Le voyage d’un homme heureux

Fiction & Literature, Classics
Cover of the book Le voyage d’un homme heureux by JULES JANIN, GILBERT TEROL
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Author: JULES JANIN ISBN: 1230000215205
Publisher: GILBERT TEROL Publication: February 2, 2014
Imprint: Language: French
Author: JULES JANIN
ISBN: 1230000215205
Publisher: GILBERT TEROL
Publication: February 2, 2014
Imprint:
Language: French

Je n’ai pas oublié, madame, que vous m’avez permis de vous écrire, et véritablement vous m’avez accoutumé à tant de bonté et d’indulgence, que je serais bien ingrat et bien mal élevé si vous n’aviez pas au moins cette marque de mon souvenir et de mes respects. D’ailleurs j’ai été si heureux pendant ces deux dernières semaines, j’ai oublié si fort le travail et l’agitation de chaque jour, le midi de la France et l’Italie se sont emparés si complètement de mon ame et de mon cœur, qu’il faut absolument que je dise à ceux qui sont restés à la ville les heureuses et charmantes émotions de ce voyage. Donc je suis parti de Paris le 24 août, un peu bien triste il est vrai, car j’aime tant tous ceux que j’aime et je suis si bien le lendemain l’homme de la veille, que renoncer, même pour un mois, à mes amis, à mon travail, à mes beaux rêves, à ma douce flânerie à travers les émotions contemporaines, cela me coûte bien plus que je ne sais vous dire. Cependant nous voilà partis en toute hâte, tout d’un coup, sans plus de précautions, que le héros du Voyage sentimental.- Nous ferons notre valise en chemin et nous nous dirons adieu dans la forêt de Fontainebleau – Adieu donc, et voilà la grande route qui s’empare de nous comme de sa proie. Nous marchons vite, à quatre chevaux comme des gentilshommes en vacances, faisant claquer notre fouet, il fallait voir. Le mouvement, le bruit, la poussière, le soleil, les joyeux hennissemens du chemin, tout nous charme. Le plaisir d’aller tout droit devant soi, c’est si bon ! Voici déjà Fontainebleau, la ville royale ; nous saluons cet entassement de châteaux qui se prélassent dans leurs jardins français. Le soir venu, nous faisons halte dans une vieille auberge dont le jardin est entouré d’eaux murmurantes ; de la fenêtre encadrée de lierre, nous voyons passer dans la rue une nouvelle mariée du village ; cette nouvelle mariée, ce n’était rien moins qu’une jeune et belle personne parisienne, naguère encore l’honneur de l’Opéra, des Italiens, des bals et des fêtes, de tous les lieux où il s’agit d’être belle et parée, et qui, renonçant au monde, au Satan parisien, à ses pompes et à ses œuvres, venait d’épouser modestement le maître de poste de l’endroit, un beau jeune homme qui avait l’air de lui dire - Vous n’en serez pas fâchée, ma belle comtesse. Ainsi va le monde. Autrefois c’étaient les princes qui épousaient les bergères. La jeune et belle dame nous fait en passant un aimable sourire, nous vidons nos verres à sa santé, et puis en voiture ! Cependant le ciel s’était chargé d’orage ; dans le nuage grondeur brillait l’éclair innocent du mois d’août ; notre bonne hôtesse, qui nous avait adoptés parce qu’après tout elle nous avait trouvés faciles à vivre, nous disait : — Ne partez pas ! vous allez avoir la tempête ; restez ici cette nuit, vous partirez demain après l’orage. — Non pas demain, tout de suite ; Paris n’est pas déjà si loin qu’il ne puisse nous atteindre ; partons, car déjà il me semble que je vois s’allumer les lustres du théâtre ; il me semble que j’entends les accords de l’orchestre ; cette voix rauque qui gémit sous la porte cochère, n’est-ce pas, je vous prie, le tragédien qui déjà lance ses vers ? Partons donc, et vive l’orage !

