Author: | About Edmond | ISBN: | 1230001609462 |
Publisher: | YADE | Publication: | March 26, 2017 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | About Edmond |
ISBN: | 1230001609462 |
Publisher: | YADE |
Publication: | March 26, 2017 |
Imprint: | |
Language: | French |
LES MANGEUSES D’ARGENT.
I
La question Dupin occupe depuis un mois la plus belle moitié de la France. On m’écrit de tous côtés pour me mettre en demeure de donner mon avis sur la crinoline, les châles de l’Inde, les diamants et le luxe effréné des femmes. « Êtes-vous pour ou contre nous ? » me dit une anonyme jeune et charmante, au moins si je l’en crois. Une autre me fait savoir qu’un joli polémiste en jupons, Mme Olympe Audouard, est toute seule sur la brèche, et que nous serions tous des lâches si nous ne soutenions un peu cette héroïne de bien. Une autre assure que toutes les difficultés politiques, philosophiques et financières doivent céder le pas à la grande affaire du jour.
« Pourquoi a-t-on souscrit si vite l’emprunt de la ville de Paris ? Pour qu’il n’en fût plus question, et qu’on revînt au plus tôt à la crinoline. Il paraît que tous les journaux ont consacré au moins un article au luxe effréné. Les Débats ont rempli trois colonnes ; la Revue des Deux-Mondes prépare des arguments nouveaux et décisifs. Allons ! n’attendons pas que l’affaire ait perdu le mérite de l’actualité.
Ce qui frappe à première vue dans cette discussion que j’ai suivie de mon mieux, c’est la déviation progressive du débat et son rétrécissement continu.
Un vertueux pétitionnaire écrit au Sénat pour se plaindre de Mlles X, Y et Z, qui ont éclaboussé sa femme dans la rue et loué une première loge à l’Opéra quand madame étouffait aux troisièmes. Le Sénat, orné de toutes les vertus qui sont le fruit de l’âge et de l’expérience, commence par fermer ses portes, qui, d’ailleurs, ne sont jamais ouvertes, et, dans une intimité deux fois close, cherche s’il n’y aurait pas des mesures à prendre contre le débordement des mauvaises mœurs. Là-dessus, M. Dupin aîné, avec sa brusquerie célèbre, donne un coup de boutoir dans les crinolines légitimes ; il montre que le gaspillage, la sotte vanité et l’inconduite même ne sont pas un monopole aussi restreint qu’on semble le croire. Il imite, dans son honnête rudesse, certain curé de la Rome moderne : le cardinal-vicaire lui demandait la liste exacte des catins de la paroisse ; le curé prit la plume et écrivit séance tenante :
LES MANGEUSES D’ARGENT.
I
La question Dupin occupe depuis un mois la plus belle moitié de la France. On m’écrit de tous côtés pour me mettre en demeure de donner mon avis sur la crinoline, les châles de l’Inde, les diamants et le luxe effréné des femmes. « Êtes-vous pour ou contre nous ? » me dit une anonyme jeune et charmante, au moins si je l’en crois. Une autre me fait savoir qu’un joli polémiste en jupons, Mme Olympe Audouard, est toute seule sur la brèche, et que nous serions tous des lâches si nous ne soutenions un peu cette héroïne de bien. Une autre assure que toutes les difficultés politiques, philosophiques et financières doivent céder le pas à la grande affaire du jour.
« Pourquoi a-t-on souscrit si vite l’emprunt de la ville de Paris ? Pour qu’il n’en fût plus question, et qu’on revînt au plus tôt à la crinoline. Il paraît que tous les journaux ont consacré au moins un article au luxe effréné. Les Débats ont rempli trois colonnes ; la Revue des Deux-Mondes prépare des arguments nouveaux et décisifs. Allons ! n’attendons pas que l’affaire ait perdu le mérite de l’actualité.
Ce qui frappe à première vue dans cette discussion que j’ai suivie de mon mieux, c’est la déviation progressive du débat et son rétrécissement continu.
Un vertueux pétitionnaire écrit au Sénat pour se plaindre de Mlles X, Y et Z, qui ont éclaboussé sa femme dans la rue et loué une première loge à l’Opéra quand madame étouffait aux troisièmes. Le Sénat, orné de toutes les vertus qui sont le fruit de l’âge et de l’expérience, commence par fermer ses portes, qui, d’ailleurs, ne sont jamais ouvertes, et, dans une intimité deux fois close, cherche s’il n’y aurait pas des mesures à prendre contre le débordement des mauvaises mœurs. Là-dessus, M. Dupin aîné, avec sa brusquerie célèbre, donne un coup de boutoir dans les crinolines légitimes ; il montre que le gaspillage, la sotte vanité et l’inconduite même ne sont pas un monopole aussi restreint qu’on semble le croire. Il imite, dans son honnête rudesse, certain curé de la Rome moderne : le cardinal-vicaire lui demandait la liste exacte des catins de la paroisse ; le curé prit la plume et écrivit séance tenante :