Author: | Walter Scott | ISBN: | 1230002801612 |
Publisher: | GILBERT TEROL | Publication: | November 6, 2018 |
Imprint: | Language: | French |
Author: | Walter Scott |
ISBN: | 1230002801612 |
Publisher: | GILBERT TEROL |
Publication: | November 6, 2018 |
Imprint: | |
Language: | French |
Il y a donc soixante ans qu’Édouard Waverley, le héros de mon histoire, prit congé de sa famille pour joindre le régiment de dragons où il venait d’obtenir un brevet d’officier. Ce fut un jour de deuil à Waverley-Honour quand le jeune officier quitta sir Éverard, son vieil oncle, qui l’aimait tendrement, et dont il devait hériter des biens et du titre.
Une différence d’opinions politiques avait divisé depuis longtemps le baronnet et son jeune frère, Richard Waverley, père de notre héros. Sir Éverard avait hérité de ses aïeux de tous les préjugés et de toutes les préventions de torys et d’anglicans qui avaient signalé la maison de Waverley depuis la grande guerre civile. Richard, au contraire, qui était moins âgé de dix ans, qui ne se voyait pour tout avoir qu’une fortune de cadet, ne pensa pas qu’il y eût pour lui honneur ou profit à jouer le rôle de complaisant. Il apprit de bonne heure, que pour réussir dans le monde, on ne devait point se charger de lourds bagages. Les peintres parlent de la difficulté d’exprimer plusieurs passions à la fois sur une même figure ; il n’est pas moins difficile pour les moralistes d’analyser la combinaison des motifs qui deviennent les mobiles de nos actions.
Richard Waverley trouva dans l’histoire et dans ses réflexions des arguments en faveur de cette maxime d’une ancienne chanson,
« Une passive et lâche obéissance
Nous asservit ; vire la résistance ! »
La raison n’eût probablement pas suffi pour combattre et déraciner des préjugés héréditaires, si Richard eût pu prévoir que son frère aîné, dominé par un chagrin d’amour de sa jeunesse, serait resté garçon jusqu’à soixante-douze ans. La perspective de sa succession, quelque éloignée qu’elle fût, lui eût fait sans doute supporter de traîner dans le château, pendant la majeure partie de sa vie, le titre de master Richard, le frère du baronnet, en attendant qu’il prît un jour avant que de mourir le nom de Richard Waverley de Waverley-Honour, et qu’il héritât d’un domaine digne d’un prince, et d’une immense influence politique comme chef des intérêts du comté où se trouvait ce domaine. Mais comment Richard, quand il débuta dans le monde, pouvait-il s’attendre à ce résultat, lorsque sir Éverard, encore au printemps de sa vie, était sûr de se voir accueilli favorablement dans toutes les familles dès qu’il voudrait une épouse, soit qu’il recherchât la richesse ou qu’il courût après la beauté, et quand régulièrement une fois l’an le bruit de son mariage amusait les loisirs des châteaux voisins ? Son jeune frère ne vit d’autre moyen pour arriver à l’indépendance, que de ne compter que sur ses propres efforts, et d’adopter une croyance politique plus en rapport avec sa raison et ses intérêts que ne pouvait l’être la fidélité au parti anglican et à la maison des Stuarts, léguée à sir Éverard par ses ancêtres. C’est pourquoi, dès le début de sa carrière, il fit son abjuration politique en devenant whig déterminé et partisan de la maison de Hanovre.
Le ministère de George Ier s’attachait alors prudemment à opérer des défections dans les rangs de l’opposition. La noblesse tory, qui devait son éclat au soleil de la cour, se rapprochait peu à peu de la nouvelle dynastie ; mais les riches gentilshommes des provinces d’Angleterre, classe qui conservait encore quelque chose des anciennes mœurs, de l’intégrité primitive, et des vieux préjugés d’intolérance, se tenait à l’écart dans une opposition hautaine et obstinée, et jetait encore un regard de regret et d’espérance sur Bois-le-Duc, Avignon et l’Italie.
