L’Illustre Maurin

Fiction & Literature, Short Stories, Romance
Cover of the book L’Illustre Maurin by Aicard Jean, YADE
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Author: Aicard Jean ISBN: 1230001619584
Publisher: YADE Publication: April 2, 2017
Imprint: Language: French
Author: Aicard Jean
ISBN: 1230001619584
Publisher: YADE
Publication: April 2, 2017
Imprint:
Language: French


Où Pastouré, jouant le rôle du chœur antique, met le public au courant des événements qui nous intéressent.

Pastouré, dit Parlo-Seulet, étant seul, dans son lit, chez son frère, aux Cabanes-Vieilles, parlait, comme à son ordinaire, haut et clair :

— Je me l’étais bien dit, que Maurin n’était pas mort. C’était vrai pourtant que ce vilain charbonnier, ce mascaré (noirci), ce diable noir l’avait attaqué au beau milieu de la nuit, pendant que lui, Maurin, assis dans sa cabane de branches, comme il me l’a conté, attendait le sanglier. Il était à l’espère, Maurin, et — je le sais par mon expérience — quand on est ainsi à l’affût, on a l’oreille bien ouverte, on entend les plus petits bruits ; mais on se méfie de soi-même, parce que les petits petits bruits, dans la forêt, vous font l’effet d’un tapage. Une pomme de pin qui tombe vous fait sursauter, on se dit : « Voilà les sangliers ; ils sont plusieurs, toute une bande ! » et de sangliers il n’y en a point… Ou bien, au contraire, on les entend bouïguer (affouiller le sol) et l’on se dit : ce Ce n’est rien, c’est un écureuil qui fait tomber une pigne ! » La nuit on est trompé facilement, dans la forêt, par le vent, par les ombres, par tout. Alors, Maurin, qui avait entendu la broussaille remuer un peu autour de lui, s’est pensé comme ça en lui-même : « Ce n’est rien ! » Et c’était ce méchant mascaré, ce Grondard, qui, le sachant là parce qu’il l’avait épié, s’approchait avec son fusil… Nom de pas Dieu ! il me semble que je le vois !… Il devait avec prudence avancer d’un pas toutes les cinq minutes au plus ! Tout en un coup, il passe le canon de son fusil à travers les branches de la cabane, mais alors Maurin comprend ce qui arrive… Il empoigne le canon de l’arme et le détourne de lui ; le coup part, et le manque !…

« C’est là qu’il a montré de l’esprit, notre Maurin : il a poussé un grand cri terrible, comme un homme blessé à mort, de manière à faire croire à Grondard que la chose pour laquelle il était venu était faite. Et en effet, le coquin, croyant avoir réussi son coup, a filé vivement, au galop, mon homme ! et bien content sans doute !… Les gens qui ne savent rien ont conté que Maurin, au moment où il a été attaqué, venait justement de décharger les deux coups de son fusil sur les sangliers… Ce n’est pas vrai, comme de juste, vu que les sangliers auraient senti ou entendu venir Grondard s’ils avaient été par là… Et comment, enfoui comme il l’était sous les branches, Maurin pouvait-il se défendre autrement que par cette ruse de tomber en criant : « Ma mère ! je suis mort ! » Il est sorti ensuite, son fusil en main, dès qu’il a entendu son ennemi galoper dans le bois, mais allez donc voir, en pleine nuit, un homme qui court sous les bruyères ! Ça n’est pas possible même en plein jour. Enfin, tout est bien qui finit bien, les méchants n’ont pas toujours la victoire et, pour cette fois, Maurin est sauvé…

« C’est égal, il se fait trop d’ennemis : d’abord Grondard ! celui-là croit que c’est Maurin qui a tué son père, une canaille connue pour canaille par le monde entier ; puis Sandri, dont il a pris la fiancée Tonia ; puis Orsini, le père de Tonia, qui aimerait mieux que sa fille épousât le gendarme ; puis ce richard Caboufigue au’il empêche d’être député ; puis Tonia elle-même qui, étant Corsoise, a une manière d’aimer terrible et qui, s’il la rend jalouse, pourra bien lui donner, un de ces quatre matins, un coup de son aiguille corse… Il ne se méfie pas assez des femmes, Maurin ; c’est son péché. Il les aime toutes, il a tort… elles lui joueront un mauvais tour… c’est moi Parlo-Soulet qui me le dis à moi-même !

