Author: | JEAN ANTOINE CHAPTAL | ISBN: | 1230000212893 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | January 25, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | JEAN ANTOINE CHAPTAL |
ISBN: | 1230000212893 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | January 25, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
Napoléon Buonaparte naquit à Ajaccio le 15 août 1769. (Je l’appellerai Bonaparte, parce que, dans la campagne d’Italie, où il se couvrit de gloire, il supprima l’u de son nom, pour ne plus paraître d’origine étrangère.)
Il était le second d’une famille qui a compté quatre garçons et trois filles, et qui n’avait ni fortune ni illustration. Dès qu’il fut arrivé à la suprême puissance, il ne manqua pas de généalogistes dont un le faisait descendre des empereurs de Trébizonde. Lorsqu’on lui présenta cette généalogie, Bonaparte répondit : « C’est celle de tous les Corses, mais la mienne est toute française ; elle date du 18 brumaire. »
Je ne lui ai jamais entendu parler ni de sa noblesse ni de ses aïeux.
Sa mère, Lætitiæ Fesch, a été une très belle femme, et c’est à ses liaisons avec M. de Marbeuf, gouverneur de l’île, que le jeune Napoléon a dû de pouvoir entrer dans la carrière militaire et d’obtenir une place gratuite à l’école royale de Brienne.
Le jeune Napoléon annonça de bonne heure un goût particulier pour les études abstraites. Sa mère m’a dit souvent que son fils Napoléon n’avait jamais partagé les amusements des enfants de son âge, qu’il les évitait avec soin, et que, très jeune encore, il s’était fait donner une petite chambre au troisième étage de la maison, dans laquelle il restait renfermé seul et ne descendait même pas très souvent pour manger avec sa famille. Là, il lisait constamment, surtout des livres d’histoire.
Lorsqu’il lui arrivait quelquefois de se trouver dans la société, ou bien il ne prenait aucune part à la conversation, ou il frondait l’opinion dominante avec humeur. Un jour que M. de Marbeuf parlait des moyens qu’il allait employer pour pacifier la Corse : « Bah ! » répondit brusquement Napoléon, alors âgé de dix à douze ans, « dix jours de règne d’un pacha feraient plus pour pacifier la Corse que dix ans de votre gouvernement », et il remonta dans sa chambre.
Les études à l’école de Brienne avaient tellement altéré sa santé que sa mère, qui en fut instruite, fit le voyage pour l’en retirer. Elle consulta d’abord les professeurs pour savoir si son fils pouvait continuer son instruction sans compromettre sa santé. Tous l’assurèrent que, quoique prodigieusement maigri, il se portait bien ; mais le professeur de mathématiques observa qu’elle devait le retirer, parce qu’il perdait son temps depuis six mois. Comme sa mère paraissait attristée du propos, le professeur ajouta de suite : « Je dis qu’il perd son temps, parce qu’aucun de nous n’a plus rien à lui enseigner qu’il ne sache. »
Je tiens ces faits de madame sa mère. La famille de M. de Brienne l’avait distingué à l’école, le recevait au château et lui permettait de disposer de ses chevaux pour se promener dans le voisinage. Bonaparte en parlait souvent avec l’expression de la plus vive reconnaissance, ainsi que des bontés qu’avait eues pour lui M. de Marbeuf en Corse. Pendant son règne, il a recherché avec empressement tous les membres de ces deux familles et les a comblés de déférence et de bon accueil.
Lorsque la Révolution éclata, Napoléon avait alors vingt ans. À cet âge, un jeune homme, nourri de l’histoire des peuples et des révolutions des empires, ouvre aisément son âme aux espérances qu’on lui donne et à tout le bien qu’on lui promet. Il compte pour rien les institutions qui ont subi l’épreuve du temps, et les habitudes sociales qui forment le caractère et la loi des peuples. Bonaparte entra donc avec ardeur dans la carrière de la Révolution, et il y porta cet esprit inquiet, frondeur et absolu qu’il avait manifesté jusque-là.
À l’école d’application de Valence, où il continuait ses études comme officier d’artillerie, il se fit bientôt distinguer par ses principes démocratiques et par la profondeur de ses connaissances dans son art, surtout par les vues nouvelles qu’il émettait et les changements qu’il proposait. Tous les officiers supérieurs le signalaient déjà comme un homme qui parviendrait à la première place du corps et surpasserait tout ce que l’arme de l’artillerie avait eu de plus célèbre. M. de Montalivet, qui l’avait beaucoup connu à Valence, m’a rapporté plusieurs fois ces faits.
L’application à ses devoirs et ses études sur son art ne l’empêchaient pas de s’occuper de politique, et, là-dessus comme sur tout le reste, il était absolu dans ses opinions. Un jour, il se trouva à dîner, à la campagne, avec plusieurs de ses camarades ; une question s’engagea entre eux sur les pouvoirs d’une représentation nationale, et une discussion très vive eut lieu à ce sujet entre lui et le capitaine de sa compagnie. Bonaparte partit à pied pour s’en retourner à Valence. Un orage qui survint l’obligea à se mettre à l’abri sous un arbre. Son capitaine passa, un moment après, dans son cabriolet, seul, et fit semblant de ne pas le reconnaître. Napoléon, parvenu au faîte du pouvoir, ne lui a jamais pardonné ce manque de courtoisie, et lorsque MM. de Montalivet, de Pommereul et autres, lui ont demandé de l’avancement pour cet officier, il s’y est constamment refusé en leur disant que c’était un mauvais cœur. Cette conduite a dû paraître d’autant plus étonnante à ceux qui en ignoraient les motifs, qu’il a recherché et placé avantageusement tous ceux qu’il avait connus à cette époque.
