Author: | EUGÈNE SUE | ISBN: | 1230000212571 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | January 24, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | EUGÈNE SUE |
ISBN: | 1230000212571 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | January 24, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
Pendant la nuit, l’aspect de l’île habitée par la famille Martial était sinistre ; mais, à la brillante clarté du soleil, rien de plus riant que ce séjour maudit.
Bordée de saules et de peupliers, presque entièrement couverte d’une herbe épaisse, où serpentaient quelques allées de sable jaune, l’île renfermait un petit jardin potager et un assez grand nombre d’arbres à fruits. Au milieu de ce verger on voyait la baraque à toit de chaume dans laquelle Martial voulait se retirer avec François et Amandine. De ce côté, l’île se terminait à sa pointe par une sorte d’estacade formée de gros pieux destinés à contenir l’éboulement des terres.
Devant la maison, touchant presque au débarcadère, s’arrondissait une tonnelle de treillage vert, destinée à supporter pendant l’été les tiges grimpantes de la vigne vierge et du houblon, berceau de verdure sous lequel on disposait alors les tables des buveurs.
À l’une des extrémités de la maison, peinte en blanc et recouverte de tuiles, un bûcher surmonté d’un grenier formait en retour une petite aile beaucoup plus basse que le corps de logis principal. Presque au-dessus de cette aile on remarquait une fenêtre aux volets garnis de plaques de tôle, et extérieurement condamnés par deux barres de fer transversales, que de forts crampons fixaient au mur.
Trois bachots se balançaient, amarrés aux pilotis du débarcadère.
Accroupi au fond de l’un de ces bachots, Nicolas s’assurait du libre jeu de la soupape qu’il y avait adaptée.
Debout sur un banc situé en dehors de la tonnelle, Calebasse, la main placée au-dessus de ses yeux en manière d’abat-jour, regardait au loin dans la direction que madame Séraphin et Fleur-de-Marie devaient suivre pour se rendre à l’île.
– Personne ne paraît encore, ni vieille ni jeune — dit Calebasse en descendant de son banc et s’adressant à Nicolas. — Ce sera comme hier ! nous aurons attendu pour le roi de Prusse. Si ces femmes n’arrivent pas avant une demi-heure… il faudra partir ; le coup de Bras-Rouge vaut mieux, il nous attend. La courtière doit venir à cinq heures chez lui, aux Champs-Élysées. Il faut que nous soyons arrivés avant elle. Ce matin la Chouette nous l’a répété…
– Tu as raison — reprit Nicolas en quittant son bateau. — Que le tonnerre écrase cette vieille qui nous fait droguer pour rien ! La soupape va… comme un charme… Des deux affaires nous n’en aurons peut-être pas une…
– Du reste, Bras-Rouge et Barbillon ont besoin de nous… à eux deux ils ne peuvent rien.
– C’est vrai ; car, pendant qu’on fera le coup, il faudra que Bras-Rouge reste en dehors de son cabaret pour être au guet, et Barbillon n’est pas assez fort pour entraîner à lui tout seul la courtière dans le caveau… elle regimbera, cette vieille.
– Est-ce que la Chouette ne nous disait pas en riant, qu’elle y tenait le Maître d’école… en pension… dans ce caveau ?
– Pas dans celui-là. Dans un autre qui est bien plus profond, et qui est inondé quand la rivière est haute.
– Doit-il marronner dans ce caveau, le Maître d’école ! Être là-dedans tout seul, et aveugle !
– Il y verrait clair qu’il n’y verrait pas autre chose : le caveau est noir comme un four.
– C’est égal, quand il a fini de chanter, pour se distraire, toutes les romances qu’il sait, le temps doit lui paraître joliment long.
– La Chouette dit qu’il s’amuse à faire la chasse aux rats, et que ce caveau-là est très-giboyeux…
– Dis donc, Nicolas, à propos de particuliers qui doivent s’ennuyer et marronner — reprit Calebasse avec un sourire féroce, en montrant du doigt la fenêtre garnie de plaques de tôle — il y en a là un qui doit se manger le sang.
– Bah !… il dort… Depuis ce matin il ne cogne plus… et son chien est muet.
– Peut-être qu’il l’a étranglé pour le manger. Depuis deux jours ils doivent tous deux enrager la faim et la soif là-dedans.
– Ça les regarde… Martial peut durer encore longtemps comme ça, si ça l’amuse. Quand il sera fini… on dira qu’il est mort de maladie ; ça ne fera pas un pli.
– Tu crois ?
– Bien sûr. En allant ce matin à Asnières, la mère a rencontré le père Férot, le pêcheur, comme il s’étonnait de ne pas avoir vu son ami Martial depuis deux jours, la mère lui a dit que Martial ne quittait pas son lit, tant il était malade, et qu’on désespérait de lui… Le père Férot a avalé ça doux comme miel… il le redira à d’autres… et quand la chose arrivera… elle paraîtra toute simple.
– Oui, mais il ne mourra pas encore tout de suite ; c’est long de cette manière-là…
– Qu’est-ce que tu veux ? il n’y avait pas moyen d’en venir à bout autrement. Cet enragé de Martial, quand il s’y met, est méchant en diable, et fort comme un taureau, par là-dessus ; il se défiait, nous n’aurions pas pu l’approcher sans danger ; tandis que sa porte une fois bien clouée en dehors, qu’est-ce qu’il pouvait faire ? Sa fenêtre était grillée.
– Tiens… il pouvait desceller les barreaux… en creusant le plâtre avec son couteau, ce qu’il aurait fait si, montée à l’échelle, je ne lui avais pas déchiqueté les mains à coups de hachette toutes les fois qu’il voulait commencer son ouvrage.