« Qu’heureusement, pour le quart d’heure, il semble que ses amis ont le dessus.

« Ce M. Rinal, qui aime Maurin, a véritablement de belles connaissances, il a des amis dans le gouvernement et, l’autre jour, à ce ministre qui est venu le voir à Bormes, il a demandé de sauver Maurin qui se le mérite ! Et toutes ces maudites affaires si embrouillées, tous ces procès-barbaux qu’on lui fait chaque fois qu’il prend parti pour la justice juste contre les coquins et les imbéciles, tout ça va être oublié, tout ça sera bientôt comme si ça n’avait jamais été, ni vu ni connu et les ennemis de Maurin, les Grondard et les Sandri en tête, auront, mes beaux anges de Dieu ! un nez long comme d’ici aux Martigues. Après ça, de sûr, il s’en fera faire d’autres, des procès-barbaux, parce que la force de la nature est là, pechère ! mais pendant quelque temps il pourra respirer, pas moins ! Pas longtemps, bien sûr, parce que c’est, je dis, sa nature d’attirer les procès-barbaux, comme on dit que les cyprès attirent les éclairs et le tonnerre.

« Que voulez-vous attendre d’un homme qui ne veut que la vraie justice en ce monde ? Celui-là — je me le comprends — est un homme qui aura toujours contre lui les imbéciles ; et les imbéciles sont une armée, je vous dis, tout le monde en est !

« Que voulez-vous attendre d’un homme qui force un Caboufigue à lui signer un papier par lequel ce richard s’engage à ne pas essayer seulement d’être député ! C’est se mettre contre lui un citoyen plus puissant que le bon Dieu en ce monde, car l’argent, mes amis, l’argent est le roi de toutes les républiques.

« Et le jour où Verdoulet a tué Grondard (car c’est Verdoulet je le sais ; sa femme, qui est une bavarde, a fini par conter toute l’affaire), le jour où Verdoulet a tué Grondard, pourquoi Maurin, — qui l’a vu, — lui a-t-il dit : « Je ne te vendrai jamais ! » Il aurait dû lui dire : « Je ne te vendrai pas, à moins qu’on m’accuse moi. » Mais non, il a promis de ne rien dire ; et comme il a promis il tiendra ; qué couyoun !

« C’est pourtant cela, jusqu’ici, qui est la plus mauvaise accusation de toutes celles que je connais contre lui, vu qu’il s’agit de la vie d’une manière d’homme, quoique Grondard fût un diable ; mais il avait une figure comme vous et moi, — ce qui n’était pas juste !

« Et pourquoi, je vous le demande, Maurin se laisse-t-il accuser, puisqu’il connaît qui a fait le coup ? Ce Grondard était un criminel, que le peuple d’ici appelait la Besti : on l’appelait aussi l’Ogre, pourquoi il donnait la chasse, dans les bois, aux petits enfants qu’il rencontrait. Le jour qui a été celui de sa mort, il poursuivait une fillette qui portait à son père, dans le bois, le dîner de midi. Verdoulet le voit, de loin, prêt à mal faire, et, d’un coup de fusil, il l’abat comme un chien enragé. Maurin n’avait qu’à ne pas se montrer et à tout de suite filer. Mais non, il dit à Verdoulet : « Tu as bien fait ! et je te promets de ne rien dire. » Alors, qu’arrive-t-il ? que Verdoulet, quand on accuse Maurin devant lui, des fois, il a l’air de laisser dire, de croire, comme les autres, que Maurin a fait le coup… Un bon coup pourtant, un fameux coup ! car il a débarrassé le pays d’un homme abominable, d’un voleur, d’un bandit à craindre, d’un citoyen comme il n’en faudrait pas ! d’un coquin pire que les pires !… Mais allez faire comprendre au monde la vraie justice !… Il faut un Maurin pour croire que cela est possible, et il en paiera la farce à la fin, pechère ! sans que moi je puisse rien faire que le voir, et m’en plaindre à moi-même, — puisqu’il ne veut pas que je parle, et attendu que ce qu’il veut je le ferai toujours.