L’avancement d’un parent de ces opposants opiniâtres et inflexibles fut regardé comme un moyen de les amener à d’autres sentiments ; en conséquence Richard Waverley fut accueilli par la faveur ministérielle bien autrement que ne le méritaient ses talents et son importance politique. Toutefois on remarqua en lui une certaine capacité pour les affaires publiques, et une fois admis au lever du ministre, il fit un chemin rapide.
Sir Éverard apprit d’abord par la gazette publique, New-Letter que Richard
Waverley, esquire, était envoyé à la chambre des communes par le bourg ministériel de Barter-faith ; ensuite, que Richard Waverley, esquire, avait pris une grande part dans les débats sur le bill d’excisé, en faveur du gouvernement ; et enfin que Richard Waverley, esquire, venait d’être appelé à l’une de ces fonctions où de hauts appointements se combinent d’autant mieux avec le plaisir de servir son pays, que pour les rendre encore plus agréables, ils sont régulièrement payés par trimestre. Quoique à la rapidité dont ces événements se succédèrent, un éditeur de nos journaux modernes eût facilement présagé les deux derniers en annonçant le premier, ils ne parvinrent que graduellement à la connaissance de sir Éverard, et comme distillés goutte à goutte par le froid et lent alambic de la Lettre hebdomadaire de Dyer ; car nous ferons observer en passant qu’alors on n’avait pas encore ces malles-postes au moyen desquelles l’ouvrier peut, à son club de six sous, puiser dans vingt feuilles contradictoires les nouvelles de la veille. La poste de la capitale n’arrivait qu’une fois par semaine à Waverley-Honour, et n’y apportait qu’une gazette hebdomadaire qui, après avoir satisfait la curiosité de sir Éverard, de sa sœur et du vieux sommelier, passait ensuite du château au rectorat, à la ferme habitée par le squire Strubbs, à la jolie maison blanche qu’avait dans les bruyères l’intendant du baronnet ; de là à la maison du bailli, et à un cercle nombreux de matrones et de campagnards aux mains dures et calleuses, si bien qu’au bout d’un mois de circulation, le journal était presque toujours mis en pièces.
Cette lenteur de nouvelles en cette circonstance fut avantageuse à Richard Waverley ; car si sir Éverard eût appris en même temps tous les méfaits dont son frère s’était rendu coupable, nul doute que le nouveau fonctionnaire n’aurait guère eu à se féliciter du succès de sa politique.
Il y a donc soixante ans qu’Édouard Waverley, le héros de mon histoire, prit congé de sa famille pour joindre le régiment de dragons où il venait d’obtenir un brevet d’officier. Ce fut un jour de deuil à Waverley-Honour quand le jeune officier quitta sir Éverard, son vieil oncle, qui l’aimait tendrement, et dont il devait hériter des biens et du titre.
Une différence d’opinions politiques avait divisé depuis longtemps le baronnet et son jeune frère, Richard Waverley, père de notre héros. Sir Éverard avait hérité de ses aïeux de tous les préjugés et de toutes les préventions de torys et d’anglicans qui avaient signalé la maison de Waverley depuis la grande guerre civile. Richard, au contraire, qui était moins âgé de dix ans, qui ne se voyait pour tout avoir qu’une fortune de cadet, ne pensa pas qu’il y eût pour lui honneur ou profit à jouer le rôle de complaisant. Il apprit de bonne heure, que pour réussir dans le monde, on ne devait point se charger de lourds bagages. Les peintres parlent de la difficulté d’exprimer plusieurs passions à la fois sur une même figure ; il n’est pas moins difficile pour les moralistes d’analyser la combinaison des motifs qui deviennent les mobiles de nos actions.
