son beau jour. On dit qu’il y en a un pour toutes les bergères : et moi, je n’en sais rien.
Le berger d’abord s’était mis à courir, puis il s’arrêta, puis il avança encore. Quand il eut atteint le bout de la haie fleurie, il se retourna pour chercher l’appui de la bonne Geneviève ; mais il ne vit plus que son agneau ; qui, tout en suivant son maître, arrachait aux buissons de petites branches naissantes.
« J’entends les musettes, dit alors le berger ; Geneviève avait raison. Voilà cette plaine riante où pas un cœur ne souffre. Qu’irai-je faire au milieu de tous ces bergers riches et contents ? » Et il s’appuya sur sa houlette, qui n’avait à gouverner qu’un mouton.
Il fut aperçu de la plaine. En un moment tous les yeux furent tournés vers lui ; tous les bras étendus pour l’inviter à descendre. Il descendit ; aussitôt, entouré, mêlé dans la foule joyeuse et bruyante, il oublia qu’il était pauvre ; son regard fut moins timide, son maintien plus libre ; une douce confiance releva son cœur, et le plus beau des bergers en parut alors le plus aimable.
L’heureux Julien ne lui demanda ni d’où il venait, ni ce qu’il était ? On était trop pressé de s’amuser, pour être curieux : le nom de Geneviève fut son droit de présence. Annette n’avait des yeux que pour voir Julien ; une bergère aussi belle et plus pensive qu’Annette n’en avait déjà plus que pour le nouveau berger.
À peine avait-il eu le temps de regarder les autres, et de se reconnaître lui-même, qu’il fut entraîné dans la danse. On l’aurait admiré, si le plaisir de danser pour soi-même eût permis à quelqu’un de s’occuper d’autre chose. Sa grâce n’avait rien de rustique ; rien non plus de recherché : il était beau, il était simple, il était bien.
Annette, en dansant, perdit son bouquet : il fut foulé sous les pieds lourds des joyeux convives. La bergère plus pensive qu’Annette, s’en aperçut, leva en rougissant deux grands yeux noirs sur le bouquet du jeune étranger : il rencontra ces deux beaux yeux qui parlaient ;
C’était l’été ; le jour était aux deux tiers de sa course ; il brûlait sans accabler : ce beau jour n’en avait pas eu d’égal en beauté. Un berger pensif, et suivi d’un seul agneau, entrait alors dans un village de la Provence. Toutes les maisons en étaient fermées ; il le traverse sans trouver d’habitans : cette solitude, ces cabanes désertes ajoutent à l’ennui de son ame. Il arrive, en rêvant, jusqu’à la chaumière qui termine le hameau ; il voit sur la porte une bonne vieille qu’il salue.
« Ma mère, lui dit-il, êtes-vous seule dans ce village ? Je n’y vois personne. »
— « Nenni, berger, dit la bonne vieille ; mais c’est fête au hameau. Julien se marie : Julien est riche, et ne sera jamais plus heureux qu’aujourd’hui. Il a voulu que tout le monde se ressentît de sa joie, et tout le monde danse là-bas. Moi, mon fils, je ne danse plus. À mon âge, on ne peut courir où est le bonheur ; il faut l’attendre, et j’attends. Annette et Julien sont unis, je les ai vus ce matin à l’église que voilà. Je viens de les voir passer pour aller à la danse ; avant le coucher du soleil, je les verrai encore.
« La belle Annette m’a dit en s’arrêtant exprès : Bonjour, mère Geneviève. Moi j’ai dit à Annette : Dieu vous bénisse, ma fille ! Et Dieu la bénira, voyez-vous. Elle respecte la vieillesse, et s’arrête pour elle au plus beau moment de sa vie. Julien la chérit de tout son cœur, et fait bien de la chérir, car il est arrivé qu’étant aussi pauvre qu’elle est sage, Annette a pensé mourir d’amour pour Julien. »
Et le jeune berger, qui, appuyé sur sa houlette, écoutait Geneviève, lui dit : « On ne meurt pas d’amour, ma mère. »
« Dieu vous entende, mon fils, mais j’ai ouï dire qu’on en mourait. »
« D’où venez-vous ainsi, poursuivit-elle : êtes-vous du village voisin ? — J’en arrive. — Et comment ne savez-vous pas que Julien se marie ? On en doit parler là comme partout. — C’est que les nouvelles heureuses ne me cherchent guère. Je suis peut-être de ceux qui doivent courir après le bonheur ; il ne vient pas me trouver. — Ne tardez donc plus ; allez, allez danser à la grande prairie. — Danser ! répliqua-t-il avec un sourire triste ; je ne connais personne à la fête. — J’y connais tout le monde, moi ! Allez-y, croyez-m’en. Dites à Julien que c’est Geneviève qui vous invite à sa noce. Un beau visage de plus porte bonheur à une noce. Courez, mon fils, on ne refuse pas les fleurs. »
— Mais par où tourner, ma mère ?
— Par ici, dit Geneviève en montrant le chemin de la prairie : quand vous serez au bout de cette haie, vous entendrez les musettes, et puis vous regarderez, et puis vous verrez la plaine toute couverte de bergers.
— J’y vais, dit-il. — Dieu vous conduise ! dit-elle. —
Et Geneviève, toujours assise, le regarda courir. Elle se reprit à chanter, en tremblotant, une ronde qui lui ramenait doucement le souvenir du plus beau jour de sa vie ; car Geneviève avait eu aussi son beau jour. On dit qu’il y en a un pour toutes les bergères : et moi, je n’en sais rien.
Le berger d’abord s’était mis à courir, puis il s’arrêta, puis il avança encore. Quand il eut atteint le bout de la haie fleurie, il se retourna pour chercher l’appui de la bonne Geneviève ; mais il ne vit plus que son agneau ; qui, tout en suivant son maître, arrachait aux buissons de petites branches naissantes.
« J’entends les musettes, dit alors le berger ; Geneviève avait raison. Voilà cette plaine riante où pas un cœur ne souffre. Qu’irai-je faire au milieu de tous ces bergers riches et contents ? » Et il s’appuya sur sa houlette, qui n’avait à gouverner qu’un mouton.
Il fut aperçu de la plaine. En un moment tous les yeux furent tournés vers lui ; tous les bras étendus pour l’inviter à descendre. Il descendit ; aussitôt, entouré, mêlé dans la foule joyeuse et bruyante, il oublia qu’il était pauvre ; son regard fut moins timide, son maintien plus libre ; une douce confiance releva son cœur, et le plus beau des bergers en parut alors le plus aimable.
L’heureux Julien ne lui demanda ni d’où il venait, ni ce qu’il était ? On était trop pressé de s’amuser, pour être curieux : le nom de Geneviève fut son droit de présence. Annette n’avait des yeux que pour voir Julien ; une bergère aussi belle et plus pensive qu’Annette n’en avait déjà plus que pour le nouveau berger.
À peine avait-il eu le temps de regarder les autres, et de se reconnaître lui-même, qu’il fut entraîné dans la danse. On l’aurait admiré, si le plaisir de danser pour soi-même eût permis à quelqu’un de s’occuper d’autre chose. Sa grâce n’avait rien de rustique ; rien non plus de recherché : il était beau, il était simple, il était bien.
Annette, en dansant, perdit son bouquet : il fut foulé sous les pieds lourds des joyeux convives. La bergère plus pensive qu’Annette, s’en aperçut, leva en rougissant deux grands yeux noirs sur le bouquet du jeune étranger : il rencontra ces deux beaux yeux qui parlaient ;