Author: | About Edmond | ISBN: | 1230001623130 |
Publisher: | YADE | Publication: | April 4, 2017 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | About Edmond |
ISBN: | 1230001623130 |
Publisher: | YADE |
Publication: | April 4, 2017 |
Imprint: | |
Language: | French |
Il n’est pas de chasseur du pays de Bade qui ne connaisse la
Herrenwiese. Les cerfs et les chevreuils errent en liberté sous
l’ombre épaisse des sapins qui l’entourent ; le coq de bruyère y
chante au printemps, la gelinotte y bat de l’aile. La plume ne
saurait rendre l’aspect de ce plateau, situé au coeur même de la
Forêt-Noire, et séparé par d’interminables futaies de la plaine
que la charrue féconde et que l’industrie anime ; le pinceau le
plus habile serait maladroit à reproduire sur la toile les
couleurs changeantes et la désolation de ce paysage, fermé par
une ceinture d’arbres sombres et serrés. Qu’on se figure une
prairie ovale cachée dans un pli de la montagne ; les profondes
colonnades des sapins montent en amphithéâtre tout alentour
sans que le regard en puisse percer l’étendue mystérieuse. On
dirait qu’un géant a fauché un pan de la forêt pour y faire
pénétrer l’air et la lumière ; mais le soleil ni le vent n’en ont pu
chasser la tristesse. Les eaux claires d’un ruisseau traversent la
prairie ; quelques maisons se groupent autour d’une humble
chapelle, qui n’élève pas bien haut son petit clocher. Une
auberge est bâtie au bord de la route ; des troupeaux de vaches
paissent l’herbe çà et là. On n’entend pas d’autres bruits que le
son de la cloche ou le beuglement des animaux qui ruminent ;
mais quand la bise souffle, des rumeurs plaintives remplissent
le plateau, la forêt désolée gémit, et des murmures s’en élèvent
qui prêtent une voix à la solitude pour pleurer. Selon que le ciel
est bleu ou que les nuées se déchirent au milieu du feuillage
noir, le caractère de ce plateau peut être moins sauvage sans
cesser d’être mélancolique. Aux heures où le vent d’hiver agite
la forêt d’un premier frisson, où le brouillard qui rampe sur les
taillis des jeunes sapins estompe la montagne, la tristesse
suinte du sol, descend des profondeurs du bois, monte de la
vallée, passe avec le son, et la Herrenwiese tout entière, cachée
dans les nuages, glacée par un froid sinistre, communique à
l’âme l’impression morne d’un tombeau. Et cependant, si on
l’a visitée, soit au printemps, quand mille fleurs pressées de
s’épanouir étoilent l’herbe des prés, soit en automne, quand la
feuille tombe et court parmi les sentiers, on ne peut s’empêcher
de l’aimer, d’y penser souvent, et de revoir en esprit les lignes
sévères de la montagne qui l’enserre et les croupes sombres de
la forêt qui profile sur le ciel gris les flèches dentelées du
mélèze et du sapin.
Il n’est pas de chasseur du pays de Bade qui ne connaisse la
Herrenwiese. Les cerfs et les chevreuils errent en liberté sous
l’ombre épaisse des sapins qui l’entourent ; le coq de bruyère y
chante au printemps, la gelinotte y bat de l’aile. La plume ne
saurait rendre l’aspect de ce plateau, situé au coeur même de la
Forêt-Noire, et séparé par d’interminables futaies de la plaine
que la charrue féconde et que l’industrie anime ; le pinceau le
plus habile serait maladroit à reproduire sur la toile les
couleurs changeantes et la désolation de ce paysage, fermé par
une ceinture d’arbres sombres et serrés. Qu’on se figure une
prairie ovale cachée dans un pli de la montagne ; les profondes
colonnades des sapins montent en amphithéâtre tout alentour
sans que le regard en puisse percer l’étendue mystérieuse. On
dirait qu’un géant a fauché un pan de la forêt pour y faire
pénétrer l’air et la lumière ; mais le soleil ni le vent n’en ont pu
chasser la tristesse. Les eaux claires d’un ruisseau traversent la
prairie ; quelques maisons se groupent autour d’une humble
chapelle, qui n’élève pas bien haut son petit clocher. Une
auberge est bâtie au bord de la route ; des troupeaux de vaches
paissent l’herbe çà et là. On n’entend pas d’autres bruits que le
son de la cloche ou le beuglement des animaux qui ruminent ;
mais quand la bise souffle, des rumeurs plaintives remplissent
le plateau, la forêt désolée gémit, et des murmures s’en élèvent
qui prêtent une voix à la solitude pour pleurer. Selon que le ciel
est bleu ou que les nuées se déchirent au milieu du feuillage
noir, le caractère de ce plateau peut être moins sauvage sans
cesser d’être mélancolique. Aux heures où le vent d’hiver agite
la forêt d’un premier frisson, où le brouillard qui rampe sur les
taillis des jeunes sapins estompe la montagne, la tristesse
suinte du sol, descend des profondeurs du bois, monte de la
vallée, passe avec le son, et la Herrenwiese tout entière, cachée
dans les nuages, glacée par un froid sinistre, communique à
l’âme l’impression morne d’un tombeau. Et cependant, si on
l’a visitée, soit au printemps, quand mille fleurs pressées de
s’épanouir étoilent l’herbe des prés, soit en automne, quand la
feuille tombe et court parmi les sentiers, on ne peut s’empêcher
de l’aimer, d’y penser souvent, et de revoir en esprit les lignes
sévères de la montagne qui l’enserre et les croupes sombres de
la forêt qui profile sur le ciel gris les flèches dentelées du
mélèze et du sapin.