Author: | LÉON BLOY | ISBN: | 1230000213289 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | January 27, 2014 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | LÉON BLOY |
ISBN: | 1230000213289 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | January 27, 2014 |
Imprint: | |
Language: | French |
Ceci n’est pas même une anecdote. C’est à peine un souvenir, une sorte d’impression qui fut profonde, mais que vingt années environ d’une vie très chienne ont presque effacée.
J’appartenais en 1870 à un corps franc commandé par un agronome dévotieux, promu général en l’absence des Marceau ou des Bonaparte et que la circonspection de son héroïsme rendit un instant fameux.
Nous éclairions, paraît-il, l’armée de la Loire, les autres armées s’éclairant comme elles pouvaient, et nous fûmes, j’ose le dire, de terribles marcheurs et de formidables lapins devant Dieu.
Au fond, pourtant, la matière est peu risible, et je n’ose promettre une hilarité sans mesure aux gens folâtres qui me feront l’honneur de compter sur mon enjouement. Les choses plus ou moins historiques, militaires ou autres, dont je fus témoin cette année-là, m’apparurent quelquefois atroces, et mon genre d’esprit n’était pas précisément ce qu’il fallait pour en édulcorer l’impression.
Barbey d’Aurevilly, qui ne se cachait pas d’être un chauvin de ma sorte, m’avoua souvent que ce lui était une souffrance à peu près intolérable d’entendre parler de ce temps affreux. À plus forte raison, il lui eût été impossible d’écrire quoi que ce fût sur un tel sujet. Manière d’être qui sépara beaucoup cet artiste fier de certains alligators de l’écritoire attentifs, naguère, à sécréter, jour par jour, un peu de copie sur la Sueur de Sang de la France.
Pourquoi n’avouerais-je pas à mon tour que j’ai les mains peu remplies de ces documents de cannibales, et qu’il a fallu plus de vingt ans pour que je me décidasse à redescendre dans cette cave oubliée des puissants vins de la Mort, où l’ivrogne le mieux éclairé par les projections lumineuses de l’enthousiasme, ne pourrait plus se soûler qu’en tâtonnant ?
⁂
La deuxième phase de la guerre franco-prussienne qui fut, je crois, ce que l’histoire peut offrir de plus admirablement raté, est surtout demeurée, pour quelques assistants de la défaite, l’époque des grandes énergies perdues. Réflexion banale, s’il en fut, jérémiade usée comme un vieux trottoir. Mais il faut avoir vu crever et pourrir les intrépides condamnés à ne point agir !
Nous agissions bien drôlement, nous autres. L’homme des champs qui nous remorquait dans les ornières et les casse-cou d’une perpétuelle stratégie de reculade ou de repliement et qui, quelquefois, nous mit dans le triste cas d’abandonner à l’avidité germanique un lot plus ou moins précieux de nos excitantes charognes ; — ce vieillard plein de cultures et d’engrais, ne montra pas, un seul jour, la velléité de nous dépenser profitablement. Ce fut grand dommage, car il y avait là, je vous le jure, de vrais garçons arrivés dans leur propre peau, et qui eussent escaladé l’impossible.
Ceci n’est pas même une anecdote. C’est à peine un souvenir, une sorte d’impression qui fut profonde, mais que vingt années environ d’une vie très chienne ont presque effacée.
J’appartenais en 1870 à un corps franc commandé par un agronome dévotieux, promu général en l’absence des Marceau ou des Bonaparte et que la circonspection de son héroïsme rendit un instant fameux.
Nous éclairions, paraît-il, l’armée de la Loire, les autres armées s’éclairant comme elles pouvaient, et nous fûmes, j’ose le dire, de terribles marcheurs et de formidables lapins devant Dieu.
Au fond, pourtant, la matière est peu risible, et je n’ose promettre une hilarité sans mesure aux gens folâtres qui me feront l’honneur de compter sur mon enjouement. Les choses plus ou moins historiques, militaires ou autres, dont je fus témoin cette année-là, m’apparurent quelquefois atroces, et mon genre d’esprit n’était pas précisément ce qu’il fallait pour en édulcorer l’impression.
Barbey d’Aurevilly, qui ne se cachait pas d’être un chauvin de ma sorte, m’avoua souvent que ce lui était une souffrance à peu près intolérable d’entendre parler de ce temps affreux. À plus forte raison, il lui eût été impossible d’écrire quoi que ce fût sur un tel sujet. Manière d’être qui sépara beaucoup cet artiste fier de certains alligators de l’écritoire attentifs, naguère, à sécréter, jour par jour, un peu de copie sur la Sueur de Sang de la France.
Pourquoi n’avouerais-je pas à mon tour que j’ai les mains peu remplies de ces documents de cannibales, et qu’il a fallu plus de vingt ans pour que je me décidasse à redescendre dans cette cave oubliée des puissants vins de la Mort, où l’ivrogne le mieux éclairé par les projections lumineuses de l’enthousiasme, ne pourrait plus se soûler qu’en tâtonnant ?
⁂
La deuxième phase de la guerre franco-prussienne qui fut, je crois, ce que l’histoire peut offrir de plus admirablement raté, est surtout demeurée, pour quelques assistants de la défaite, l’époque des grandes énergies perdues. Réflexion banale, s’il en fut, jérémiade usée comme un vieux trottoir. Mais il faut avoir vu crever et pourrir les intrépides condamnés à ne point agir !
Nous agissions bien drôlement, nous autres. L’homme des champs qui nous remorquait dans les ornières et les casse-cou d’une perpétuelle stratégie de reculade ou de repliement et qui, quelquefois, nous mit dans le triste cas d’abandonner à l’avidité germanique un lot plus ou moins précieux de nos excitantes charognes ; — ce vieillard plein de cultures et d’engrais, ne montra pas, un seul jour, la velléité de nous dépenser profitablement. Ce fut grand dommage, car il y avait là, je vous le jure, de vrais garçons arrivés dans leur propre peau, et qui eussent escaladé l’impossible.