Une seule lumière brillait dans cette profonde nuit, un seul bruit se faisait entendre, c’était la jeune Parisienne qui déjà préparait de son mieux toutes choses dans son petit Glandier, où elle était fort décidée à se laisser être heureuse. A travers la glace brillante de sa fenêtre se pouvait distinguer son pâle et gracieux profil. — Mais bientôt le dernier accord du piano se perd dans le lointain ; les chevaux se précipitent, l’éclair aussi ; du pavé jaillit l’éclair et aussi du nuage : quelle tempête ! quel fracas ! Le vieux postillon (hélas ! le pauvre homme se mourait de la phthisie pulmonaire) nous supplie de ne pas aller plus loin ; il assure qu’il ne distingue plus le chemin pavé du précipice, et il disait cela d’une voix grelottante ! Nous nous sommes arrêtés au milieu de la route jusqu’au jour. C’étaient des éclairs comme on n’en voit guère qu’au sommet du mont Sinaï, dans la Bible ; c’était un bruit à tout briser. Mais, ô surprise, le matin venu, soudain tout ce feu brûlant n’est plus que la douce lueur du crépuscule ; ce bruit de nuages qui s’entrechoquent fait place aux accens de l’oiseau matinal ; cet ouragan devient rosée ; le vieux postillon asthmatique est remplacé par un beau jeune homme de vingt ans. Encore une fois en avant. On passe à Pouilly ; ce n’est pas tout-à-fait le véritable Pouilly, mais on y boit un honnête petit vin blanc, et l’on rêve le reste. Nous traversons une mer sablonneuse, et l’on nous dit que c’est la Loire ; c’est bien le cas de dire comme je ne sais quel démon de M. Hugo : — Capricieuse ! Le soir, nous étions à Moulins. Là on se repose, on s’habille, on se fait beau, et six heures après on se met en route ; mais pourquoi aller si vite ? qui vous presse ? qu’avez-vous à faire ? Eh ! le plaisir d’aller vite ; pour quoi donc le comptez-vous ? Un postillon chante d’une voix rauque une de nos chansons nationales.

Monsieur la Palice est mort ;
Un quart d’heure avant sa mort
Il était encore en vie.