S’étant ainsi donné à lui-même d’abondantes explications qui ne sont pas toutes rapportées ici, Pastouré se tourna dans son lit sur le flanc droit et s’endormit en grommelant.

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Où Pastouré, jouant le rôle du chœur antique, met le public au courant des événements qui nous intéressent.

Pastouré, dit Parlo-Seulet, étant seul, dans son lit, chez son frère, aux Cabanes-Vieilles, parlait, comme à son ordinaire, haut et clair :

— Je me l’étais bien dit, que Maurin n’était pas mort. C’était vrai pourtant que ce vilain charbonnier, ce mascaré (noirci), ce diable noir l’avait attaqué au beau milieu de la nuit, pendant que lui, Maurin, assis dans sa cabane de branches, comme il me l’a conté, attendait le sanglier. Il était à l’espère, Maurin, et — je le sais par mon expérience — quand on est ainsi à l’affût, on a l’oreille bien ouverte, on entend les plus petits bruits ; mais on se méfie de soi-même, parce que les petits petits bruits, dans la forêt, vous font l’effet d’un tapage. Une pomme de pin qui tombe vous fait sursauter, on se dit : « Voilà les sangliers ; ils sont plusieurs, toute une bande ! » et de sangliers il n’y en a point… Ou bien, au contraire, on les entend bouïguer (affouiller le sol) et l’on se dit : ce Ce n’est rien, c’est un écureuil qui fait tomber une pigne ! » La nuit on est trompé facilement, dans la forêt, par le vent, par les ombres, par tout. Alors, Maurin, qui avait entendu la broussaille remuer un peu autour de lui, s’est pensé comme ça en lui-même : « Ce n’est rien ! » Et c’était ce méchant mascaré, ce Grondard, qui, le sachant là parce qu’il l’avait épié, s’approchait avec son fusil… Nom de pas Dieu ! il me semble que je le vois !… Il devait avec prudence avancer d’un pas toutes les cinq minutes au plus ! Tout en un coup, il passe le canon de son fusil à travers les branches de la cabane, mais alors Maurin comprend ce qui arrive… Il empoigne le canon de l’arme et le détourne de lui ; le coup part, et le manque !…

« C’est là qu’il a montré de l’esprit, notre Maurin : il a poussé un grand cri terrible, comme un homme blessé à mort, de manière à faire croire à Grondard que la chose pour laquelle il était venu était faite. Et en effet, le coquin, croyant avoir réussi son coup, a filé vivement, au galop, mon homme ! et bien content sans doute !… Les gens qui ne savent rien ont conté que Maurin, au moment où il a été attaqué, venait justement de décharger les deux coups de son fusil sur les sangliers… Ce n’est pas vrai, comme de juste, vu que les sangliers auraient senti ou entendu venir Grondard s’ils avaient été par là… Et comment, enfoui comme il l’était sous les branches, Maurin pouvait-il se défendre autrement que par cette ruse de tomber en criant : « Ma mère ! je suis mort ! » Il est sorti ensuite, son fusil en main, dès qu’il a entendu son ennemi galoper dans le bois, mais allez donc voir, en pleine nuit, un homme qui court sous les bruyères ! Ça n’est pas possible même en plein jour. Enfin, tout est bien qui finit bien, les méchants n’ont pas toujours la victoire et, pour cette fois, Maurin est sauvé…

« C’est égal, il se fait trop d’ennemis : d’abord Grondard ! celui-là croit que c’est Maurin qui a tué son père, une canaille connue pour canaille par le monde entier ; puis Sandri, dont il a pris la fiancée Tonia ; puis Orsini, le père de Tonia, qui aimerait mieux que sa fille épousât le gendarme ; puis ce richard Caboufigue au’il empêche d’être député ; puis Tonia elle-même qui, étant Corsoise, a une manière d’aimer terrible et qui, s’il la rend jalouse, pourra bien lui donner, un de ces quatre matins, un coup de son aiguille corse… Il ne se méfie pas assez des femmes, Maurin ; c’est son péché. Il les aime toutes, il a tort… elles lui joueront un mauvais tour… c’est moi Parlo-Soulet qui me le dis à moi-même !