Richard Waverley trouva dans l’histoire et dans ses réflexions des arguments en faveur de cette maxime d’une ancienne chanson,
« Une passive et lâche obéissance
Nous asservit ; vire la résistance ! »
La raison n’eût probablement pas suffi pour combattre et déraciner des préjugés héréditaires, si Richard eût pu prévoir que son frère aîné, dominé par un chagrin d’amour de sa jeunesse, serait resté garçon jusqu’à soixante-douze ans. La perspective de sa succession, quelque éloignée qu’elle fût, lui eût fait sans doute supporter de traîner dans le château, pendant la majeure partie de sa vie, le titre de master Richard, le frère du baronnet, en attendant qu’il prît un jour avant que de mourir le nom de Richard Waverley de Waverley-Honour, et qu’il héritât d’un domaine digne d’un prince, et d’une immense influence politique comme chef des intérêts du comté où se trouvait ce domaine. Mais comment Richard, quand il débuta dans le monde, pouvait-il s’attendre à ce résultat, lorsque sir Éverard, encore au printemps de sa vie, était sûr de se voir accueilli favorablement dans toutes les familles dès qu’il voudrait une épouse, soit qu’il recherchât la richesse ou qu’il courût après la beauté, et quand régulièrement une fois l’an le bruit de son mariage amusait les loisirs des châteaux voisins ? Son jeune frère ne vit d’autre moyen pour arriver à l’indépendance, que de ne compter que sur ses propres efforts, et d’adopter une croyance politique plus en rapport avec sa raison et ses intérêts que ne pouvait l’être la fidélité au parti anglican et à la maison des Stuarts, léguée à sir Éverard par ses ancêtres. C’est pourquoi, dès le début de sa carrière, il fit son abjuration politique en devenant whig déterminé et partisan de la maison de Hanovre.
Le ministère de George Ier s’attachait alors prudemment à opérer des défections dans les rangs de l’opposition. La noblesse tory, qui devait son éclat au soleil de la cour, se rapprochait peu à peu de la nouvelle dynastie ; mais les riches gentilshommes des provinces d’Angleterre, classe qui conservait encore quelque chose des anciennes mœurs, de l’intégrité primitive, et des vieux préjugés d’intolérance, se tenait à l’écart dans une opposition hautaine et obstinée, et jetait encore un regard de regret et d’espérance sur Bois-le-Duc, Avignon et l’Italie.
L’avancement d’un parent de ces opposants opiniâtres et inflexibles fut regardé comme un moyen de les amener à d’autres sentiments ; en conséquence Richard Waverley fut accueilli par la faveur ministérielle bien autrement que ne le méritaient ses talents et son importance politique. Toutefois on remarqua en lui une certaine capacité pour les affaires publiques, et une fois admis au lever du ministre, il fit un chemin rapide.
Sir Éverard apprit d’abord par la gazette publique, New-Letter que Richard
Waverley, esquire, était envoyé à la chambre des communes par le bourg ministériel de Barter-faith ; ensuite, que Richard Waverley, esquire, avait pris une grande part dans les débats sur le bill d’excisé, en faveur du gouvernement ; et enfin que Richard Waverley, esquire, venait d’être appelé à l’une de ces fonctions où de hauts appointements se combinent d’autant mieux avec le plaisir de servir son pays, que pour les rendre encore plus agréables, ils sont régulièrement payés par trimestre. Quoique à la rapidité dont ces événements se succédèrent, un éditeur de nos journaux modernes eût facilement présagé les deux derniers en annonçant le premier, ils ne parvinrent que graduellement à la connaissance de sir Éverard, et comme distillés goutte à goutte par le froid et lent alambic de la Lettre hebdomadaire de Dyer ; car nous ferons observer en passant qu’alors on n’avait pas encore ces malles-postes au moyen desquelles l’ouvrier peut, à son club de six sous, puiser dans vingt feuilles contradictoires les nouvelles de la veille. La poste de la capitale n’arrivait qu’une fois par semaine à Waverley-Honour, et n’y apportait qu’une gazette hebdomadaire qui, après avoir satisfait la curiosité de sir Éverard, de sa sœur et du vieux sommelier, passait ensuite du château au rectorat, à la ferme habitée par le squire Strubbs, à la jolie maison blanche qu’avait dans les bruyères l’intendant du baronnet ; de là à la maison du bailli, et à un cercle nombreux de matrones et de campagnards aux mains dures et calleuses, si bien qu’au bout d’un mois de circulation, le journal était presque toujours mis en pièces.
Cette lenteur de nouvelles en cette circonstance fut avantageuse à Richard Waverley ; car si sir Éverard eût appris en même temps tous les méfaits dont son frère s’était rendu coupable, nul doute que le nouveau fonctionnaire n’aurait guère eu à se féliciter du succès de sa politique.