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Je n’ai pas oublié, madame, que vous m’avez permis de vous écrire, et véritablement vous m’avez accoutumé à tant de bonté et d’indulgence, que je serais bien ingrat et bien mal élevé si vous n’aviez pas au moins cette marque de mon souvenir et de mes respects. D’ailleurs j’ai été si heureux pendant ces deux dernières semaines, j’ai oublié si fort le travail et l’agitation de chaque jour, le midi de la France et l’Italie se sont emparés si complètement de mon ame et de mon cœur, qu’il faut absolument que je dise à ceux qui sont restés à la ville les heureuses et charmantes émotions de ce voyage. Donc je suis parti de Paris le 24 août, un peu bien triste il est vrai, car j’aime tant tous ceux que j’aime et je suis si bien le lendemain l’homme de la veille, que renoncer, même pour un mois, à mes amis, à mon travail, à mes beaux rêves, à ma douce flânerie à travers les émotions contemporaines, cela me coûte bien plus que je ne sais vous dire. Cependant nous voilà partis en toute hâte, tout d’un coup, sans plus de précautions, que le héros du Voyage sentimental.- Nous ferons notre valise en chemin et nous nous dirons adieu dans la forêt de Fontainebleau – Adieu donc, et voilà la grande route qui s’empare de nous comme de sa proie. Nous marchons vite, à quatre chevaux comme des gentilshommes en vacances, faisant claquer notre fouet, il fallait voir. Le mouvement, le bruit, la poussière, le soleil, les joyeux hennissemens du chemin, tout nous charme. Le plaisir d’aller tout droit devant soi, c’est si bon ! Voici déjà Fontainebleau, la ville royale ; nous saluons cet entassement de châteaux qui se prélassent dans leurs jardins français. Le soir venu, nous faisons halte dans une vieille auberge dont le jardin est entouré d’eaux murmurantes ; de la fenêtre encadrée de lierre, nous voyons passer dans la rue une nouvelle mariée du village ; cette nouvelle mariée, ce n’était rien moins qu’une jeune et belle personne parisienne, naguère encore l’honneur de l’Opéra, des Italiens, des bals et des fêtes, de tous les lieux où il s’agit d’être belle et parée, et qui, renonçant au monde, au Satan parisien, à ses pompes et à ses œuvres, venait d’épouser modestement le maître de poste de l’endroit, un beau jeune homme qui avait l’air de lui dire - Vous n’en serez pas fâchée, ma belle comtesse. Ainsi va le monde. Autrefois c’étaient les princes qui épousaient les bergères. La jeune et belle dame nous fait en passant un aimable sourire, nous vidons nos verres à sa santé, et puis en voiture ! Cependant le ciel s’était chargé d’orage ; dans le nuage grondeur brillait l’éclair innocent du mois d’août ; notre bonne hôtesse, qui nous avait adoptés parce qu’après tout elle nous avait trouvés faciles à vivre, nous disait : — Ne partez pas ! vous allez avoir la tempête ; restez ici cette nuit, vous partirez demain après l’orage. — Non pas demain, tout de suite ; Paris n’est pas déjà si loin qu’il ne puisse nous atteindre ; partons, car déjà il me semble que je vois s’allumer les lustres du théâtre ; il me semble que j’entends les accords de l’orchestre ; cette voix rauque qui gémit sous la porte cochère, n’est-ce pas, je vous prie, le tragédien qui déjà lance ses vers ? Partons donc, et vive l’orage !

Une seule lumière brillait dans cette profonde nuit, un seul bruit se faisait entendre, c’était la jeune Parisienne qui déjà préparait de son mieux toutes choses dans son petit Glandier, où elle était fort décidée à se laisser être heureuse. A travers la glace brillante de sa fenêtre se pouvait distinguer son pâle et gracieux profil. — Mais bientôt le dernier accord du piano se perd dans le lointain ; les chevaux se précipitent, l’éclair aussi ; du pavé jaillit l’éclair et aussi du nuage : quelle tempête ! quel fracas ! Le vieux postillon (hélas ! le pauvre homme se mourait de la phthisie pulmonaire) nous supplie de ne pas aller plus loin ; il assure qu’il ne distingue plus le chemin pavé du précipice, et il disait cela d’une voix grelottante ! Nous nous sommes arrêtés au milieu de la route jusqu’au jour. C’étaient des éclairs comme on n’en voit guère qu’au sommet du mont Sinaï, dans la Bible ; c’était un bruit à tout briser. Mais, ô surprise, le matin venu, soudain tout ce feu brûlant n’est plus que la douce lueur du crépuscule ; ce bruit de nuages qui s’entrechoquent fait place aux accens de l’oiseau matinal ; cet ouragan devient rosée ; le vieux postillon asthmatique est remplacé par un beau jeune homme de vingt ans. Encore une fois en avant. On passe à Pouilly ; ce n’est pas tout-à-fait le véritable Pouilly, mais on y boit un honnête petit vin blanc, et l’on rêve le reste. Nous traversons une mer sablonneuse, et l’on nous dit que c’est la Loire ; c’est bien le cas de dire comme je ne sais quel démon de M. Hugo : — Capricieuse ! Le soir, nous étions à Moulins. Là on se repose, on s’habille, on se fait beau, et six heures après on se met en route ; mais pourquoi aller si vite ? qui vous presse ? qu’avez-vous à faire ? Eh ! le plaisir d’aller vite ; pour quoi donc le comptez-vous ? Un postillon chante d’une voix rauque une de nos chansons nationales.

Monsieur la Palice est mort ;
Un quart d’heure avant sa mort
Il était encore en vie.

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