« Qu’heureusement, pour le quart d’heure, il semble que ses amis ont le dessus.

« Ce M. Rinal, qui aime Maurin, a véritablement de belles connaissances, il a des amis dans le gouvernement et, l’autre jour, à ce ministre qui est venu le voir à Bormes, il a demandé de sauver Maurin qui se le mérite ! Et toutes ces maudites affaires si embrouillées, tous ces procès-barbaux qu’on lui fait chaque fois qu’il prend parti pour la justice juste contre les coquins et les imbéciles, tout ça va être oublié, tout ça sera bientôt comme si ça n’avait jamais été, ni vu ni connu et les ennemis de Maurin, les Grondard et les Sandri en tête, auront, mes beaux anges de Dieu ! un nez long comme d’ici aux Martigues. Après ça, de sûr, il s’en fera faire d’autres, des procès-barbaux, parce que la force de la nature est là, pechère ! mais pendant quelque temps il pourra respirer, pas moins ! Pas longtemps, bien sûr, parce que c’est, je dis, sa nature d’attirer les procès-barbaux, comme on dit que les cyprès attirent les éclairs et le tonnerre.

« Que voulez-vous attendre d’un homme qui ne veut que la vraie justice en ce monde ? Celui-là — je me le comprends — est un homme qui aura toujours contre lui les imbéciles ; et les imbéciles sont une armée, je vous dis, tout le monde en est !

« Que voulez-vous attendre d’un homme qui force un Caboufigue à lui signer un papier par lequel ce richard s’engage à ne pas essayer seulement d’être député ! C’est se mettre contre lui un citoyen plus puissant que le bon Dieu en ce monde, car l’argent, mes amis, l’argent est le roi de toutes les républiques.

« Et le jour où Verdoulet a tué Grondard (car c’est Verdoulet je le sais ; sa femme, qui est une bavarde, a fini par conter toute l’affaire), le jour où Verdoulet a tué Grondard, pourquoi Maurin, — qui l’a vu, — lui a-t-il dit : « Je ne te vendrai jamais ! » Il aurait dû lui dire : « Je ne te vendrai pas, à moins qu’on m’accuse moi. » Mais non, il a promis de ne rien dire ; et comme il a promis il tiendra ; qué couyoun !

« C’est pourtant cela, jusqu’ici, qui est la plus mauvaise accusation de toutes celles que je connais contre lui, vu qu’il s’agit de la vie d’une manière d’homme, quoique Grondard fût un diable ; mais il avait une figure comme vous et moi, — ce qui n’était pas juste !

« Et pourquoi, je vous le demande, Maurin se laisse-t-il accuser, puisqu’il connaît qui a fait le coup ? Ce Grondard était un criminel, que le peuple d’ici appelait la Besti : on l’appelait aussi l’Ogre, pourquoi il donnait la chasse, dans les bois, aux petits enfants qu’il rencontrait. Le jour qui a été celui de sa mort, il poursuivait une fillette qui portait à son père, dans le bois, le dîner de midi. Verdoulet le voit, de loin, prêt à mal faire, et, d’un coup de fusil, il l’abat comme un chien enragé. Maurin n’avait qu’à ne pas se montrer et à tout de suite filer. Mais non, il dit à Verdoulet : « Tu as bien fait ! et je te promets de ne rien dire. » Alors, qu’arrive-t-il ? que Verdoulet, quand on accuse Maurin devant lui, des fois, il a l’air de laisser dire, de croire, comme les autres, que Maurin a fait le coup… Un bon coup pourtant, un fameux coup ! car il a débarrassé le pays d’un homme abominable, d’un voleur, d’un bandit à craindre, d’un citoyen comme il n’en faudrait pas ! d’un coquin pire que les pires !… Mais allez faire comprendre au monde la vraie justice !… Il faut un Maurin pour croire que cela est possible, et il en paiera la farce à la fin, pechère ! sans que moi je puisse rien faire que le voir, et m’en plaindre à moi-même, — puisqu’il ne veut pas que je parle, et attendu que ce qu’il veut je le ferai toujours.

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