– Quelle faction ! dit le brigand en ricanant ; — c’est toi qui as dû t’amuser !
Pendant la nuit, l’aspect de l’île habitée par la famille Martial était sinistre ; mais, à la brillante clarté du soleil, rien de plus riant que ce séjour maudit.
Bordée de saules et de peupliers, presque entièrement couverte d’une herbe épaisse, où serpentaient quelques allées de sable jaune, l’île renfermait un petit jardin potager et un assez grand nombre d’arbres à fruits. Au milieu de ce verger on voyait la baraque à toit de chaume dans laquelle Martial voulait se retirer avec François et Amandine. De ce côté, l’île se terminait à sa pointe par une sorte d’estacade formée de gros pieux destinés à contenir l’éboulement des terres.
Devant la maison, touchant presque au débarcadère, s’arrondissait une tonnelle de treillage vert, destinée à supporter pendant l’été les tiges grimpantes de la vigne vierge et du houblon, berceau de verdure sous lequel on disposait alors les tables des buveurs.
À l’une des extrémités de la maison, peinte en blanc et recouverte de tuiles, un bûcher surmonté d’un grenier formait en retour une petite aile beaucoup plus basse que le corps de logis principal. Presque au-dessus de cette aile on remarquait une fenêtre aux volets garnis de plaques de tôle, et extérieurement condamnés par deux barres de fer transversales, que de forts crampons fixaient au mur.
Trois bachots se balançaient, amarrés aux pilotis du débarcadère.
Accroupi au fond de l’un de ces bachots, Nicolas s’assurait du libre jeu de la soupape qu’il y avait adaptée.
Debout sur un banc situé en dehors de la tonnelle, Calebasse, la main placée au-dessus de ses yeux en manière d’abat-jour, regardait au loin dans la direction que madame Séraphin et Fleur-de-Marie devaient suivre pour se rendre à l’île.
– Personne ne paraît encore, ni vieille ni jeune — dit Calebasse en descendant de son banc et s’adressant à Nicolas. — Ce sera comme hier ! nous aurons attendu pour le roi de Prusse. Si ces femmes n’arrivent pas avant une demi-heure… il faudra partir ; le coup de Bras-Rouge vaut mieux, il nous attend. La courtière doit venir à cinq heures chez lui, aux Champs-Élysées. Il faut que nous soyons arrivés avant elle. Ce matin la Chouette nous l’a répété…
– Tu as raison — reprit Nicolas en quittant son bateau. — Que le tonnerre écrase cette vieille qui nous fait droguer pour rien ! La soupape va… comme un charme… Des deux affaires nous n’en aurons peut-être pas une…
– Du reste, Bras-Rouge et Barbillon ont besoin de nous… à eux deux ils ne peuvent rien.
– C’est vrai ; car, pendant qu’on fera le coup, il faudra que Bras-Rouge reste en dehors de son cabaret pour être au guet, et Barbillon n’est pas assez fort pour entraîner à lui tout seul la courtière dans le caveau… elle regimbera, cette vieille.
– Est-ce que la Chouette ne nous disait pas en riant, qu’elle y tenait le Maître d’école… en pension… dans ce caveau ?
– Pas dans celui-là. Dans un autre qui est bien plus profond, et qui est inondé quand la rivière est haute.
– Doit-il marronner dans ce caveau, le Maître d’école ! Être là-dedans tout seul, et aveugle !
– Il y verrait clair qu’il n’y verrait pas autre chose : le caveau est noir comme un four.
– C’est égal, quand il a fini de chanter, pour se distraire, toutes les romances qu’il sait, le temps doit lui paraître joliment long.
– La Chouette dit qu’il s’amuse à faire la chasse aux rats, et que ce caveau-là est très-giboyeux…
– Dis donc, Nicolas, à propos de particuliers qui doivent s’ennuyer et marronner — reprit Calebasse avec un sourire féroce, en montrant du doigt la fenêtre garnie de plaques de tôle — il y en a là un qui doit se manger le sang.
– Bah !… il dort… Depuis ce matin il ne cogne plus… et son chien est muet.
– Peut-être qu’il l’a étranglé pour le manger. Depuis deux jours ils doivent tous deux enrager la faim et la soif là-dedans.
– Ça les regarde… Martial peut durer encore longtemps comme ça, si ça l’amuse. Quand il sera fini… on dira qu’il est mort de maladie ; ça ne fera pas un pli.
– Tu crois ?
– Bien sûr. En allant ce matin à Asnières, la mère a rencontré le père Férot, le pêcheur, comme il s’étonnait de ne pas avoir vu son ami Martial depuis deux jours, la mère lui a dit que Martial ne quittait pas son lit, tant il était malade, et qu’on désespérait de lui… Le père Férot a avalé ça doux comme miel… il le redira à d’autres… et quand la chose arrivera… elle paraîtra toute simple.
– Oui, mais il ne mourra pas encore tout de suite ; c’est long de cette manière-là…
– Qu’est-ce que tu veux ? il n’y avait pas moyen d’en venir à bout autrement. Cet enragé de Martial, quand il s’y met, est méchant en diable, et fort comme un taureau, par là-dessus ; il se défiait, nous n’aurions pas pu l’approcher sans danger ; tandis que sa porte une fois bien clouée en dehors, qu’est-ce qu’il pouvait faire ? Sa fenêtre était grillée.
– Tiens… il pouvait desceller les barreaux… en creusant le plâtre avec son couteau, ce qu’il aurait fait si, montée à l’échelle, je ne lui avais pas déchiqueté les mains à coups de hachette toutes les fois qu’il voulait commencer son ouvrage.
– Quelle faction ! dit le brigand en ricanant ; — c’est toi qui as dû t’amuser !