Napoléon Buonaparte naquit à Ajaccio le 15 août 1769. (Je l’appellerai Bonaparte, parce que, dans la campagne d’Italie, où il se couvrit de gloire, il supprima l’u de son nom, pour ne plus paraître d’origine étrangère.)
Il était le second d’une famille qui a compté quatre garçons et trois filles, et qui n’avait ni fortune ni illustration. Dès qu’il fut arrivé à la suprême puissance, il ne manqua pas de généalogistes dont un le faisait descendre des empereurs de Trébizonde. Lorsqu’on lui présenta cette généalogie, Bonaparte répondit : « C’est celle de tous les Corses, mais la mienne est toute française ; elle date du 18 brumaire. »
Je ne lui ai jamais entendu parler ni de sa noblesse ni de ses aïeux.
Sa mère, Lætitiæ Fesch, a été une très belle femme, et c’est à ses liaisons avec M. de Marbeuf, gouverneur de l’île, que le jeune Napoléon a dû de pouvoir entrer dans la carrière militaire et d’obtenir une place gratuite à l’école royale de Brienne.
Le jeune Napoléon annonça de bonne heure un goût particulier pour les études abstraites. Sa mère m’a dit souvent que son fils Napoléon n’avait jamais partagé les amusements des enfants de son âge, qu’il les évitait avec soin, et que, très jeune encore, il s’était fait donner une petite chambre au troisième étage de la maison, dans laquelle il restait renfermé seul et ne descendait même pas très souvent pour manger avec sa famille. Là, il lisait constamment, surtout des livres d’histoire.
Lorsqu’il lui arrivait quelquefois de se trouver dans la société, ou bien il ne prenait aucune part à la conversation, ou il frondait l’opinion dominante avec humeur. Un jour que M. de Marbeuf parlait des moyens qu’il allait employer pour pacifier la Corse : « Bah ! » répondit brusquement Napoléon, alors âgé de dix à douze ans, « dix jours de règne d’un pacha feraient plus pour pacifier la Corse que dix ans de votre gouvernement », et il remonta dans sa chambre.
Les études à l’école de Brienne avaient tellement altéré sa santé que sa mère, qui en fut instruite, fit le voyage pour l’en retirer. Elle consulta d’abord les professeurs pour savoir si son fils pouvait continuer son instruction sans compromettre sa santé. Tous l’assurèrent que, quoique prodigieusement maigri, il se portait bien ; mais le professeur de mathématiques observa qu’elle devait le retirer, parce qu’il perdait son temps depuis six mois. Comme sa mère paraissait attristée du propos, le professeur ajouta de suite : « Je dis qu’il perd son temps, parce qu’aucun de nous n’a plus rien à lui enseigner qu’il ne sache. »
Je tiens ces faits de madame sa mère. La famille de M. de Brienne l’avait distingué à l’école, le recevait au château et lui permettait de disposer de ses chevaux pour se promener dans le voisinage. Bonaparte en parlait souvent avec l’expression de la plus vive reconnaissance, ainsi que des bontés qu’avait eues pour lui M. de Marbeuf en Corse. Pendant son règne, il a recherché avec empressement tous les membres de ces deux familles et les a comblés de déférence et de bon accueil.
Lorsque la Révolution éclata, Napoléon avait alors vingt ans. À cet âge, un jeune homme, nourri de l’histoire des peuples et des révolutions des empires, ouvre aisément son âme aux espérances qu’on lui donne et à tout le bien qu’on lui promet. Il compte pour rien les institutions qui ont subi l’épreuve du temps, et les habitudes sociales qui forment le caractère et la loi des peuples. Bonaparte entra donc avec ardeur dans la carrière de la Révolution, et il y porta cet esprit inquiet, frondeur et absolu qu’il avait manifesté jusque-là.
À l’école d’application de Valence, où il continuait ses études comme officier d’artillerie, il se fit bientôt distinguer par ses principes démocratiques et par la profondeur de ses connaissances dans son art, surtout par les vues nouvelles qu’il émettait et les changements qu’il proposait. Tous les officiers supérieurs le signalaient déjà comme un homme qui parviendrait à la première place du corps et surpasserait tout ce que l’arme de l’artillerie avait eu de plus célèbre. M. de Montalivet, qui l’avait beaucoup connu à Valence, m’a rapporté plusieurs fois ces faits.
L’application à ses devoirs et ses études sur son art ne l’empêchaient pas de s’occuper de politique, et, là-dessus comme sur tout le reste, il était absolu dans ses opinions. Un jour, il se trouva à dîner, à la campagne, avec plusieurs de ses camarades ; une question s’engagea entre eux sur les pouvoirs d’une représentation nationale, et une discussion très vive eut lieu à ce sujet entre lui et le capitaine de sa compagnie. Bonaparte partit à pied pour s’en retourner à Valence. Un orage qui survint l’obligea à se mettre à l’abri sous un arbre. Son capitaine passa, un moment après, dans son cabriolet, seul, et fit semblant de ne pas le reconnaître. Napoléon, parvenu au faîte du pouvoir, ne lui a jamais pardonné ce manque de courtoisie, et lorsque MM. de Montalivet, de Pommereul et autres, lui ont demandé de l’avancement pour cet officier, il s’y est constamment refusé en leur disant que c’était un mauvais cœur. Cette conduite a dû paraître d’autant plus étonnante à ceux qui en ignoraient les motifs, qu’il a recherché et placé avantageusement tous ceux qu’il avait connus à cette époque.